ARCAIX (épouse GÉLY) Suzanne - 1943 S
ARCAIX (Suzanne, épouse GÉLY), née le 14 août 1923 à Rieutort-de-Randon (Lozère), décédée le 30 janvier 2016 à Riom (Puy-de-Dôme). – Promotion de 1943 S.
Son père est instituteur aux écoles Michelin à Clermont- Ferrand ; sa mère, au foyer, s’occupe des trois enfants Marie-Louise, Suzanne et Cyprien dans la cité Michelin de Chanteranne, près de l’usine de Cataroux . Les parents s’aper- çoivent que Suzanne a appris à lire toute seule en écoutant sa sœur Marie-Louise, son aînée de 3 ans, réciter ses leçons . Aussi, elle entre directement à l’école primaire à cinq ans sans passer par l’école maternelle . Passionnée par les livres et les problèmes d’arithmétique, elle arrive en tête de classe aux « compositions » mais elle est trop jeune pour se présenter au certificat d’études qui, dans l’Enseignement primaire de l’époque, est incontournable et pour lequel il n’y a pas de dispense d’âge . Alors elle redouble la classe, rongeant son frein : les institutrices l’envoient faire leurs commissions à la Coopérative de Chanteranne ! En juillet 1935, elle est reçue au certificat d’études .
Enfin, libérée de ces contingences, elle va, à bicyclette, à l’école primaire supérieure Michelin de la rue du Nord où l’on apprend la littérature, les mathématiques, mais aussi la couture et la dactylo... pendant deux années, au bout desquelles madame Michelin, en personne, vient solennellement désigner deux élèves bénéficiant d’une bourse pour aller préparer le brevet élémentaire à l’Institution libre Fénelon . Suzanne obtient cette bourse pour la rentrée scolaire 1937 .
Quittant les quartiers ouvriers, elle arrive, toujours à bicyclette, même sous la pluie et l’orage, dans un établissement fréquenté par la bourgeoisie clermontoise où certaines enseignantes ou élèves traitent les boursières avec condescendance : par exemple, une religieuse, rendant les compositions, était agacée de voir très souvent Suzanne première et ajoutait « mais, Suzanne, vous n’avez pas de mérite ! » Bien sûr, on voyait bien qu’elle travaillait facilement et joyeusement . Au bout de deux ans à Fénelon, succès au brevet élémentaire en juillet 1939 .
Alors, les religieuses convoquent ses parents et leur proposent de garder Suzanne sans payer d’études, à condition qu’elle enseigne ensuite, une fois diplômée, dans leurs écoles . Mais sa mère, qui avait perdu son père à 10 ans et n’avait pu étudier au-delà du brevet élémentaire, rêvait de la réussite de ses enfants . Elle déclina donc l’offre des religieuses malgré le salaire unique du foyer, et décida que, sautant la classe de seconde, Suzanne entrerait directement en 1re A’ à la rentrée scolaire... Hélas ! La guerre éclate !
Cependant malgré l’inquiétude quotidienne, la rentrée scolaire se fait comme prévu en octobre 1939 à l’École Fénelon et Suzanne acquiert en quelques mois un latin suffisant pour être reçue à la 1re partie du baccalauréat en juin 1940 en pleine « débâcle » . En octobre 1940, elle entre en classe de « math élem . et philo » sans choi- sir spécifiquement la voie scientifique, ce qui était possible à l’époque .
Après le succès au Bac, en juin 1941, elle allait s’orienter vers des études de chimie à la faculté des sciences de Clermont lorsqu’elle apprend, par un hasard qui fut déter- minant pour son avenir, l’existence des classes préparatoires scientifiques du lycée Blaise-Pascal, à Clermont, où elle pouvait préparer le concours de l’École normale supérieure, le seul auquel les filles pouvaient se présenter alors que les garçons du même âge pouvaient entrer à Centrale, Polytechnique, l’École des Mines...
La taupe du lycée Kléber de Strasbourg, après avoir été repliée dès la rentrée 39 à Périgueux puis à Mauriac, avait pris à la rentrée 40 ses quartiers à Clermont-Ferrand où elle resta jusqu’en 1945 . Il y a donc deux hypotaupes et deux taupes à Clermont durant cette période 40-45 .
En octobre 1941, Suzanne entre en hypotaupe au lycée Blaise-Pascal dans une classe de 45 garçons et 4 filles . Ambiance studieuse où les élèves grâce à des professeurs de haut niveau acquièrent de solides connaissances en mathématiques et physique... et oublient un peu la guerre et l’incertitude de l’avenir . Pour passer ensuite en taupe, les élèves sont classés selon leurs notes de l’année et affectés alternativement un par un, dans un souci d’égalité, dans l’une ou l’autre classe et Suzanne entre dans la taupe Kléber, repliée de Strasbourg dont le professeur de mathématiques très brillant, sévère et exigeant, Henri Marvillet (1924 s), obtenait d’excellents résultats aux concours et marquait pour la vie de nombreuses générations d’élèves reconnaissants . Suzanne eut ainsi la chance de vivre une année passionnante de travail scientifique et de réussir en 3/2 le concours d’entrée à Sèvres en juin 1943 .
Elle évoquait souvent le problème de mathématiques de ce concours, très diffi- cile à résoudre où l’astuce, rappelée pendant les révisions, consistait à transposer le problème à l’infini où il se résolvait facilement . Et elle avait tenu en 2012 à retrouver cet énoncé qui lui avait ouvert sa carrière, et à le refaire !
Dans le souci d’informer les jeunes et de fixer les souvenirs des anciens, Suzanne a écrit en 2008 une contribution au centenaire du lycée Blaise-Pascal où elle décrit avec humour et tristesse ce qu’était la vie des taupins dans la période 40-45 et en particulier l’invasion de 1940, le statut des juifs, les rafles, les restrictions, la rudesse de l’hiver, les bombardements...
Suzanne poursuit ses quatre années d’études à Paris ; elle a décrit dans les deux notices consacrées à ses amies Marguerite Barthès Lignon et Lucette Bérard Luc (L’Archicube n° 19 bis, février 2016, p . 151-153) la vie des sévriennes scientifiques dans la maison des étudiantes du 214 boulevard Raspail à Paris, avec le couvre-feu, les alertes, les arrestations, mais, malgré tout, la danse sur le Beau Danube bleu ou les valses de Chopin, la Libération, puis en 1945 l’accueil à l’hôtel Lutétia des déportés de retour des camps et la corvée de vaisselle .
Elle a gardé de nombreuses amitiés avec ses anciennes camarades . On pourra citer en particulier Lucette Okal (1941 S), qui venait très souvent voir Suzanne en Auvergne et dont l’humour et le franc-parler réjouissaient toute la famille .
Suzanne est reçue en 1947 à l’agrégation de physique, ce qui lui ouvre une heureuse carrière de professeur .
Pour son premier poste (septembre 47), elle est affectée comme professeur de sciences physiques en terminale au lycée de filles d’Aix-en-Provence ; elle y est très entourée par ses collègues plus anciens avec lesquels elle restera en contact tout au cours de sa carrière . Elle aimait raconter qu’allant faire passer les épreuves du Bac en Corse, elle avait eu la surprise d’entendre des anciens élèves chanter en corse les résultats devant l’établissement sous le nez des autorités académiques du continent .
Elle est nommée en 1953 au lycée Jeanne-d’Arc de Clermont-Ferrand .
Par l’intermédiaire d’associations lozériennes, elle rencontre alors le docteur Armand Gély, né également en Lozère à Estables, village voisin de Rieutort où ils se marient en juin 1953 . Ils auront 5 enfants : Anne en 1954, Élisabeth en 1955, Paul en 1957, Marie-Hélène en 1959 et Cécile en 1963 . Elle mène parallèlement sa carrière de professeur sans jamais s’arrêter .
Lorsqu’un poste de professeur de physique-chimie en math sup . se libère au lycée Blaise-Pascal, elle hésite à postuler, mais, vivement encouragée par le professeur de mathématiques de taupe, Gilbert Péronny (1944 s), elle s’y décide et ne le regrettera pas . C’est le début de sa carrière de professeur de classes prépas . Très engagée, elle forme des générations entières d’élèves qui réussissent brillamment et entrent aux ENS, à Polytechnique ou d’autres grandes Écoles et lui en sont restés très reconnais- sants . Elle a toujours voulu transmettre ses convictions scientifiques et a marqué par ses qualités intellectuelles, et plus encore humaines . En tant que professeur, elle fut sévère, exigeante, mais savait aussi être une « maman » avec ses élèves, en les soute- nant pour faciliter leur réussite et les aidant à se surpasser, car son dévouement était immense . Elle a même eu ses filles normalienne ou polytechniciennes Anne, Marie- Hélène et Cécile comme élèves en math sup . ou en math spé .
Sa famille était pour elle fondamentale, elle s’est beaucoup impliquée avec son mari, Armand, décédé trop tôt en 1991, dans l’éducation de leurs enfants qu’elle voulait préparer à leur avenir en leur donnant le maximum de chances . Elle était très fière de la réussite de ses 4 filles (médecin, normalienne et polytechniciennes) ainsi que de ses gendres, tous issus de ces mêmes grandes écoles et s’est beaucoup investie avec Armand dans l’accompagnement de leur fils Paul de santé fragile qu’ils ont affec- tueusement entouré et aidé à progresser . Ses quatorze petits-enfants ont bénéficié à leur tour de son affection et de ses qualités pédagogiques, et ont été très marqués par sa personnalité et son engagement .
Ses cinq enfants ont tous appris à jouer d’un instrument de musique différent, ce qui permettait d’agrémenter les fêtes de famille d’un concert de grande qualité . Armand emmenait régulièrement enfants et amis faire du ski au pied du Sancy .
Nommée chevalier des Palmes Académiques en 1965, elle accède au plus haut grade, commandeur, en 1993, couronnant ainsi son engagement professionnel constant .
Aussi, la retraite venue au milieu des années 80, elle s’est engagée pour la vulga- risation scientifique et y est restée très active . On peut rappeler la reproduction de l’expérience de Pascal de la place de Jaude au sommet du Puy-de-Dôme ou son enthousiasme communicatif à faire partager le phénomène surprenant de l’inver- sion du champ magnétique sur le seuil de sa maison de vacances de Laschamps . Elle était très attachée à celle-ci et aimait beaucoup y recevoir ses proches et ses amis grâce à des aménagements successifs et leur faire goûter de succulentes spécialités gastronomiques .
La liste de la vingtaine d’articles qu’elle a publiés de 1999 à 2007 dans la revue Auvergne-Sciences montre la variété de ses intérêts et la richesse de sa culture : la pollution atmosphérique, l’ionisation des aliments, la découverte de la radioactivité naturelle, l’inversion du champ magnétique terrestre dans la chaine des Puys, le pli cacheté d’Henri Becquerel, le centenaire de la naissance d’Irène Joliot-Curie, le centenaire de la découverte du radium, le génie d’André-Marie Ampère, Pasteur à Clermont-Ferrand, les Principes de Newton, hommage à un grand physicien : Augustin Fresnel, visite de la centrale nucléaire de Saint-Alban-Saint-Maurice, le centième anniversaire de l’attribution du prix Nobel de chimie à Marie Curie...
Elle participe à la création de l’ADASTA (Association pour le développement des activités scientifiques en Auvergne) dont elle assume la présidence en 1998-2000 et met en route les Jeunes pousses à l’intention de jeunes scolaires auxquels elle propose des activités expérimentales le mercredi, tout en assurant une présence aux fêtes de la science et aux olympiades de chimie .
Elle militait aussi dans la Société française d’énergie nucléaire où elle invitait des conférenciers prestigieux tels Robert Dautray sur le dérèglement climatique ou la fille d’Irène et Frédéric Joliot-Curie, Hélène Langevin, et la première femme élue à l’Académie des sciences , sa camarade de promotion Yvonne Choquet Bruhat sur la relativité et sa rencontre avec Albert Einstein à Princeton .
Fallait-il aller présenter une exposition, soutenir un travail ou rencontrer des élèves dans un collège au fin fond de l’Académie, elle répondait toujours présent, inlassable- ment ; elle a aussi beaucoup travaillé au profit des jeunes avec l’association des anciens élèves du lycée Blaise-Pascal .
Dans le livre de mémoires Une mathématicienne dans cet étrange univers que vient d’éditer Odile Jacob, Yvonne Choquet Bruhat se remémore : « Lors de la célébra- tion du soixantième anniversaire de notre promotion, j’ai repris contact avec une physicienne, Suzanne Gély, qui avait été professeur de taupe à Clermont, toujours chaleureuse et impliquée dans un catholicisme actif . Nous avons découvert que nous pratiquions toutes deux Internet et courriel, ce qui était rare parmi nos camarades de promotion . Nous avons alors renoué les relations amicales de notre jeunesse . À son invitation, je suis allée faire une conférence à l’Académie des sciences, belles lettres et arts de Clermont pour la célébration du centenaire de la relativité restreinte . J’ai logé dans sa belle maison de la rue Beausoleil et elle m’a emmenée visiter les somptueuses basiliques des environs, en particulier à Brioude, berceau de la famille Bruhat . Par la suite, nous avons échangé de fréquents courriels, les siens toujours courageux se terminant souvent par : Il faut garder l’Espérance »
Elle consacrait ainsi beaucoup d’énergie et de temps à la vie associative, revenant sans cesse avec ténacité à la charge pour toute cause qu’elle estimait juste .
Elle eut toujours le souci de vivre pour les autres, le souci de l’humanité avec une foi profonde qu’elle vivait dans la prière et un engagement permanent . Jusqu’au dernier moment, elle a fait rayonner son esprit empreint de curiosité mais exigeant, femme d’autorité et de projet, toujours déterminée . Et quand, ces dernières années, la vieillesse se fit plus lourde et contraignante, s’il lui arriva de se plaindre, ce ne fut guère pour déplorer son propre sort, ce fut pour regretter de ne pas pouvoir faire plus pour autrui .
Après une année de difficultés de mobilité qui l’affectaient beaucoup et de fragilités d’ordre cardiaque, elle s’est éteinte suite à un brutal accident vasculaire cérébral le 30 janvier 2016 entourée de l’affection des siens .
Comme l’a synthétisé la présidente de l’association des anciens élèves du lycée Blaise-Pascal à l’issue de la cérémonie religieuse, « une grande dame et une bonne personne » .
Pour l’essentiel, ce texte a été établi par ses enfants en particulier d’après des notes prises auprès de leur mère en 2013. Elle y raconte sa jeunesse, son entrée à Sèvres et l’ascen- sion sociale que lui a permis sa scolarité à Clermont. Avec leur accord, je l’ai complété par quelques souvenirs d’une amitié de nos deux familles de plus de soixante ans.
Paul-Louis HENNEQUIN (1949 s)