BARTHELOT ( épouse DEMERSON) Geneviève - 1950 L

BARTHELOT (Geneviève, épouse DEMERSON), née le 27 juin 1930 à Guéret (Creuse), décédée le 29 août 2015 à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). – Promotion de 1950 L.


Qu’il soit permis à une collègue de Geneviève Demerson et à une camarade de promotion d’ajouter quelques lignes à l’hommage rédigé par J .-M . Croisille .

J’ai rencontré Geneviève pour la première fois en 1950, à la rentrée universitaire . Nous arrivions de nos khâgnes respectives à l’ENS de Sèvres, boulevard Jourdan .

Nous nous sommes retrouvées en 1970, toutes deux latinistes à la faculté des lettres de Clermont-Ferrand, et c’est pendant les vingt années qui suivirent que j’ai appris à connaître Geneviève .

J’ai admiré sa vitalité heureuse, ennemie du désœuvrement et du pathos, son intelligence précise et exigeante, la justesse de ses appréciations, la franchise de ses critiques .

Tous les collègues de Geneviève ont été amusés par son humour, servi par une invention verbale intarissable, qui jaillissait en trouvailles hilarantes (ou féroces) .

J’ai découvert au fil du temps que cette collègue brillante savait, en dépit des obli- gations familiales, de l’enseignement, de la recherche, trouver du temps et de l’énergie pour rendre service aux autres, proches ou non, sans phrases, sans débordement de compassion .

Ainsi, je revois Geneviève – lors d’une fin d’année difficile, où je passais les nuits à l’hôpital auprès de ma mère – s’emparant de mes copies d’examen pour les corriger elle-même et me disant, en guise de commentaire : « Occupe-toi de ta malade ! », avec cette rudesse qui était la pudeur de sa bonté .

Geneviève a fait face aux difficultés de la fin de sa vie avec une simplicité, une luci- dité, une volonté de ne pas peser, un esprit de décision qu’on voudrait savoir imiter le moment venu .

Colette CAMUS (1950 L)

Geneviève Demerson nous a quittés le 29 août 2015 . Affaiblie depuis plusieurs années, elle s’est éteinte paisiblement à l’âge de quatre-vingt-cinq ans .

Issue de Guéret où elle accomplit ses études secondaires, elle fut élève au lycée Fénelon à Paris avant d’être reçue brillamment à l’École normale de Sèvres en 1950 . Admise première à l’agrégation de grammaire en 1955, elle entama sa carrière à Strasbourg aux côtés de son mari Guy, qu’elle avait épousé en 1952 et dont elle eut deux enfants, Christophe et Odile . Après un séjour au lycée Molière à Paris, elle se fixa à Clermont-Ferrand, d’abord comme professeur au lycée Jeanne-d’Arc, puis à la faculté des lettres à partir de 1966 jusqu’à sa retraite en 1992 .

C’est dans ce cadre qu’elle put donner la pleine mesure de ses qualités, tant auprès de ses étudiants que dans le domaine de la recherche . Professeur enthousiaste et exigeant, elle a suscité mainte vocation au sein d’un auditoire qui allait du premier cycle jusqu’à la préparation aux concours de CAPES et d’agrégation, ainsi qu’au DEA .

Membre très actif du Groupe d’études latines de l’université de Clermont-Ferrand (GELUC) fondé par notre regretté collègue Pierre Salat, elle donna dans ce cadre de nombreuses communications . Mais c’est au sein des Centres de recherche sur les civilisations antiques (CRCA) et sur l’Humanisme, la Réforme et la Contre-Réforme (CRHRCR) que se développa son activité scientifique, essentiellement consacrée à la littérature néo-latine de la Renaissance .

Sa thèse de doctorat d’État, soutenue en 1981, et intitulée Dorat en son temps . Culture classique et présence au monde, fut accueillie très favorablement tant en France qu’à l’étranger, comme le souligne la belle préface que lui consacra I . D . McFarlane, professeur à Oxford, dans l’édition parue en 1983 . Celui-ci souligne l’importance de ce travail sur une personnalité trop méconnue et considérée simplement en rapport avec les poètes de la Pléiade et surtout Ronsard, dont il fut le maître : en réalité, Dorat ne fut pas seulement un pédagogue, mais un véritable poète, qui avait une haute conception de son art . Ses Odes latines, dont Geneviève Demerson avait donné une savante édition, présentée par Verdun-Louis Saulnier, dès 1979, sont un éclatant témoignage de ses qualités, qui n’avaient pas échappé à Montaigne (celui-ci le cite dans ses Essais sous le nom d’Auratus), et le placèrent au rang de « poeta regius » .

Précédemment (1975), elle avait publié une série de textes concernant les Polémiques autour de la mort de Turnèbe, débats animés à propos de l’abjuration supposée de cet humaniste et poète, qui, sur son lit de mort en 1552, serait passé du catholicisme au calvinisme .

Puis, en 1984, elle donna une remarquable édition commentée des Poemata de Joachim du Bellay, rendant ainsi accessible la production latine de ce grand poète, surtout connu, évidemment, pour son œuvre en français . Alain Michel, dans une bril- lante préface, souligne justement l’intérêt culturel de ce passage, naturel chez l’auteur, d’une langue à l’autre, instituant ainsi un dialogue fécond entre les mondes antique et moderne . Suit en 1985 l’édition des autres œuvres latines du poète . Plusieurs articles importants avaient préludé à ces éditions : ils ont été regroupés en 1996 dans un volume intitulé Joachim du Bellay et la belle Romaine, présenté par Terence Cave : la position de J . du Bellay face à ses deux Muses – latine et vernaculaire – y est précisée, ainsi que ses rapports avec plusieurs poètes latins, notamment Virgile, Horace et Ovide .

Vint ensuite en 2006 l’édition de l’œuvre poétique du cardinal Jean du Bellay, oncle et protecteur de son illustre neveu . Ce travail, réalisé en collaboration avec Richard Cooper, complète heureusement les éditions des Poemata de Joachim .

Déjà, en 1973, Geneviève Demerson avait édité les Lettres et poésies latines de Rabelais dans le cadre de l’édition complète, plusieurs fois réimprimée de l’œuvre de Rabelais dirigée par son époux, Guy Demerson (1950 l), spécialiste mondialement connu du grand humaniste .

Outre ces contributions fondamentales, qui permettent de jeter un nouveau regard sur la littérature néo-latine de la Renaissance, Geneviève Demerson a élargi son enquête à des auteurs moins connus, donnant comme sujets de recherche à plusieurs étudiants l’œuvre épique de poètes néo-latins concernant la conquête du Nouveau Monde, notamment le De nauigatione Christophori Columbi de Lorenzo Gambara, ouvrage auquel elle consacra plusieurs articles .

Parmi ses autres centres d’intérêt, on peut enfin mentionner les œuvres latines de Pétrarque, Dolet, Baudouin, ainsi que des articles sur César, Lucain et Ammien Marcellin, et de nombreux comptes rendus dans diverses revues .

On mesure ainsi l’importance de l’œuvre scientifique de Geneviève Demerson, qui s’est révélée comme l’un des meilleurs spécialistes de la Renaissance .

Au sein de l’université Blaise-Pascal, elle a toujours exercé avec une grande compétence les responsabilités administratives inhérentes à ses fonctions, tant au département de latin que dans les organismes d’enseignement et de recherche .

La forte personnalité de Geneviève Demerson a marqué de son empreinte non seulement son université à laquelle elle est restée profondément attachée, mais aussi toute la communauté des latinistes, tant en France qu’à l’étranger . Si ses collègues et ses anciens étudiants clermontois ressentent particulièrement cette perte, son rayonnement a largement dépassé les limites nationales : c’est d’un témoin et d’un promoteur exceptionnel des valeurs humanistes liées à la langue latine que nous déplorons la disparition .

Jean-Michel CROISILLE