GROSSETÊTE Bernard - 1957 s
GROSSETÊTE (Bernard), né le 25 juillet 1938 à Ivry-sur-Seine (Seine), décédé le 15 décembre 1993 à Paris. – Promotion de 1957 s.
Avec beaucoup trop de retard, ces lignes rendent hommage à notre camarade, ancien directeur du laboratoire de physique nucléaire de Paris 6 et 7 réunis, corrézien de cœur et orga- nisateur, dès 1966, des si célèbres Rencontres de Moriond. Jean Tran Thanh Van les avait impulsées depuis Orsay, et avec Jean Perez y Jorba, et Michel Gourdin (tous deux 1949 s), ainsi que Pierre Lehmann et Fernand Renard, il en fut l’ âme dans ces temps héroïques. Un article du CERN Courier (17 juillet 2005, https://cerncourier.com/a/40-great-years-of-the-rencontres- de-moriond/) dû à Ludwik Celnikier, de l’Observatoire
de Meudon, fait le point sur cette groundbreaking initiative, dépourvue de tout contact téléphonique. Cette institution devenue annuelle rassemble désormais plus de 500 participants.
Patrice CAUDERLIER
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Bernard Grossetête a préparé l’École normale supérieure au lycée Janson de Sailly. Il a intégré l’École en 1957. Après l’agrégation de physique en 1961, il entre au laboratoire de l’accélérateur linéaire d’Orsay (LAL), dirigé par Pierre Lehmann, et étudie les propriétés électromagnétiques, les corrections radiatives et la photo production. Il obtient un doctorat ès sciences physiques en 1964 sous la direction du Pr Yves Rocard, directeur du laboratoire de physique de l’ENS. Sa thèse est intitulée Diffusion des électrons de haute énergie sur le deutéron.
À partir de 1974, Bernard Grossetête est membre de l’équipe d’Orsay qui travaille au spectromètre Omega du CERN.
Après un passage à CELLO au DESY (Deutsches Elektronen-Synchrotron), il prend en 1981 la direction du laboratoire de physique nucléaire et des hautes énergies (LPNHE), unité commune des universités Paris 6 et Paris 7 et de l’IN2P3 (CNRS), direction qu’il assurera jusqu’en 1993. Son dynamisme et sa forte conscience des nouvelles tendances conduisent le laboratoire à s’impliquer dans les grandes expé- riences du futur grand accélérateur du CERN (LHC) et d’ailleurs.
Très impliqué dans l’enseignement universitaire, il est l’auteur de plusieurs livres et textes.
Christine GROSSETÊTE, sa fille
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Vers l’an 1981, le Canard enchaîné publia un entrefilet annonçant : « Le professeur Grossetête est nommé directeur du Laboratoire de physique nucléaire et des hautes Énergies. » Un tel nom ne pouvait laisser indifférent le journal satirique.
1981 est aussi l’année où je rejoignis le LPNHE. J’y fus appelé par Bernard qui voulait ajouter un nouvel axe de recherches au laboratoire. Assemblant une vingtaine de physiciens avec une poignée d’ingénieurs et de techniciens, le laboratoire occupait deux couloirs au 3e étage d’une tour un peu périphérique sur le campus de Jussieu. Le LPNHE avait pour spécialité l’étude des particules élémentaires par la technique dite des chambres à bulles, or cette méthode, déjà mature, de détection commençait à montrer son âge, et il fallait envisager le futur d’une autre façon.
L’année précédente, et pour la première fois, j’avais rencontré Bernard au labora- toire allemand DESY de Hambourg où je collaborais occasionnellement. J’étais alors payé par le CNRS et Bernard me proposait une promotion au titre de professeur à l’université de Paris 7, ce qui me tentait fort. Je portais un projet de recherche origi- nale sur les neutrinos qui ouvrait des perspectives pour enrichir les thèmes abordés au laboratoire.
Peu connu au plan international, Bernard avait une forte position au sein de l’université où il représentait seul la physique des particules, ce qui lui donnait une influence certaine dans les comités locaux et je fus nommé professeur sans grande lutte. Dans la foulée, lui-même prit la direction du laboratoire. En cadeau de bien- venue, il me fit imprimer des cartes de visite et j’eus même droit à un cachet pour signer mes lettres que j’ai peut-être utilisé trois fois ; les e-mails n’existaient pas alors.
Mon projet sur les neutrinos se concrétisa par une première expérience qui entra en opération dès 1984 au laboratoire européen de Genève, le CERN, et en paral- lèle Bernard eut l’intuition de développer avec les moyens du bord la construction de tubes à fils proportionnels qui donnait au laboratoire un ticket d’entrée au sein d’une grosse collaboration, Delphi, qui démarrait, toujours au CERN, en vue d’une expérience auprès d’un nouvel accélérateur, le LEP, programmé pour prendre des données en 1989.
Le laboratoire croissait en visibilité et personnel. Rapidement, il s’agrandit égale- ment en surface, s’installant dans un lieu central du campus : la Coupole, et l’autorité de Bernard se fit alors sentir sur 8000 m2 de bureaux et ateliers. Étant lève-tôt, j’arri- vais tous les matins de bonne heure, mais il me précédait systématiquement, et le soir je n’attendais certes pas son départ pour rentrer chez moi. À croire que le laboratoire représentait son unique lieu de vie.
En 1991, nous écrivîmes à deux mains un livre pour étudiants aux Éditions Eyrolles : « Interactions et particules », et il ne profita pas de sa position directoriale pour se limiter à apposer sa signature, il contribua au texte à hauteur de 50%.
La dernière année de son mandat, le directeur de l’institut du CNRS qui coiffe le laboratoire déclara lors d’une visite : « Le LPNHE n’est plus un petit laboratoire, il s’est fait sa place dans le panorama. » De fait, le LPNHE était fortement engagé dans plusieurs grandes collaborations internationales, au CERN, à DESY, en Argentine. Bernard avait bien travaillé. Pourtant le même directeur, après 12 ans de direction et pour respecter la tradition, ne voulut pas renouveler son mandat. Déjà le succes- seur était désigné et en fin d’année 1993, Bernard dut quitter son bureau directorial pour émigrer vers un lieu moins en vue. Le 10 décembre, il fit son discours de fin de règne. Un petit pot suivit au cours duquel il remercia gentiment un à un les membres présents. Je ne savais pas que je ne le reverrais plus vivant. Il semblait serein et prêt à affronter l’avenir. Une rumeur le supposait appelé au ministère, ce qui ne se concrétisa pas, mais Bernard participait à l’expérience Delphi qui lui offrait encore plus de dix ans de physique, et il était fier de son enseignement, en particulier un DEA (aujourd’hui master) appelé « Grands Instruments » qu’il avait fondé avec des collègues de Paris 6 et de Paris 11, et qui devait me revenir.
La dernière image qui me reste en tête est celle de Bernard en train de déménager ses affaires personnelles du bureau de directeur vers un bureau de physicien sous la Coupole. Je devais partir au Vietnam le surlendemain de sa petite célébration pour participer à une conférence et c’est là-bas que j’appris sa mort soudaine, au cours d’une réception dans les jardins de l’ambassade de France à Hanoi. Je l’avais quitté en bonne forme quelques jours auparavant.
À mon retour, on me parla d’un infarctus de l’estomac. Cette appellation me sembla cacher sous un nom médical ce qui ressemblait à une crise de désespoir. La cérémonie d’enterrement fit le plein d’une église près de la Nation où l’on vit parti- ciper une surprenante délégation officielle de Madagascar.
Quelques temps plus tard, le laboratoire voulut lui rendre un hommage en bapti- sant « salle Grossetête » un nouvel amphithéâtre sous la Coupole dont la construction avait été décidée sous son mandat, et pour les plus jeunes le nom resta pour indiquer une salle de réunion. Ce souvenir aussi fut éphémère, aujourd’hui même la salle a disparu. Les travaux de désamiantage de Jussieu ont renvoyé le laboratoire vers ses premiers campements, toutefois dans un espace modernisé et plus spacieux que les deux maigres couloirs de départ puisque le laboratoire compte maintenant plus de cent cinquante personnes.
François VANNUCCI
Professeur émérite de l’université Paris 7