CHAZAL Roger - 1950 l
CHAZAL (Roger), né le 8 mars 1930 à Saint-Étienne (Loire), décédé le 4 avril 2015 à Montbrison (Loire). – Promotion de 1950 l.
Lorsque, le 9 avril 2015, les cloches de l’église de Marcilly- le-Châtel se mirent à sonner, nombre d’habitants du bourg et des environs étaient là, pour assister aux obsèques de celui qui était connu dans le pays comme « le professeur » . Ils étaient venus apporter leur reconnaissance et leur sympa- thie aux parents du défunt, et à ses amis, nombreux, venus parfois de loin . Roger Chazal était décédé le 4 avril à l’hôpi- tal de Montbrison . C’était un enfant du pays, au bord de la plaine qui s’étend au pied des monts . Il avait beaucoup voyagé et longtemps vécu ailleurs, mais sa fidélité à la terre natale ne l’avait jamais quitté . Il y était revenu en fin de vie sans en être, par son irrémédiable attachement, jamais parti .
Roger Benoît Chazal est né le 8 mars 1930 à Saint-Étienne (Loire), dans une famille qu’il qualifie lui-même de « rurale », car cet intellectuel tenait à ses origines terriennes . Après avoir été un petit écolier de l’école communale de Marcilly, il a fait ses études secondaires à Roanne, et était passé de là à la « khâgne » du lycée du Parc à Lyon, d’où il a intégré l’École normale supérieure en 1950 . De cette formation il a retenu un goût prononcé pour les « humanités » (il était capable de réciter par cœur, au cours de ses années dernières, des textes de classiques latins), et pour les questions de linguistique . Il avait aussi déjà une spécialisation dans la langue et la littérature anglaises dont il avait conforté la connaissance par deux séjours en Angleterre, en 1947 et en 1950 . Au cours des années d’École normale, il s’est intéressé aux faits de sociologie et de linguistique et gardait un souvenir vif des cours et des entretiens de Michel Foucault, qui y était alors « caïman » . Parallèlement il poursuit sa spécia- lisation en anglais : il rédige un mémoire de maîtrise sur « les idées politiques de Milton », et obtient brillamment l’agrégation en 1954 .
Frais émoulu de l’École et jeune agrégé, il épouse Marguerite Chataing, originaire de Saint-Anthème (gros bourg de la montagne, aux confins orientaux de l’Auvergne), alors institutrice à Roche-la-Molière (Loire) . Il reçoit pour sa part une affectation au lycée Claude-Fauriel de Saint-Étienne . Vient le temps du service militaire, qui est à cette époque long et périlleux . La naissance de son deuxième fils, Denis, après Jean- Pierre l’aîné, lui fait éviter de servir en Algérie, mais n’empêche pas l’éloignement . À la fin de cette période, la famille se trouve à nouveau réunie dans la Loire, lorsqu’en 1958 on lui propose un détachement au Vietnam du Sud, à la faculté de pédagogie rattachée à l’université de Saigon . C’était une période relativement tranquille dans ce pays, après la guerre franco-vietnamienne achevée en 1954, et avant le retour des opérations militaires menées par les États-Unis .
Toute la famille part pour le Vietnam et s’installe à Saigon d’où elle peut faire des excursions jusqu’au Cambodge, en relative sécurité . Les quatre membres de la cellule familiale garderont un indélébile attachement à ce pays, et à tout ce qui touche à l’Extrême-Orient . Après leur retour en France, en 1965, ils s’installent dans une ambiance asiatique, avec un ameublement et un décor faits d’objets ramenés de là-bas . Roger Chazal avait en effet obtenu une affectation comme assistant d’anglais à la faculté des lettres de Bordeaux en 1964, où sa famille le rejoint un an après . Il retrouve à la faculté son ami Pierre Artemenko (1949 l) qui enseignait la psychologie . Les membres de la famille de Roger ont tous importé avec eux quelque chose du Vietnam et en cultivent le souvenir . Roger entreprend des études de chinois . Plus tard, son fils Jean-Pierre reste attaché à tout ce qui touche à l’Asie du Sud-Est, à ses productions musicales et à la vie des minorités ethniques vietnamiennes sur lesquelles il fait des enquêtes de terrain et écrit des articles . Enfin Léo, le fils aîné de Denis, fait un séjour d’études en Corée du Sud . Même si les raisons de son départ n’ont pas de rapport direct avec le passé familial, il reste cette coïncidence, clin d’œil à la vie des siens .
Une nouvelle période s’ouvre de 1964 à 1968, que l’on pourrait qualifier d’« arca- dienne » . Nous n’étions pas des bergers, mais de simples et encore jeunes assistants de la faculté des lettres . Il y avait là Roger (Chazal, promo 50), Raymond (Boudon), Claude (Dubois), Jean-Louis (Laugier), tous les trois promo 54, et Jean-Marc (Pelorson, promo 55) . Nous étions tous mariés et avions à nous tous dix jeunes enfants . Nous avons, au cours de ces quatre années, constitué une petite communauté de fait, conviviale et vacancière . Il nous reste encore à l’esprit les souvenirs de week- ends sur la plage, les cris de joie de nos enfants réunis en mini-colonie de vacances, les repas du soir avec dégustation de crabes et de coques pêchés dans l’après-midi, et quelques épisodes neigeux de sorties pyrénéennes . Les événements de mai 1968, asso- ciés aux changements d’affectation et à quelques ruptures familiales pour certains, ont mis fin à cette période idyllique .
Roger Chazal, dont l’implication avait été très forte dans les tumultes qui avaient affecté l’Université, avait obtenu un poste de maître-assistant au « Centre univer- sitaire de Vincennes », nouvellement créé, qui devint par la suite l’« université de Paris-VIII-Vincennes » installée à Saint-Denis . Il y partit, plein d’espoir pour un nouvel engagement en vue d’un avenir plus radieux dans une société meilleure . « L’homme de quarante ans », pour reprendre un terme connu, voulait refaire son existence sur de nouvelles bases pour une nouvelle vie . Une autre rupture fut son divorce qui devint effectif en 1971 (son épouse et ses fils restèrent à Bordeaux) . Il y eut d’abord chez lui une période d’exaltation . Nous nous rencontrions parfois à la Bibliothèque nationale, située alors rue de Richelieu, pour nos travaux respectifs . Il me parlait longuement de ses recherches sur les sœurs Brontë, et de ses nouveaux collègues, dont certains avaient déjà une grande notoriété, comme Jean Gattégno, mort prématurément en 1994, et surtout Hélène Cixous, dont les combats féministes et les travaux de théorie littéraire ont parfois relégué à l’arrière-plan le fait qu’elle était angliciste . Roger se sentait alors à l’aise, un peu complexé, mais jamais effarouché, bien à sa place dans ce milieu très hautement intellectuel .
Ce fut pour lui une période féconde d’intense activité de recherche . Après avoir publié quelques articles (sur « les écrits anglais des missionnaires britanniques en Chine », ou encore sur« Orwell et les schèmes spatiaux de l’imagination »), il passe en 1984 son doctorat d’État avec une thèse sur « Un texte roué, Wuthering Heights (Les Hauts de Hurlevent, d’Emily Brontë), figures et sources » . Devenu professeur, il continue sa tâche avec compétence, sérieux et persévérance . Mais le temps des illu- sions lyriques est passé . Ses opinions s’infléchissent vers plus de stabilité et un retour vers la tradition . Il quitte l’Université en 1995 et décide de vivre ses années de retraite dans son pays natal .
À vrai dire, il ne l’avait jamais quitté . La maison familiale de Marcilly, qu’il faisait adapter aux besoins de résidence et aux goûts du jour, avait été complétée par l’acqui- sition d’une ancienne bâtisse nommée l’Oupita, autrefois relais de pèlerins, dont il faisait le lieu de séjour de ses visiteurs venus des quatre coins du monde . Il vivait là avec celle qui était devenue sa compagne, Yvonne André . Il avait connu Yvonne en 1964 à Bordeaux, où elle enseignait le chinois à l’Université, et son mari, professeur au lycée de Talence, qui mourut en 1973 . Après son veuvage, Yvonne André fut nommée à Paris . Ils se retrouvèrent et allièrent leurs quêtes intellectuelles et affectives . Elle exerça sur lui une influence bénéfique, dont Jean-Pierre Chazal dit qu’elle « sut adapter sa ténacité normande au caractère exigeant, iconoclaste et parfois fantasque » de son compagnon . Le couple vécut donc, au moment de leur retraite, pour la plupart du temps, à Marcilly . Roger s’intéressait à l’origine des toponymes et des expressions de la langue régionale . Il publia quelques-unes de ses recherches dans des publications appropriées . C’était ce qu’il appelait des « topiques » qui comblaient en toute liberté le désir qu’il avait toujours eu d’explorer « les représentations verbales de l’espace » (on trouve ses publications sur son site http ://www .topique .info) . Au cours de la dernière visite qu’il nous avait faite dans notre résidence d’été de Saint-Agrève (Ardèche), pas très loin de Marcilly, il avait évoqué quelques théories sur l’origine celte des toponymes Marcilly et Marcillac . Il s’impliquait également dans les activités de sa paroisse, ayant retrouvé la foi de sa jeunesse, qu’il vivait comme il avait vécu autrefois sur d’autres idées, avec la même sincérité, la même effervescence et le même enthousiasme . De ce point de vue, il n’avait pas changé .
Claude-Gilbert DUBOIS (1954 l)