BRAUN René - 1939 l
BRAUN (René), né le 8 septembre 1920 à Constantine (Algérie), décédé le 8 avril 2010 à Perpignan (Pyrénées-Orientales). – Promotion de 1939 l.
Exemplaire et hors normes, la carrière de René Braun le fut à de nombreux titres . Né à Constantine, les brillantes études qu’il y accomplit le conduisirent tout natu- rellement à Louis-le-Grand en hypokhâgne en 1937 et à l’ENS d’Ulm en 1939 . Peu prolixe sur cette période sombre des années normaliennes, René Braun se plaisait à rappeler surtout les solides amitiés liées avec des condisciples qui devinrent quasi- ment tous membres de l’Institut et des professeurs qui étaient la gloire des humanités commePaulMazon,AlfredErnoutouPierreCourcelle(1930l) . L’histoireretiendra que le jour même de l’offensive du 10 mai 1940 se déroulait un fameux canular à Ulm dont il était le centre : l’accueil en grande pompe de Sidi ben Broni par la fine fleur des Lettres françaises . C’est à l’École qu’il se dirigea vers ce qui deviendra son domaine de prédilection, Jean Bayet (1912 l) l’orienta vers la littérature chrétienne et ses origines le conduisirent très naturellement à s’intéresser aux Pères africains .
Très attaché à sa famille et à l’Algérie – il évoquait avec une grande nostalgie les festivités du Centenaire, en 1930, auxquelles il avait pu assister depuis un balcon sur la grand-place d’Alger, notamment l’arrivée de Gaston Doumergue, président de la République – il choisit d’y repartir, dès l’obtention de son agrégation de grammaire en 1942 alors même qu’il aurait dû partir à l’École française de Rome pour laquelle il était pressenti .
Pendant dix ans, au lycée d’Aumale (maintenant Sour El Ghozlane), puis dans sa ville natale, puis au lycée Gautier, à Alger, il accomplit ses premières armes dans le domaine de la recherche, publiant en 1955 son premier article sur Tertullien, dont il allait devenir le plus grand spécialiste mondial . Hormis une année à Strasbourg, université célèbre pour ses patristiciens, en 1956-7, à partir de 1952, comme assistant puis chargé d’enseignement, René Braun professa à la faculté des Lettres d’Alger, deuxième université française alors . Contrairement à bon nombre de ses contem- porains, les événements et l’indépendance de l’Algérie n’entamèrent pas son amour pour ce pays et ce n’est que contraint par la fermeture de la section de latin, en 1963, qu’il dut se résoudre à regagner la métropole avec sa mère, devenue veuve .
Entre-temps avait eu lieu la soutenance magistrale de ses deux thèses en Sorbonne, en 1962, face à un jury prestigieux composé de Pierre Courcelle, Jacques Fontaine (1940 l), Jacques Heurgon (1923 l), Henri-Irénée Marrou (1925 l) et Jacques Perret (1924 l, directeur) . Sa thèse principale a renouvelé la connaissance de Tertullien mais aussi de la rhétorique et de l’écriture des Pères africains . Immédiatement publiée, Deus Christianorum. Recherches sur le vocabulaire doctrinal de Tertullien, reste un classique incontournable, bien qu’introuvable ! Une seconde édition due aux bons soins des Études augustiniennes en 1977, qui comporte près de 100 pages supplémen- taires, sera vite épuisée également . La publication de la thèse complémentaire de René Braun allait, elle, inaugurer une collaboration fructueuse, de plus de quarante années, avec les Sources chrétiennes, où furent éditées, en 1964, aux volumes 101 et 102 de la collection, le Livre des prédictions et des promesses de Dieu de Quodvultdeus, évêque de Carthage, à qui était enfin réattribué ce texte essentiel . Les Opera du même auteur suivront dans le Corpus Christianorum, series Latina, vol . 60, en 1976, chez Brepols .
C’est dire si René Braun n’eut aucune difficulté, devenu désormais professeur en titre, pour s’établir en métropole . Nommé à l’université de Provence, il fut un des fondateurs de la faculté des Lettres et Sciences humaines de Nice qui ne sera créée, avec l’Académie, qu’en 1965 mais dont les bases, en tant que collège universitaire, furent posées à la rentrée 1963 . Malgré d’incessantes demandes et propositions, René Braun ne souhaita jamais quitter sa chère Provence . Dès son arrivée d’Algérie il y avait ainsi acquis une maison d’été et de week-end à Fayence (Var) . C’est donc à l’université de Nice qu’il a formé des générations d’étudiants jusqu’en 1986 . Sous ses auspices et avec l’assistance du regretté Jean-Pierre Weiss, il constitua un centre de patristique renommé et efficace . Chaque auteur de latin tardif au programme des agrégations littéraires allait faire l’objet d’un cours public, suivi par nombre d’an- ciens étudiants en particulier ; ce cours, commun avec celui de maîtrise, le M1, allait être redouté et les inconscients impétrants patristiciens qui ne se montraient pas à la hauteur des sujets proposés se souviennent encore de l’exigence des soutenances tant en maîtrise qu’en DEA, pour ne rien dire des nombreuses thèses dirigées localement .
René Braun, depuis Nice, n’a jamais perdu contact avec ses collègues parisiens ou étrangers, il se rendait très régulièrement dans la capitale et en Italie pour les y rencon- trer et échanger sur les travaux récents, participer à des colloques, à des jurys de thèse ou d’habilitation . Il fut ainsi, répondant à une demande amicale de Pierre Petitmengin (1955 l), un des fondateurs et des plus ardents collaborateurs en 1974, de la Chronica Tertullianea, devenue par la suite Chronica Tertullianea et Cyprianea . Seuls des problèmes de vue qui n’ont fait que s’aggraver jusqu’à sa disparition le contraignirent à mettre un terme, en 2004, à ces recensions et commentaires qui le passionnaient .
Il eut le bonheur d’épouser à Nice, en 1984, Suzanne Vichet qu’il avait connue avec sa famille en Algérie . Elle lui offrit plus d’un quart de siècle de vie paisible, agréable, lui permettant de devenir en outre un grand-père comblé qui adopta immédiatement ses trois enfants et la jeune génération .
Un double volume d’Hommages, à l’occasion de ses 70 ans, fut publié par l’univer- sité de Nice Sophia-Antipolis, mais cette fausse retraite ne devint effective qu’après que René Braun, en 2002, aura célébré son jubilé de professeur – 50 années d’ensei- gnement ! – par un cours d’agrégation sur Tertullien et une ultime année sur Lactance en 1993 . En effet la retraite avait permis de lancer son magnum opus ; l’édition, la traduction et le commentaire du Contre Marcion, œuvre majeure de Tertullien et sa plus longue de surcroît . Le travail fut mené rapidement et avec efficacité puisque, commencé en 1985, le premier volume put paraître aux Sources chrétiennes en 1990, suivi à intervalles réguliers par les quatre suivants, jusqu’en 2004, sous les numéros 365, 368, 399, 456 et 483 de la collection . Les Éditions augustiniennes avaient salué le projet par un autre volume d’Hommages à sa carrière, en 1992, qui rassemblait sous le titre Approches de Tertullien, 26 études consacrées de 1955 à 1992 à l’auteur et à son œuvre .
L’achèvement du Contre Marcion contribua à l’affaiblissement inexorable de la vision de René Braun et conséquemment à son départ inévitable de ses résidences de Nice et Fayence en 2004 pour Perpignan, où, avec son épouse, affligée des mêmes problèmes, il serait à proximité des enfants de cette dernière .
Jusqu’au 8 avril 2010, il y profitera d’une retraite sereine, très entouré, sans toute- fois cesser de s’intéresser à ses domaines de prédilection : une théorie de lectrices le tenait au courant des ouvrages parus, des recensions et de nombreuses visites lui permirent de maintenir jusqu’à la fin une vivacité intellectuelle sans failles .
Le nom de René Braun restera attaché à ceux de Tertullien et de Quodvultdeus pour la postérité mais le souvenir du professeur, exigeant, d’une prodigieuse érudition mais aussi d’une générosité et d’une bienveillance a priori inattendues, demeurera lui aussi présent chez tous ceux qui auront eu la chance et le privilège de l’avoir connu ou d’avoir travaillé avec lui .
Jean-Philippe LLORED
Professeur de classes préparatoires au lycée Masséna de Nice son ancien élève et collaborateur