GONTARD Jean-Claude - 1948 s
GONTARD (Jean-Claude), né le 13 août 1929 à Marseille (Bouches-du- Rhône), décédé le 3 août 2019 à Marseille. – Promotion de 1948 s.
L’association a reçu deux contributions pour cette notice, la première, de Jacques des Cloizeaux (1948 s) évoque les années d’École, la seconde, de Jacques Renault (1967 s) évoque l’enseignant au travers de ses souvenirs personnels et de divers témoignages.
Nous nous sommes rencontrés pour la première fois, lors des oraux pour l’entrée à l’École normale supérieure (1948) et nous avons tout de suite sympathisé. Il était mathématicien et moi physicien. À l’École il a rencontré Norbert Roby, lui aussi mathématicien. Norbert Roby venait, comme moi, du Prytanée militaire de la Flèche. Nous y avions préparé le concours d’entrée à l’ENS ; nous étions de bons amis, Jean-Claude et Norbert sont devenus coturnes et c’est ainsi que nous nous réunissions ensemble dans sa turne. Plus tard, en quatrième année, à mon tour, je suis devenu le coturne de Jean-Claude. À cette époque il avait déjà passé l’agrégation de mathématiques et il s’essayait, sans grande conviction, à préparer une thèse sous la direction du Pr Jean Favard (1921 s). Puis nos chemins ont divergé, lui retournant dans le midi (à Marseille), dont il était issu, moi restant à Paris.
Jean-Claude était un expert en géométrie. Quand j’étais à l’ENS j’avais un tapir auquel je donnais des répétitions. Un jour, je lui ai proposé un exercice que je n’avais pas fait. J’ai séché et, revenu dans ma turne, j’ai encore séché et mon coturne de même. Me trouvant auprès de Jean-Claude au repas suivant, je lui ai proposé mon exercice. Il m’a répondu en donnant deux réponses positives à ma question, ajoutant qu’il m’en donnerait une autre après le repas, dans sa turne, où il pouvait disposer d’un tableau noir pour la démonstration, ce qu’il fit.
Nous ne nous étions pas oubliés malgré l’éloignement. Aussi ne fus-je que modé- rément surpris quand, beaucoup plus tard, il me contacta pour reprendre une correspondance qui ne s’est éteinte qu’avec l’annonce de sa mort.
Jacques des CLOIZEAUX (1948 s)
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Le retour de Jean-Claude Gontard de Paris à Marseille, le passage de la rue d’Ulm au lycée Thiers de Marseille où il a fini sa carrière, n’a pas été instantané ; il a suivi un itinéraire qui est loin de la ligne droite : Tournon, l’Algérie, Rouen, Lyon, Poitiers, Lyon de nouveau en sont les étapes. Dans la capitale des Gaules, au lycée du Parc, il sera resté au total 25 ans, y laissant une trace longtemps vivace.
C’est à Lyon que je l’ai connu : à la rentrée 1974, je suis devenu son collègue direct, enseignant la physique et la chimie dans « sa classe » de mathématiques spéciales, et ceci jusqu’à son départ à Marseille.
En premier lieu je dois dire que j’ai été bien accueilli par Jean-Claude Gontard. Ceci était méritoire de sa part, car je n’avais que 25 ans et seulement trois ans d’ensei- gnement en « spéciales » à mon actif. J’ai travaillé avec lui huit ans, pratiquement toujours en bonne intelligence.
Ces huit années ont été des années marquantes : auprès d’un collègue à la person- nalité très affirmée, très dévoué à sa classe, mais qui pouvait transformer une séance d’exercices en drame, et qui vivait toutes les contraintes matérielles et administra- tives comme des offenses personnelles. Près de quarante ans plus tard, certaines scènes, où la frontière entre le théâtre et la véritable colère était parfois incontrôlée, sont toujours présentes dans ma mémoire.
Qu’on me pardonne d’évoquer l’une d’entre elles : elle est assez typique de la façon d’agir de mon collègue. Nous sommes au début d’un conseil de classe. Tous les professeurs sont là, ainsi que le proviseur de l’époque, M. Laroche. Seul manque le professeur principal, Jean-Claude Gontard. Au bout d’une vingtaine de minutes, celui-ci arrive, avec un air contrit de circonstance, avançant, sans trop y croire, l’explication suivante : « Veuillez m’excuser, j’étais avec les élèves. » « Non, Monsieur Gontard », répond le proviseur, « vous n’étiez pas avec les élèves, vous étiez avec les mathématiques ». Je ne pense pas que le proviseur, au-delà du mot d’esprit, ait compris que « Monsieur Gontard » ait pu prendre cette flèche pour un éloge.
Dans les lignes qui suivent, je voudrais d’une part retracer les étapes de la carrière de mon collègue, carrière entièrement consacrée à l’enseignement en classes prépara- toires, d’autre part cerner quelques traits d’une personnalité complexe et hors normes.
Né à Marseille le 13 août 1929, Jean-Claude Gontard avait une sœur aînée, Colette, née en 1928, et un frère nettement plus jeune, Alain, né en 1943. À la nais- sance d’Alain, leur père dirigeait une usine à Sfax en Tunisie.
Dès son enfance, Jean-Claude Gontard a manifesté une capacité certaine à s’abs- traire de ce qui, dans le monde extérieur, pouvait déranger le cours de ses pensées. Sa nièce évoque ainsi cette faculté :
« Jean-Claude était passionné dans son enfance par les romans de Jules Verne. Pour ne pas perdre un seul moment de lecture, il s’accrochait à la robe de sa mère et partait avec elle faire les courses en lisant dans la rue pour continuer non-stop sa lecture. Ma mère, à côté, papillonnait, regardait les étals, bien plus intéressée par les activités extérieures que mon frère. « Jean-Claude a fait sa scolarité, école primaire et lycée (qui couvrait à l’époque les études collège/lycée), dans le public à Sfax. Il a passé le bac maths en juin à Sfax puis est rentré sur Marseille défini- tivement et a passé (comme cela se faisait souvent) le bac lettres en septembre à Marseille. Ce fut ensuite les classes préparatoires à Thiers. Il m’avait dit avoir briè- vement hésité à aller en préparatoire lettres ; je pense que mon grand-père a pesé dans la balance du choix vers les mathématiques ! »
Jean-Claude Gontard a fait ses classes préparatoires au lycée Thiers, à Marseille et a été reçu à l’École en 1948.
Reçu à l’agrégation de mathématiques en 1951, il est resté encore un an rue d’Ulm où il a commencé à préparer une thèse sous la direction de Jean Favard (1921 s), ceci « sans grande conviction » comme le dit Jacques des Cloizeaux dans la première partie de cette notice.
Il a été nommé provisoirement au lycée Gabriel Faure de Tournon avant de partir au service militaire en Algérie. Il en reviendra lieutenant de réserve (2e réserve).
De retour d’Algérie, il fut nommé au lycée Pierre Corneille de Rouen (d’oc- tobre 1953 à septembre 1954), puis au lycée du Parc de Lyon de septembre 1954 à septembre 1957. Suivent trois années au lycée de Poitiers en classe de mathéma- tiques spéciales.
Il fut à nouveau nommé à Lyon au lycée du Parc en septembre 1960, en classe de mathématiques supérieures tout d’abord, puis, à partir de septembre 1963 en mathématiques spéciales en remplacement de Georges Morel (1914 s). Il resta dans ce poste jusqu’en 1982, date à laquelle il demanda sa mutation pour Marseille afin de s’occuper de ses parents. Il y enseignera au lycée Thiers jusqu’en septembre 1986.
Il est difficile de parler du travail d’un professeur de classes préparatoires. Avoir une seule classe, où l’on enseigne une quinzaine d’heures chaque semaine – sans parler des colles – impose une relation très particulière, très forte, avec les élèves. Le professeur vit littéralement au sein de sa classe et, pour les classes de seconde année, avec cette épée de Damoclès que sont les résultats. Que reste-t-il en fin d’année de tant d’efforts partagés ? Pour l’extérieur, peu de choses : les fameux « résultats » justement, qu’une simple feuille de papier suffit à résumer. Pour l’enseignant, il reste une satisfaction très difficile à décrire, où se partagent le plaisir d’ouvrir des horizons intellectuels étendus à de très jeunes étudiants, et celui de les accompagner dans le chemin aride de la préparation aux concours.
C’est ce qui aboutit, pour les enseignants bien adaptés à ce métier, à l’envie de recommencer l’année d’après.
Jean-Claude Gontard était, je crois, très angoissé par les résultats des élèves et leurs erreurs le faisaient littéralement souffrir. « Cela me fait mal aux mathéma- tiques », me disait-il souvent.
Pour ce célibataire, les mathématiques étaient une passion, à peine tempérée par une autre passion : le bridge. Cette dernière était assez vive pour le conduire à parti- ciper à des tournois un peu partout (à Genève, en Italie) ; mais je doute que ces tournois aient pu le guérir de son « mal aux mathématiques ».
Une « douleur » assez particulière qui pouvait être la source de colères homériques.
Un ancien élève, Pierre-Yves Madignier, apprenant le décès de son professeur, rappelle (plus de 40 ans après !) : « ... tout le folklore qui tournait autour de sa personnalité volcanique » et d’ajouter : « pourtant je n’avais [en première année] qu’un désir : l’avoir comme professeur ».
Il faut le dire, certains élèves avaient du mal à supporter cette « personnalité volcanique ».
Pouvant être agressif dans sa classe, Jean-Claude Gontard défendait ses élèves bec et ongles contre l’extérieur. Le même Pierre-Yves Madignier le rappelle à travers une anecdote :
« Il ne voulait pas qu’on touche à ses élèves. Lors d’une des dernières colles de l’an- née un colleur me pose une fraction à réduire, ce que nous qualifions de « calcul bestial. » Je me plante et le colleur me dit que ma prestation est indigne d’un élève de XM’1 et qu’il va le signaler à Gontard. Je suis assez marri sur le fond et je m’en ouvre à un 5/2 de mon équipe de colle qui me dit de ne pas m’en faire car le colleur est nul.
« Le lundi suivant, Gontard – à qui cela n’arrive jamais – me convoque après le cours pour me dire qu’il a dit à M. N. qu’un colleur qui propose des exercices aussi dépourvus d’intérêt n’est pas digne de coller dans sa classe, et qu’il l’a renvoyé. »
Un autre témoignage m’est parvenu, qui va dans le même sens :
« De tous les élèves qu’il a eus, je crois qu’il était particulièrement sensible à la réussite de l’un d’entre eux qui avait perdu son père entre les écrits et les oraux des concours... Il avait épaulé ce jeune pour qu’il ne lâche pas prise si proche du but et le professeur de physique l’avait accompagné également pour la préparation aux oraux à Paris. Il nous a raconté ce fait à de nombreuses reprises avec la voix qui tremblait d’émotion d’être arrivé à amener ce jeune à bon port à Polytechnique, malgré le choc du décès familial. »
Jean-Claude Gontard a contribué à former l’intelligence non seulement des élèves qui lui étaient confiés, mais aussi de celui qui écrit ces lignes. Il me reste le souvenir d’aphorismes bien sentis qu’il distillait dans sa classe, qui me reviennent précédés de la formule incantatoire : « M. Gontard dit que... »
Il y avait, je l’ai dit, une part de théâtre dans l’attitude de Gontard. Au cours des huit années de notre collaboration, j’ai été progressivement de plus en plus sensible au côté très attachant de sa personnalité. Je m’en étais rendu compte en particulier lorsqu’il a quitté Lyon pour pouvoir s’occuper de ses deux parents.
Ceci m’a été confirmé par une nièce dont il était très proche :
« Il aimait vraiment beaucoup ses parents au point de lâcher le lycée du Parc qu’il aimait tant, et demander une mutation pour Marseille pour éviter à mes grands-parents de partir en maison de retraite (ma mère travaillait avec mon père et n’aurait pas pu faire face à cette charge). Ce fut certainement un grand sacrifice pour lui que de passer au lycée Thiers, mais il le décida de lui-même sans se poser la moindre question. La charge pour lui était lourde avant de partir le matin au lycée, et le soir en rentrant ; aussi finit-il par demander de cesser son activité. Il obtint un départ anticipé (deux ans je crois sans traitement avant l’âge légal de la retraite), mais mes grands-parents sont morts à trois mois d’intervalle juste au moment de ce départ. Ce fut une épreuve que de se retrouver sans élèves, et sans ses parents à soigner. »
Des années après son départ de Lyon, nous avons repris contact par courrier élec- tronique, heureux l’un et l’autre de nous retrouver ainsi. Il m’a parlé de sa passion pour l’histoire, a résolu par retour du courrier un problème de géométrie sur lequel j’avais séché ... tout comme un jeune collègue de mathématiques. Il a qualifié le livre dont j’avais tiré ce problème de « mal-bouquin », car il demandait la démonstration d’une certaine propriété dans le seul cas des ellipses alors « qu’évidemment » cette propriété appartient aux trois classes de coniques.
Jean-Claude Gontard a terminé son existence dans une maison de retraite de Marseille, toute proche du domicile de sa nièce dont il recevait ainsi de nombreuses visites.
Profondément croyant, il aura été heureux, je pense, qu’un de nos anciens élèves, devenu prêtre, dise quelques jours après son décès, une messe à son intention.
Pour finir, je voudrais exprimer ma reconnaissance à Mme Marie-Cécile Pennaneac’h de m’avoir fourni de nombreux renseignements sur son oncle, et de m’avoir permis de contribuer à cette notice.
Jacques RENAULT (1967 s)