AUDIER Henri - 1960 s
AUDIER (Henri Édouard), né le 18 février 1940 à La Ciotat (Bouches- du-Rhône), décédé le 9 octobre 2016 à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). – Promotion de 1960 s.
Henri Édouard Audier est né à La Ciotat, le berceau de sa famille . Il chérira tout au long de sa vie cette ville provençale, où il se ressourcera avec les siens .
Après un bref séjour à Bastia avec ses parents, tous deux instituteurs – il assiste là-bas à la fin de la guerre – Henri arrive à Paris, où il effectuera toute sa scolarité .
Celle-ci débute assez mal : son « maître » de CM1, qui le trouve trop agité, préco- nise son envoi dans une école pour « arriérés mentaux » . Ses parents, enseignants, décident alors de lui faire passer l’examen d’entrée en sixième, il a juste 9 ans .
Durant toute sa scolarité, au lycée Voltaire à Paris, il souffrira d’être toujours, de loin, le plus jeune de sa classe .
Dans la foulée de son baccalauréat, il entre en classe prépa, comme interne, au lycée Saint-Louis, en section Physique/Chimie . Resté seul à Paris, il se plaindra de cet enfer- mement – à l’époque l’internat était plus que sévère – mais y forgera de solides amitiés .
Henri est admis à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm en 1960 . Outre la licence et le DEA à la faculté des sciences, ces années d’École sont largement mises à profit pour découvrir le cinéma, la musique, l’art, et aussi le militantisme, dans ce contexte si périlleux de la guerre d’Algérie . Il devient ainsi une des voix de l’Unef, organise des manifestations étudiantes et co-organise, aux côtés des organisations syndicales, les grandes manifestations qui s’élèvent contre cette guerre . De ces années, il gardera de vrais amis, son amour des arts, et la certitude qu’il faut s’engager pour défendre ce à quoi l’on croit .
Dès 1962, avant même d’achever ses années d’École, il intègre le CNRS à l’Ins- titut de chimie des substances naturelles (ICSN) de Gif-sur-Yvette . Edgar Lederer, qui dirige alors l’Institut, le « débauche » : il souhaite introduire l’utilisation de la spectrométrie de masse à l’ICSN et décide de confier cette tâche au tout jeune Henri . Dès 1966, il entrera comme « attaché de recherche » – un des plus jeunes attachés que le CNRS ait eu – au sein du laboratoire du professeur Marcel Fétizon . C’est à la spectrométrie de masse et aux multiples possibilités qu’elle offre pour détermi- ner la structure des composés chimiques qu’il consacrera l’essentiel de sa très intense production scientifique, toujours dans le cadre du CNRS .
En 1970, le Laboratoire de synthèse organique créé par le professeur Fétizon s’ins- talle tout d’abord à l’université d’Orsay puis, en 1974, à l’École polytechnique sur son nouveau site de Palaiseau . Au sein de ce laboratoire, Henri prendra la direction de l’équipe de spectrométrie de masse . En 1985, lors de la réorganisation du département de Chimie de l’École polytechnique, les équipes de chimie théorique et de spectrométrie de masse du Laboratoire de synthèse organique seront rassemblées pour créer une nouvelle structure : le laboratoire des Mécanismes réactionnels . Henri, tout d’abord co-directeur de cette nouvelle entité, en devient rapidement directeur à part entière .
On doit rappeler que, durant les années 1960, la spectrométrie de masse orga- nique était dans sa prime enfance : le seul mode d’ionisation disponible était l’impact électronique et les moyens d’introduction des échantillons se bornaient à la vaporisation directe par chauffage . Parallèlement, l’interprétation des spectres de masse reposait exclusivement sur la logique du chimiste, aidée en cela par l’usage de marquages isotopiques ou de dérivatisation de groupes fonctionnels . C’est dans ce cadre qu’il faut placer les travaux novateurs réalisés par Henri durant la période 1962-1977 sur de nombreux composés naturels, qui aboutissent notamment à la « règle de Stevenson-Audier » . Ensuite, ses thématiques se développeront suivant de nombreuses perspectives, toujours à partir d’une réflexion sur la nécessaire ouverture vers d’autres disciplines .
Henri adorait transmettre, en dépit (ou peut-être à cause) du cruel souvenir de sa scolarité . Il consacrait toute son énergie aux jeunes scientifiques qui entraient dans son laboratoire ou collaboraient avec son équipe, et il a encadré une dizaine de thésards et au moins autant de stagiaires post-doctoraux . Scientifique exigeant, il a rédigé, ou co-rédigé environ 200 publications et établi des collaborations fortes avec plusieurs dizaines de collègues étrangers, qu’il invitait dans son laboratoire et rencontrait dans les conférences internationales . Ses très nombreux collègues lui ont rendu hommage, pour ses soixante ans, en publiant un numéro spécial de l’International Journal of Mass Spectrometry . A Collection of Invited papers in Honour of Henri Edouard Audier on the occasion of his 60th birthday and in Recognition of his Many Contributions to the Elucidation of Reaction Mechanism in Mass Spectrometry (Elsevier vol . 198, 2000) . Outre de nombreux articles scientifiques, ce livre retrace en détail la carrière scienti- fique d’Henri et liste les références de 198 de ses publications .
Scientifique novateur et obstiné, Henri a été en même temps un défenseur infati- gable de la recherche et des jeunes chercheurs, auxquels il consacrait tant de temps . Il a mené un véritable combat, durant des décennies, pour une vérité sur la dépense publique et privée de la recherche en France, et pour éviter les « copier-coller » trop réducteurs dans les comparaisons entre les politiques publiques de recherche dans les benchmarks mondiaux . Engagé et impliqué dans de multiples actions en faveur de la recherche publique et des chercheurs, il a siégé dans de nombreuses instances – il a été notamment représentant du personnel au Conseil d’administration de l’École polytechnique, siégé à celui du CNRS pendant une dizaine d’années, ainsi qu’au Conseil supérieur de la recherche et de la technologie (CRSCT) dont la mission était de conseiller le gouvernement en matière de recherche et technologie . À ce titre et pour son œuvre scientifique, Henri sera nommé à l’ordre de la Légion d’honneur .
Henri s’est beaucoup exprimé publiquement et a beaucoup écrit sur la poli- tique de la recherche, toujours avec une rigueur toute scientifique et avec le souci constant des conséquences concrètes des orientations défendues . Par exemple c’est avec Hubert Curien – à l’époque directeur de la DGRST – qu’il négocie le passage de simples bourses à un statut de salarié doté d’une allocation de recherche ministérielle pour les thésards .
Dès l’ENS il adhère à l’Unef puis, en 1962, à son entrée au CNRS, il entre au Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS), où il restera actif toute sa vie . Il sera aussi un des fondateurs du mouvement « Sauvons la Recherche », créé en 2003, après avoir publié dans Le Monde une tribune intitulée « Il faut sauver notre recherche scientifique » (Le Monde, 07/04/2003) . Il y dénonce la chute abyssale des moyens consacrés par le gouvernement de l’époque à notre recherche civile publique
[http://www.lemonde.fr/planete/article/2003/04/07/il-faut-sauver-notre-re... scientifique-par-henri-audier_315966_3244.html#EhjHiU1EJx7doQOD.99]
Si Henri fut un orateur qui acceptait volontiers les invitations à la radio, son mode d’expression principal était l’écrit, avec des dizaines de contributions analysant les budgets, les politiques et leurs conséquences sur la recherche et l’avenir du pays, toujours émaillées de propositions concrètes . Parmi ses très nombreuses expressions, on peut citer celles figurant dans deux ouvrages, L’Université et la recherche en colère (éditions du Croquant, 2009) ou encore L’Appel des Appels, de 2009 également, ainsi que les articles publiés dans La vie de la recherche scientifique . En 2010, il ouvre un blog (http://blog.educpros.fr/henriaudier/) qu’il alimente très régulièrement jusqu’en 2016, où il informe sur la vie scientifique mais aussi exprime ses doutes, ses colères et ses propositions autour des orientations politiques touchant à la recherche scientifique et à l’enseignement supérieur .
Parmi ses nombreuses contributions à la presse, le titre d’un de ses articles paru dans Libération le 10 mars 2005 synthétise peut-être le mieux sa position, proclamée durant toute sa vie : « La Recherche refuse l’euthanasie » . Et sa conclusion formule sans doute le mieux son obstination : « Conscients que leurs demandes conditionnent l’avenir du pays, les universitaires et les chercheurs sont bien décidés à continuer à se faire entendre . Le temps qu’il faudra » . Mais c’est le plus souvent avec humour voire ironie qu’Henri entendait faire passer ses messages, lui qui aimait tant la vie .
Ajoutons qu’Henri adorait l’École, probablement parce qu’elle avait marqué pour lui à la fois l’ouverture au monde, au débat, et à la science . Il en a toujours été un inépuisable défenseur
Henri Édouard Audier est le père d’Agnès-Corinne Audier (1984 S), et de Serge Audier (1990 l) .
Florence AUDIER, son épouse