STAROPOLI André - 1961 l
STAROPOLI (André), né le 14 octobre 1940 à Alger, décédé le 18 décembre 2015 à Paris. – Promotion de 1961 l.
La famille Staropoli a, comme son nom l’indique, des origines à la fois grecques et corses, à la suite d’une lointaine implantation hellène à Cargèse . André est né à Alger en 1940, mais ses parents s’installent en 1958 en région parisienne . Élève de khâgne au lycée Louis-le-Grand, il intègre l’École en 1961 . En même temps qu’il prépare l’agrégation de lettres classiques, passée en 1965, il suit les cours de l’Institut d’études politiques de Paris, dont il est diplômé en 1963 . Dès cette époque, il est décidé à se consacrer au service de l’État, mais, malgré les objurgations de ses professeurs de Sciences-Po, il estime inutile et presque déshonorant pour un normalien de passer par le concours de l’École nationale d’Administration .
C’est au service militaire que j’ai appris à connaître André . La première image que je garde de lui, et qui m’est encore aujourd’hui la plus chère, c’est celle d’un jeune offi- cier fringant, en tenue d’équitation, le képi légèrement en arrière, devisant en termes choisis avec nos supérieurs de l’École d’application du Train .
Nous étions trois normaliens à nous retrouver à Tours, titulaires de la barrette de sous-lieutenant après avoir subi une préparation militaire dite « obligatoire » qui consistait en exercices du samedi matin au Fort de Vincennes et en périodes de quelques semaines à Mourmelon et à Montpellier . Nous avions été affectés à Tours pour donner pendant seize mois divers cours de culture plus ou moins générale aux officiers du Train issus de Coëtquidan : André était le littéraire, Michel Arnaud l’his- torien et moi le germaniste . Nos élèves étaient sympathiques et dociles, et nous avions beaucoup de temps libre, à consacrer en priorité au cheval !
Quelle joyeuse époque ! Nous avions loué en pleine campagne une bâtisse du xviiie siècle, à demi ruinée, mais fièrement dénommée le manoir de Bois-Boutet . Nous fréquentions la société tourangelle sur les traces de Balzac ou de Feydeau . Les jeunes filles en fleur évaluaient le succès de leurs surprises-parties au nombre de képis accrochés dans l’antichambre . Le week-end, nous remontions vers la capitale grâce à l’antique 2 CV de Michel Arnaud .
La politique n’était pas notre fort (pas encore) et elle n’occasionna jamais de friction entre nous malgré nos solides divergences : un socialiste, un royaliste et un gaulliste . . . En tout cas, nous étions d’accord pour mettre en boîte Jean Lecanuet lors d’une réunion publique à Tours, ce qui nous valut une verte remontrance de notre hiérarchie !
Il nous arrivait aussi d’accueillir de Paris quelques admiratrices, à commencer par Sabine Brice, toujours souriante et active . Quelque temps après le retour à la vie civile, nous avons célébré le mariage d’André et de Sabine, le 19 juin 1969, à Paris .
Après la période des grandes vacances galonnées, il a bien fallu se mettre sérieusement au travail . Aucun de nous n’avait une vocation d’enseignant affirmée ni l’intention de préparer l’ENA . André est entré à la délégation générale à la Recherche scientifique et technique, création récente dont la mission était d’organiser et de mettre en valeur la politique vigoureuse du gouvernement Pompidou en faveur de la recherche et du développement . La DGRST de ces années-là a plusieurs fois fait appel à des norma- liens littéraires : Pierre Frédet (1957 l), Philippe Lejeune (1959 l), Jean-Pierre Bardos (1963 l)... André est resté six ans à la DGRST, de 1967 à 1973, d’abord comme secré- taire du Comité consultatif à la recherche scientifique et technique, puis comme chef du service des relations extérieures . Il était aussi rédacteur en chef de la revue le Progrès scientifique . Dans un témoignage de mars 1973, le délégué général Pierre Aigrain a rappelé le rôle efficace et brillant d’André Staropoli à ses côtés .
C’était aussi l’époque où André dirigeait, à l’École nationale d’Administration, un séminaire consacré à la politique de la recherche, « un investissement intellectuel » . Le professeur Dupuis, directeur des études de l’ENA, écrit : « Cette expérience a été un succès... Le caractère aigu de la réflexion d’André Staropoli ainsi que l’ampleur de sa culture et de sa curiosité incitent ses élèves à la recherche, tandis que sa remar- quable maîtrise de l’expression lui permet d’avoir une influence très importante sur la mise en forme des travaux . » Bel hommage rendu par l’Énarchie à la Rue d’Ulm, et ce n’est pas si fréquent !
Peut-on mener une réflexion sur la science contemporaine sans connaître ce qui se fait en Amérique ? André ne le pensait pas, et il tire le meilleur profit du séjour qu’il effectue en 1973-1974, avec Sabine, au Massachussets Institute of Technology, où il étudie la politique de la science, en particulier dans les domaines de l’énergie et de l’aide à l’innovation .
Retour en France : à défaut d’obtenir un poste de maître-assistant – l’Éducation nationale se montrant parfois ingrate envers ceux qui ont des parcours « atypiques » – André entre au ministère de l’Agriculture . Sans cultiver la nostalgie du retour à la terre, qui, elle, « ne ment pas », il va trouver le poste qui pouvait le mieux lui convenir : celui de sous-directeur de la recherche et des programmes . André passe sept années au ministère de l’Agriculture, de 1975 à 1982, comme responsable de la politique en matière de recherche, de formation et de développement, y compris dans l’agroalimentaire et le secteur des entreprises .
Mais l’heure a sonné des grands changements : voici l’arrivée de la gauche au pouvoir, avec l’élection du président Mitterrand . Fidèle à une tradition familiale – son père, enseignant, était un syndicaliste très engagé – André n’a jamais renié ses convictions de militant socialiste .
Il est en 1981, auprès de Laurent Schwartz (1934 s), rapporteur de la Commission du Bilan pour la recherche et la technologie . Ses idées et ses amis accèdent enfin aux responsabilités .
D’où un nouvel avatar dans sa carrière, et nous tombons des nues : André devient banquier ! Il entre à la banque Scalbert-Dupont, institution lilloise qui vient d’être nationalisée . Il y est nommé directeur général adjoint : responsable des activités financières, du plan, du contrôle de gestion, des études économiques et financières, des participations .
On imagine quel talent, quel travail, quelle capacité d’adaptation il a fallu à André pour être à la hauteur de cette nouvelle mission à laquelle il semblait peu préparé . Pendant trois années, de 1982 à 1985, et avec des résultats tout à fait honorables, André fait partie de ce monde de la finance qui semble si étranger aux universitaires et que, plus tard, un autre président socialiste désignera comme son ennemi .
Mais bon sang ne saurait mentir et André se lasse de la finance . Il préfère retour- ner au monde de la recherche, où il est connu et apprécié . Il est nommé en 1986 secrétaire général du Comité national d’évaluation des universités, créé par la loi du 24 janvier 1984, et qui deviendra ensuite, par la loi du 10 juillet 1989, « Autorité administrative indépendante » .
Dans ces fonctions, qu’il va occuper jusqu’en 1998, André Staropoli cumule les responsabilités . Il est chargé de la conduite des programmes d’évaluation, de la méthodologie, des relations avec les établissements . Il suit les affaires financières et administratives . Il est délégué aux relations européennes et internationales et, à ce titre, entreprend de nombreuses missions à l’étranger . Il développe la coopération avec les services de la Commission de Bruxelles (DG XII et, surtout, DG XXII) . Il publie des articles de fond et participe à d’innombrables colloques et séminaires .
Les problèmes rencontrés pendant cette longue période d’activités recouvrent la plupart des aspects du développement de la politique française d’enseignement supérieur et de recherche . L’objectif d’une classe d’âge comprenant 80 % de bache- liers entraîne une extrapolation des besoins au niveau de l’enseignement supérieur : à la formation des élites succède celle des masses . Comment parvenir désormais à apprécier et contrôler 78 universités et 300 établissements d’enseignement supé- rieur, écoles, instituts, sans parler des formations en BTS et en IUT ? Comment développer la dimension recherche dans l’activité universitaire ? Quel sort faut-il réserver aux spécificités françaises, si éloignées des principaux modèles occiden- taux : un financement public à 90 %, une participation trop faible des entreprises, une préférence marquée pour le système des classes préparatoires qui n’a pas d’équivalent à l’étranger ?
André Staropoli est un fervent adepte de la formation continue tout au long de la vie et cite volontiers en exemple la politique du ministère de la Défense en ce domaine . L’enseignement qu’il est amené à donner à des officiers supérieurs dans le cadre de l’École de guerre le marque beaucoup .
Par ailleurs, il met l’accent sur la nécessité d’un rapprochement du système fran- çais avec celui de nos partenaires européens . Le principal résultat sera l’adoption du « processus de Bologne » en juin 1999, avec une formation supérieure déclinée en huit années et trois étapes : 3-5-8, correspondant à licence-master-doctorat .
Il consacre ses efforts à une amélioration des équivalences de diplômes et à une harmonisation des services de certification, le modèle étant la commission des titres d’ingénieur . Il souligne la nécessité de l’évaluation interne des établissements d’ensei- gnement supérieur et participe à la mise en place d’un réseau d’agences d’évaluation .
Pendant toutes ces années, André Staropoli crée autour de lui un dense réseau de collègues, de disciples et d’experts qui sont en même temps des amis . Tous apprécient sa disponibilité et sa bienveillance, son ouverture d’esprit (notamment vers la dimension européenne), son humanisme toujours teinté d’humour .
Après 1998, André Staropoli est devenu dans son domaine, et à titre personnel, une référence incontestée . Il poursuit une activité internationale dans le domaine de l’évaluation, de l’assurance-qualité, de la certification . Il participe aux activités de l’Institut EPICE (Institut européen pour la promotion de l’innovation et de la culture dans l’éducation) .
Il contribue à la création en 2006 de l’association ESPER (Engagement pour le service public d’enseignement supérieur et de recherche) . Le Conseil général des Mines l’associe à ses travaux . Il entre au conseil scientifique de la Fondation MAIF .
Les années de retraite venant progressivement, André se consacre davantage à sa famille, qui a toujours eu une grande place dans sa vie, à ses trois enfants, Carine, Fabien et Alexandre, et à ses sept petits-enfants . Une de ses dernières joies a été l’arri- vée d’une première petite-fille, après six garçons .
Mais l’ombre de la maladie s’étend impitoyablement . À partir de 2006, André l’affronte, d’abord insidieuse, puis de plus en plus marquante . Il résiste avec courage, faisant preuve d’une sérénité admirable . Il est heureux de recevoir ses anciens amis, de bavarder avec eux, mais, quelques heures plus tard, il a oublié qu’il les a vus . Sabine est là, auprès de lui, fidèle depuis cinquante ans .
Thierry BURKARD (1960 l)