DESGRAUPES Bernard - 1973 s.

DESGRAUPES (Bernard), né le 15 mai 1954 à Paris, décédé le 14 novembre 2022 à Paris. – Promotion de 1973 s.


Bernard Desgraupes a été emporté par un cancer, après à peine quinze mois d’une lutte très dure pour lui et ses proches, commencée juste à son départ à la retraite . Il a été soigné tout au long de sa maladie par les services de l’hôpital Saint-Louis et est décédé chez lui à Paris .

Né de Madeleine Blum et de l’homme de télévision Pierre Desgraupes, Bernard Desgraupes a grandi à Paris puis à Neuilly-sur-Seine . Brillant élève, il intègre les classes préparatoires du lycée Louis-le-Grand en 1971 et est reçu en 1973 à l’École normale supérieure, où il passera quatre années . Il obtient l’agrégation de mathématiques en 1976 et commence une thèse sur les « Problèmes aux limites d’ordre quatre dans un ouvert troué périodiquement » avec Jacques-Louis Lions (1947 s), professeur au Collège de France . Il s’oriente ensuite vers les statistiques et l’informatique . Doué d’une puissance de travail hors du commun, il étudie, parallèlement à sa scolarité rue d’Ulm, la direction d’orchestre à la Schola Cantorum dans la classe du chef d’orchestre Jean-Claude Hartemann .

Au sortir de l’École, il devient assistant à l’université de Nanterre . Il se consacre en même temps à l’université et au développement de l’ensemble Erwartung, qu’il a fondé en 1985 et avec lequel il explorera de nombreuses terres inconnues de la musique française du xxe siècle . On lui doit ainsi une intégrale de la musique de chambre de Louis Duret, des pièces peu connues de Jolivet, comme la Suite liturgique, la Suite delphique . Les délicieuses Machines agricoles de Milhaud sont aussi gravées, comme Les Mariés de la tour Eiffel du groupe des Six ou le Socrate de Satie, sans oublier les Fables de La Fontaine par Offenbach, Lecoq, Saint-Saëns . Côté contemporain, il crée entre autres des œuvres de Sciortino, Tanguy, Ducol, Escaich, Casanova . Dans son style de direction, Bernard se soucie bien plus de mettre en valeur la musique, de faire que les musiciens se sentent à l’aise, que de montrer son propre talent . Ses interprétations sont d’une rigueur parfaite avec un respect scrupuleux de la partition et des caractéristiques de chaque instrument . Les musiciens l’ont vite reconnu ; en témoigne le nombre de grands talents avec lesquels il a travaillé . Il gravera avec son ensemble pas moins de quinze CD avec la participation d’Elizabeth Chojnacka, Laurent Naouri, Florence Katz, Marcel Quillevéré, Lionel Peintre, entre autres . Un musicien se souvient qu’arrivant au pupitre devant une salle comble à Madrid pour jouer une œuvre contemporaine très ardue, Bernard ouvrit la partition et secoua vers l’orchestre sa main droite, ouverte devant lui, en soufflant et faisant une grimace, comme s’il en découvrait seulement la difficulté . Sourire et détente dans l’orchestre qui savait à quel point il travaillait ses partitions et qui justement livra ce soir-là une interprétation virtuose . Il est rapidement élu président de la Société nationale de musique à laquelle il donne un souffle nouveau en lançant un bulletin, Intemporel, qu’il se fera un devoir de publier tous les trois mois – assurant lui-même toutes les tâches administratives nécessaires à cette publication . Ce bulletin parut régulièrement entre 1992 et 1998 .

En 1989, il donne La Voix humaine de Poulenc/Cocteau à l’Opéra-Comique avec la très grande Elizabeth Söderström . Il confie à son collègue Patrice Bertail (qui publia une notice aussitôt après son décès, au nom de l’université) que ce fut pour lui le plus grand souvenir de sa vie musicale . Il crée ou recrée en France le Don Juan de Malipiero et assure la création française de l’opéra Le Phare de Peter Maxwell Davies, à la maison de la musique de Nanterre . Il compose à ses heures, notamment quatre petites pièces et un duo pour harpe(s) celtique(s) pour sa fille Zoé qui venait de commencer l’étude de la harpe . Il compose aussi une pièce pour chant et flûte, Idéal maîtresse, d’après un poème de Desnos, restée malheureusement inédite .

Il interrompt ses activités musicales et la vie de l’ensemble Erwartung au début des années 2000, après presque vingt ans de musique, de concerts, de créations et d’enre- gistrements, à cause de la lourdeur des tâches administratives qu’il devait assumer seul .

L’un de ses collègues à Nanterre, féru de musique contemporaine, l’avait entendu en concert avec son orchestre à Lyon et lui avait demandé un jour s’il avait un lien de parenté avec le chef Bernard Desgraupes . C’est dire la discrétion qui était la sienne . Peu lui importait qu’on le sût !

À Nanterre, il est aimé de ses collègues et de ses étudiants . Il devient maître assistant et les cours qu’il met en ligne, sur sa simple page https://bdesgraupes.pages- perso-orange.fr/, sont un véritable trésor, alliant rigueur mathématique et qualité éditoriale et rédactionnelle . Sa volonté de mettre à disposition de ses étudiants et de ses collègues des instruments pédagogiques très clairs le pousse à écrire son livre sur le langage R (Le livre de R), devenu une référence dans le domaine .

C’est d’ailleurs la volonté d’écrire des textes formellement parfaits qui l’a poussé à s’intéresser au langage LaTeX, au point d’en faire un livre . Par la suite, cette démarche – tenter de comprendre un sujet, l’approfondir, l’enseigner, puis le mettre sous forme écrite – l’a conduit à rédiger pas moins de quinze volumes, dont deux traductions1 . C’est ainsi que son intérêt pour le sanskrit l’amena à créer une police de caractères et à écrire un livre sur Métafont .

Pour ses collègues Bernard était un puits de science impressionnant de modestie . On pouvait toujours s’arrêter dans son bureau, il avait toujours le temps de répondre aux questions, de s’intéresser aux problèmes des autres et parfois d’y travailler et d’imaginer des solutions méritant approfondissement . Il a ainsi développé de très nombreux programmes toujours à la disposition de la communauté scientifique . La maladie l’a surpris alors qu’il développait avec des collègues un nouveau paquet sur le langage R . Cette capacité à s’intéresser aux problèmes scientifiques qui n’étaient pas les siens a priori lui a permis d’explorer de très nombreux et vastes domaines .

Personnellement très intolérant face à l’imposture et à la médiocrité, il n’en laissait rien paraître mais pouvait manifester son découragement si un élève ou un groupe d’élèves démontrait n’avoir absolument pas progressé . Comme il appliquait d’abord cette exigence à lui-même, cela le poussait parfois à l’autodérision . On le prit ainsi à s’esclaffer devant l’interrogation « Bernard Desgraupes, le compositeur ? » d’un marchand de musique qui venait de voir son nom . Et il riait encore au souvenir d’un vendeur commentant à un client Le Livre de R : « Ah ! le Desgraupes, c’est une somme . » Fervent adepte du vélo à Paris, il ne rechignait pas à faire plusieurs kilomètres pour aller prendre un café avec un ami professeur .

Tout au long de sa vie, Bernard est resté très proche de sa sœur Hélène . Il a eu deux filles : Zoé avec Dominique Delord, sa compagne de 1979 à 1992, et Sophie avec Katia Denisov avec laquelle il a été marié de 1995 à 2018 . Doté d’un sens de l’humour très aiguisé, il a développé avec ses filles une complicité évidente au premier regard . Elles l’ont accompagné jusqu’au dernier moment .

Thierry SALMONA (1973 s)

Notes : 

1 . On en trouve la liste sur http://www.sudoc.abes.fr/cbs/xslt/DB=2.1/SET=4/TTL=11/NXT ?FRST=1 .