BARTHÈS (épouse LIGNON) Marguerite - 1943 S
BARTHÈS (Marguerite, épouse LIGNON), née le 10 août 1923 au Bousquet- d’Orb (Hérault), décédée le 14 septembre 2014 à Caen (Calvados). – Promotion de 1943 S.
Marguerite Barthès Lignon est née dans l’Hérault où ses parents étaient instituteurs . Je n’ai connu Maïtoue – c’est ainsi qu’elle voulait qu’on l’appelle – qu’à la rentrée d’oc- tobre 1943, à la Maison des étudiantes du 214 boulevard Raspail à Paris, où résidaient les sévriennes scientifiques ; les littéraires habitant rue de Chevreuse, de l’autre côté du boulevard Raspail . Je ne l’avais pas remarquée en juin 1943 parmi les admissibles regroupées à la Sorbonne pour l’oral du concours . Et pourtant, son accent méridional, très prononcé, la faisait repérer partout où elle passait... À cette époque il y avait dans les couloirs de l’oral beaucoup d’admissibles venant de la taupe féminine du lycée Fénelon . Les pronostics de succès accordaient toutes les places aux Parisiennes... et rien aux provinciales comme moi, qui venais de Clermont-Ferrand, ou Maïtoue qui venait de Montpellier . Mais les résultats – qui ne sont pas tombés le jour prévu – ont démenti ce pronostic ! Nous avons appris, beaucoup plus tard, que le ministre de l’Éducation, Abel Bonnard, collaborationniste et antisémite notoire, avait demandé au jury de transmettre au ministère les dossiers des élèves reçues pour vérification de leurs ascendants ! C’était la guerre, la pénurie, je ne pouvais faire changer mon billet de chemin de fer, j’ai quitté Paris sans savoir si Maïtou et moi étions reçues . Je ne l’ai appris que trois jours plus tard !
(Ce n’est qu’en rédigeant cette notice que les souvenirs de cette époque difficile me reviennent en force en mémoire et je prie mes lecteurs de m’excuser) .
Malgré les difficultés de la guerre, nous étions joyeuses d’être sorties de la Taupe et d’aborder les études supérieures : en première année, pour toutes, calcul diffé- rentiel et intégral, physique générale... Matheuses et physiciennes ne se séparaient qu’en deuxième année ; les matheuses passaient mécanique rationnelle et un certi- ficat d’études supérieures à choisir, pour la plupart mécanique céleste ; en troisième année, elles passaient l’agrégation . Les physiciennes, elles, passaient chimie générale et mécanique rationnelle ; leur troisième année était consacrée à un diplôme d’études supérieures sous la direction d’un professeur spécialiste ; elles passaient l’agrégation seulement en quatrième année .
La vie était assez facile malgré l’occupation et les alertes qui nous obligeaient à descendre dans les caves... Nous ne sortions guère mais nous dansions le soir entre nous : Lucette Luc se mettait au piano à queue du hall et nous dansions sur le Danube bleu ou les valses de Chopin... Bien sûr les Parisiennes allaient en week-end dans leur famille . De solides amitiés sont nées entre nous . Maïtoue était gaie, dynamique et s’intéressait à tout . Elle avait retrouvé, à la rue d’Ulm, son ancien camarade de Taupe de Montpellier, Émile Pallarès (1943 s), joyeux, brillant et dynamique comme elle . Une de nos camarades parisienne, Nicole Fontanel (1943 S) tombera sous le charme d’Émile et Maïtoue qui aimait et admirait l’élégance et l’intelligence de Nicole aura la joie d’assister à son mariage avec Émile . Ils parlaient beaucoup d’un autre cama- rade de Montpellier, Georges Charpentier, réfugié en zone libre avec sa famille pour échapper aux poursuites de la Gestapo, car ils étaient juifs . Georges a été arrêté en 1943, non comme juif mais comme résistant . Sa mère se tourmentait beaucoup . Il avait passé les écrits des concours mais fut arrêté avant de connaître les résultats . Maïtoue allait voir régulièrement sa mère pour lui remonter le moral . Celle-ci lui restera reconnaissante de l’avoir soutenue dans son épreuve... Elle le redira plus tard à notre amie Yvonne Bruhat Choquet (1943 S) qu’elle rencontra dans le Midi . Georges Charpentier, de son vrai nom Charpak, devint le très grand physicien que l’on sait, prix Nobel de physique .
Je me rappelle qu’en 1945 la directrice de Sèvres nous demanda d’aider à l’accueil des rescapés libérés des camps qui venaient d’arriver en masse à Paris . À l’époque, même les plus grands hôtels n’avaient pas de machines à laver la vaisselle ! Tout se faisait manuellement . On nous a envoyées à l’hôtel Lutetia, en face du Bon Marché, sur le boulevard Raspail : mon amie Lucile et moi avons fait « la plonge » pendant deux jours sans nous arrêter ; même pour manger . Mais nous étions heureuses de participer, à notre échelle, à la libération des camps . Maïtoue, quant à elle, ainsi qu’elle nous l’a confié le soir, avait été affectée, non pas à la vaisselle, mais aux douches des rapatriés ; elle avait vu, toute la journée, des corps meurtris et amaigris . L’amitié qui nous unissait nous permettait de mettre en commun nos joies et nos peines .
Maïtoue a été reçue à l’agrégation de mathématiques en juillet 1946 : elle a été professeur successivement à Orléans, puis à Montgeron, enfin au lycée Jules-Ferry où elle enseignait en seconde, première et terminale . Elle a eu comme élève Anne Chopinet, première femme reçue à l’École polytechnique en 1972 .
Elle s’est mariée en 1948 avec le fils d’instituteurs amis de ses parents, Jean Lignon, polytechnicien, économiste au ministère de l’Industrie . Ils ont eu deux enfants : Germain, né le 7 juin 1949, médecin généraliste à Paris et Françoise, née le 11 janvier 1951, épouse Gillibert, agrégée de mathématiques et mère de famille nombreuse : elle a eu douze enfants .
Maïtoue s’est beaucoup occupée de ses petits-enfants : Cécile Lignon, née en 1980, graphiste, designer et directrice artistique, Julien Lignon, né en 1981, musicien .
Les enfants de Françoise Gillibert ont fait, pour la plupart des carrières mathéma- tiques ; Maïtoue surveillait de près leurs études et quand elle ne pouvait les aider en physique, elle s’adressait à moi : je me rappelle lui avoir envoyé, à sa demande, un dossier sur le pendule de Foucault et, jeunes et adultes, ils sont arrivés à mettre en route l’expérience dans leur propriété de Normandie !
Maïtoue était à l’écoute de tous ceux qui avaient besoin d’elle . Elle a soutenu bénévolement de nombreux adolescents qui avaient des difficultés en mathématiques, malgré une cécité s’aggravant progressivement . Tous ses élèves ont été marqués par son enthousiasme et sa capacité à tirer de chacun le meilleur de soi .
Je tiens à évoquer le témoignage d’une de ses plus brillantes élèves, l’académicienne Michèle Vergne (1962 S), première femme à avoir été élue à l’Académie des sciences dans la section de mathématiques : elle a confié à notre amie Yvonne Bruhat Choquet, académicienne elle aussi, la cacique de notre promotion Sèvres 1943, qu’elle devait sa vocation au remarquable professeur de mathématiques qu’elle avait eue en terminale, Mme Barthès Lignon !
En 2009, Maïtoue a été opérée d’une fracture du fémur survenue après une chute sur du mobilier urbain . Depuis juillet 2011, elle a séjourné chez sa fille à Vimont, près de Caen . Son mari est décédé à l’hôpital de Caen, le 27 septembre 2011 .
Maïtoue s’est éteinte à son tour paisiblement à l’hôpital de Caen, le 14 septembre 2014 . Elle est restée lucide jusqu’au bout puisqu’elle a dicté, le 7 septembre 2014, à sa petite-fille Myriam, une lettre pour moi . Elle me disait qu’elle avait demandé aux personnes qui l’entouraient de lui lire les Œuvres de Chateaubriand... C’est ainsi qu’elle est partie, aimée de tous et regrettée par tous ceux qui ont eu le privilège de la connaître .
Suzanne ARCAIX GÉLY (1943 S)