BLAMONT Jacques - 1948 s

BLAMONT (Jacques), né le 13 octobre 1926 à Paris, décédé le 13 avril 2020 à Châtillon (Hauts-de-Seine) – Promotion de 1948 s.


Jacques Blamont, un des pères de la recherche spatiale, est décédé à 94 ans probablement de la Covid-19 due au coronavirus (SARS-CoV-2) qui l’avait coupé de ses contacts quasi-journaliers. Il était resté actif jusqu’à ses derniers jours, gardant intactes son intelligence et son infaillible mémoire.

« Onze ans rue Lhomond avec Kastler et Brossel... »

Tel est le début du titre d’un article que Jacques Blamont (1948 s) publia dans le Bulletin n°225/226 de la Société des amis de l’École normale supérieure en décembre 2002, dans

lequel il rend hommage à ses maîtres Alfred Kastler (1921 s.) et Jean Brossel (1938 s.), particulièrement à A. Kastler auquel il a voué une immense admiration durant toute sa vie. C’est donc sans surprise qu’on lit dans un texte sur la création de l’Espace européen intitulé « Uchronie la création de l’Espace en France », et rédigé en 2018 : « L’Espace européen est donc l’enfant du sodium crépusculaire de Kastler. »

En effet le sujet de diplôme proposé à J. Blamont en 1950 par Kastler ne portait pas sur les sujets de prédilection du futur groupe LKB (Laboratoire Kastler Brossel), mais sur une passion que Kastler avait développée avec son ami Jean Bricard, l’étude du sodium crépusculaire. Et le fait que ce travail se déroulerait à l’observatoire de Haute Provence, qui était pour lui un lieu mythique, avait attiré le jeune Blamont. À son tour le sodium devint la passion de Blamont à laquelle il doit ses premiers succès dans l’Espace. Il m’est d’autant plus facile d’en parler que mon sujet de thèse a été le prolongement des travaux de Kastler et Bricard qui dataient des années 40 et dont le principe a contribué 20 ans plus tard aux données qui ont permis d’obtenir grâce aux nuages de sodium créés par fusées, le premier modèle de température de la haute atmosphère.

Mais l’arrivée au labo Kastler de Jean Brossel en1954, qui arrivait du MIT auréolé de gloire, a ramené Blamont à des sujets plus typiques de la future équipe Kastler- Brossel et sa thèse porta sur l’effet Stark du mercure par double résonance optique et magnétique, qui fut en fait la seconde thèse de l’équipe après celle de Jacques Winter (1949 s.). L’observation des transitions à plusieurs photons de l’atome de sodium (thèse de Bernard Cagnac, 1950 s.) qui devait ouvrir plus tard à l’exploitation du pompage optique aurait pu séduire Blamont et le conduire à poursuivre ses recherches dans l’équipe. D’autant plus que l’ambiance de cette équipe et l’atmosphère de joie créatrice qui régnait dans ce laboratoire avaient totalement capté le jeune chercheur séduit par la beauté et la noblesse de la science pure d’après ses propres mots, si au moment critique du choix, Jean Coulomb, André Danjon et Alfred Kastler lui-même ne lui avaient demandé de prendre en main l’utilisation scientifique des fusées Véronique et la contribution de la France à l’Année géophysique internationale. Un autre destin s’ouvrait alors.

« ...des caves de la rue Lhomond aux fusées spatiales du CNES. »

(Suite et fin du titre de l’article signalé ci-dessus)

Nommé chargé de recherche au CNRS après avoir soutenu sa thèse, Jacques Blamont part pour les États-Unis à l’université de Wisconsin. Il va y découvrir les expériences au sodium menées dans la haute atmosphère à l’aide de fusées-sondes. Revenu en France, il est élu professeur à la faculté des Sciences de Paris en 1957. L’année suivante, il fonde le premier laboratoire français de l’Espace, le Service d’aéronomie. Alfred Kastler puis Pierre Auger en seront les premiers directeurs avant que Blamont ait l’âge de le devenir et il en restera le directeur jusqu’en 1985. Il constitue sa première équipe avec quatre normaliens, Philippe Delache (1956 s), Pierre-Yvan Gal (1956 s), Pierre Léna (1956 s) et François Roddier (1956 s), il demande et obtient l’affectation de Claude Cohen-Tannoudji (1953 s) alors sous-lieutenant des Forces terrestres aériennes à Nîmes et pour ma part j’ai la chance que Jean Brossel me recommande à Blamont pour compléter l’équipe.

Alfred Kastler met gracieusement à la disposition de Blamont quelques mètres carrés au premier étage de son labo où la jeune équipe prépare les instruments qui participeront à la première campagne de tirs au Sahara en mars 1959. Les fusées Véronique sont équipées de pots de sodium destinés à créer des atomes de sodium dans la haute atmosphère.

Le succès de ces tirs permet à J. Blamont de proposer au général de Gaulle la création d’une Agence spatiale française. De Gaulle accepte et en 1961 le CNES (Centre national d’études spatiales) est créé, J. Blamont en fut le premier direc- teur scientifique et technique puis le conseiller scientifique des directeurs successifs jusqu’à la fin de sa vie. On lui doit, entre autres succès, la mise au point des premiers satellites français (FR1 et Tournesol), et le choix de Kourou en Guyane comme base européenne de lancement de fusées.

À la tête de son équipe de jeunes chercheurs et ingénieurs au Service d’aéronomie avec les moyens développés au CNES, il contribue à de nombreuses découvertes en géophysique et en astrophysique. Il met en évidence la turbopause (limite supérieure de la turbulence dans l’atmosphère) en utilisant l’interaction de la lumière avec les atomes de sodium, il réalise les premières mesures du vent et de la température de la haute atmosphère, il développe les ballons stratosphériques pour observer l’envi- ronnement terrestre et planétaire, et il introduit le LIDAR, technique de sondage de l’atmosphère par laser (autre héritage du laboratoire Kastler) pour mesurer température, ondes et concentration en ozone.

Avec les satellites OGO-5 (NASA 1968) et Tournesol (CNES 1971), il étudie la géocouronne, partie la plus extérieure de l’atmosphère terrestre, composée d’atomes d’hydrogène éclairés par le soleil en ultra-violet (rayonnement Lyman-alpha) seule- ment observable depuis l’espace. Il découvre le flot d’hydrogène interstellaire qui traverse le système solaire (vent interstellaire) et l’enveloppe d’hydrogène des comètes. Il développe la mission internationale VEGA d’exploration combinée de la planète Vénus et de la comète de Halley (1985-1986). Il participe à l’exploration de Mars et de ses lunes (Phobos en 1988), et à l’étude des planètes géantes (Voyager 1977-1989).

Les observations par satellite devaient passer par une coopération avec les États- Unis et /ou l’URSS, le CNES, seul, n’en ayant pas les moyens techniques et financiers. C’est une des réussites de Jacques Blamont d’avoir, en pleine guerre froide, pu colla- borer à la fois avec les soviétiques et les américains efficacement et sans conflit. Il entretint toute sa vie d’excellentes relations avec ces deux pays : professeur invité au Jet Propulsion Laboratory de la NASA et collaborateur permanent du Centre spatial soviétique puis russe (IKI, dirigé par Roald Sagdeev). Il a reçu la plus haute distinc- tion accordée par l’URSS à des non-Soviétiques, l’Ordre de l’Amitié des peuples.

En 1964 il entreprend de développer des relations scientifiques avec l’Inde et contribue à la création en 1969 du programme spatial indien avec le Dr. Vikram Sarabhai, premier président de l’ISRO (Indian Space Research Organisation). En 2015, les insignes du Padma Shri (ordre civil indien le plus élevé) lui sont remis à New Delhi par le président de la République de l’Inde, décoration qui s’ajoute aux nombreuses distinctions obtenues d’autres pays.

L’humaniste et ses inquiétudes sur le sort de la planète Terre

Jacques Blamont était avant tout un universitaire, il a enseigné avec passion la physique pendant toute sa carrière. Il avait l’optimisme de croire au rôle de l’éduca- tion pour contribuer à l’amélioration des conditions de vie et pour corriger les aspects négatifs du développement productiviste de nos sociétés. D’où le développement en Inde de satellites destinés à la diffusion de programmes d’éducation, le combat qu’il a mené en Haïti, pour recréer l’Université et reconstruire l’école primaire après le tremblement de terre de 2010, et ses efforts pour implanter en Guyane une université et une Maison pour la Science destinée aux enseignants.

Dans cette même perspective, il s’est intéressé aux évolutions du numérique comme vecteur sociétal, voir « Réseaux ! Le pari de l’intelligence collective » (CNRS Éditions, 2018). Il a suscité la création de la plateforme Fédération du CNES qui utilise la créativité des jeunes hackers et makers dans les fablabs...

Mais convaincu que l’humanité courait à sa perte, l’enthousiasme pour la recherche a laissé place à l’inquiétude et au pessimisme exprimés dans son livre, Introduction au siècle des menaces (Odile Jacob, 2004). Il pensait que quatre redoutables menaces pesaient sur le xxie siècle : les conflits armés (conventionnels et asymétriques), l’épuisement des ressources, le réchauffement climatique... et l’expansion des épidé- mies : « Le xxie siècle siècle sera l’ère des épidémies », prédiction qui prend en 2020 un sens bien particulier. Son livre, co-écrit avec le théologien Jacques Arnould, « Lève-toi et marche », Propositions pour un futur de l’humanité (Odile Jacob, 2009), puis une adresse au pape François, sont le signe d’un peu d’optimisme à trouver un relais efficace et amplificateur de ses messages d’alerte auprès de hautes autorités morales.

Peu de personnes ont des passions aussi multiples, Jacques Blamont avait aussi une passion pour la littérature. Il avait hésité entre lettres et sciences à son entrée à l’École. Il avait le goût d’écrire, il a publié une douzaine de livres tels que :

Vénus dévoilée : voyage autour d’une planète (Odile Jacob, 1987),

Le chiffre et le songe : histoire politique de la découverte (Odile Jacob, 1993),

Le lion et le moucheron : histoire des Marranes de Toulouse (Odile Jacob, 2000), un ouvrage de souvenirs :

L’action, sœur du rêve. Souvenirs de voyage (E-Dite, 2012), et un ouvrage intimiste :

Jacques-Émile Blamont. Ma vie, mes proches, mes paysages (2 volumes, Blurb, 2017).

Il avait aussi un jardin secret, la peinture, il laisse une série de tableaux inconnus de la plupart de ses collègues.

 

Marie-Lise CHANIN
Dr. émérite à l’IPSL/LATMOS (Institut Pierre-Simon-Laplace)