HELLER René - 1943 s
HELLER (René), né le 14 juillet 1919 à Privas (Ardèche), décédé le 30 octobre 2013 à Clamart (Hauts-de-Seine). – Promotion de 1943 s.
J’ai fait la connaissance de René Heller au laboratoire de physiologie végétale de la faculté des sciences de Paris, à l’époque situé à la Sorbonne, et dirigé par le professeur Pierre Chouard (1924 s) . J’y avais été recruté comme assistant depuis quelque temps, lorsque René Heller y entra comme jeune professeur (on disait alors « maître de conférences ») . Nous eûmes ainsi de fréquentes occasions de nous rencon- trer ; il m’apporta une aide considérable au moment de la rédaction de ma thèse ; lorsque je fus nommé à la coopération technique à Tunis, il vint à plusieurs reprises présider les examens de sciences végétales des 1er, 2e et 3e cycles (ce qui permettait aux étudiants que les examens acquis en Tunisie devinssent également valables en France) ; nous nous retrouvâmes à diverses occasions (colloques, soutenances de thèses, bureaux de sociétés savantes) en France et à l’étranger ; nous organisâmes ensemble un colloque international du CNRS ; et, surtout, nous continuâmes à échanger de longues lettres même lorsque l’âge de la retraite fut venu pour l’un puis pour l’autre . En bref, pendant ces presque 60 ans où nous restâmes en contact, j’eus tout loisir de reconnaître et d’apprécier ses qualités tant humaines que professionnelles .
René Heller est né le 14 juillet 1919 à Privas (Ardèche) . Il a fait ses études secon- daires à Valence puis à Châlons-sur-Marne . Retardé par la guerre (il fit 2 ans et 7 mois de service militaire), il entre à l’École normale supérieure en 1943 . Il passe l’agréga- tion de sciences naturelles en 1946 et soutient sa thèse de doctorat d’État en 1953 . Nommé attaché de recherches au CNRS en 1946, il devient assistant (1947) puis chef de travaux (1954), maître de conférences (1958) et professeur titulaire (1962) à la faculté des sciences de Paris puis à l’université de Paris-VII (1970) . Il appartient à la classe exceptionnelle des professeurs d’Université (depuis 1979) et prend sa retraite, à sa demande, en 1985 .
René Heller a préparé sa thèse sous la direction de Roger Gautheret, le célèbre créateur de la culture des tissus végétaux . Il s’agissait d’une recherche sur la nutri- tion minérale des tissus cultivés in vitro . Outre les résultats proprement scientifiques (e .g . caractérisation de carences minérales, mise en évidence d’interactions ioniques, actions relatives des macro- et des oligo-éléments, relations avec la teneur en eau, influence de l’auxine sur la composition minérale des tissus), son travail aboutit à une application pratique importante par la mise au point d’une solution minérale optimale pour la préparation des milieux nutritifs des tissus végétaux en culture . Plus généralement, cette première recherche eut une influence déterminante sur l’orientation de son travail scientifique ultérieur . D’un point de vue théorique, il se convainquit que la validité d’un résultat ne pouvait être appréciée que par un traitement statistique rigoureux ; et ses considérations sur les distributions, le choix des critères, l’analyse des données, le caractère significatif ou non d’une différence, et l’utilisation du coefficient de variation ont conservé toute leur pertinence . D’un point de vue physiologique, il reconnut que la vie n’est pas seulement une affaire de molécules organiques, mais que les ions minéraux, leurs interactions, leurs flux entre cellules et milieu extérieur jouaient également un rôle essentiel .
Avec ses collaborateurs, il ne cessa d’approfondir l’étude de l’état ionique des tissus et de la dynamique des mouvements des ions (e .g . absorption cellulaire, analyse compartimentale, genèse et mesure des différences de potentiel électrique membra- naires, caractéristiques des plantes calcicoles et calcifuges) . Il fut ainsi un véritable pionnier dans ce que l’on appelle aujourd’hui l’approche bio-physicochimique de l’étude de la vie .
Plus la taille de son équipe augmentait, moins René Heller avait le loisir de conti- nuer à expérimenter par lui-même . Mais il gardait un contact étroit avec ceux qui travaillaient à la paillasse . Il passait des heures à discuter avec eux, à exploiter leurs résultats, à planifier les recherches à entreprendre ; cependant, il n’imposait pas ses vues, savait reconnaître les bonnes idées de ses élèves, et les aidait à les valoriser . Il rassembla ainsi autour de lui un ensemble, efficace et soudé, de collaborateurs qui appréciaient à la fois sa rigueur et l’humour avec lequel il savait présenter les choses . Qui plus est, il n’hésita pas à s’intéresser au travail de jeunes chercheurs, hors de sa propre équipe, qu’il conseilla bénévolement . Personnellement, je sais ce que je lui dois, et je ne suis pas le seul qu’il aida de la sorte . Ainsi, non seulement il faisait avan- cer les choses par lui-même, mais il contribuait à la formation d’apprentis chercheurs dans le domaine difficile et novateur auquel il s’était consacré .
Pour avoir assisté à certains de ses enseignements, je puis attester que René Heller fut un professeur particulièrement apprécié des étudiants . Il était clair et d’une vaste érudition ; il se tenait à jour de l’avancement des connaissances, et apportait à la préparation de ses cours le même soin, la même rigueur qu’à la réalisation de son travail de recherche .
En publiant ses cours, il fut aussi, par corollaire, un auteur heureux . Son Manuel de Statistique Biologique (paru chez Gauthier-Villars en 1968) fut un outil de travail providentiel dans divers aspects de la biologie, spécialement en physiologie, écologie et agronomie . La statistique est en effet une science subtile, dont les bases théoriques relèvent d’approches mathématiques délicates, et qui est souvent mal comprise en sciences de la vie . On peut rappeler l’histoire de ce médecin qui, ayant étudié une forme rare de tumeur maligne dont il avait trouvé quatre cas chez des hommes et trois chez des femmes, en avait conclu que ce cancer était plus fréquent chez les hommes que chez les femmes ! Avec le manuel de René Heller, les cher- cheurs disposaient d’une introduction simplifiée aux fondements de la théorie et, surtout, d’exemples pratiques dont ils pouvaient s’inspirer pour traiter leurs propres résultats .
Cependant, sa plus belle réussite de librairie reste son abrégé de physiologie végé- tale, publié en deux tomes, Nutrition et Développement . Le succès fut immédiat, aussi bien chez les étudiants que chez les enseignants et les chercheurs . De 1977 à 2000, il y eut au total six éditions (d’abord chez Masson puis chez Dunod), à chaque fois mises à jour, dont il fut l’unique auteur pour les quatre premières et qu’il écrivit en collaboration avec Robert Esnault et Claude Lance pour les deux autres . Quinze ans plus tard, cet abrégé continue à constituer (sauf, évidemment pour ce qui est des découvertes les plus récentes) un remarquable ouvrage d’initiation et de référence dans tout le domaine de la physiologie végétale .
René Heller n’hésita pas à prendre des responsabilités nationales et internatio- nales . En particulier, il fut assesseur du doyen de la faculté des sciences (1966-1970) . Il fut membre, et parfois président, de divers comités directeurs de grands orga- nismes (CNRS, ORSTOM, etc .) . Il fut membre fondateur de la Société française de physiologie végétale (SFPV) puis trésorier, secrétaire et président de cette société (1955-1977) . Il œuvra pour la création de la Fédération européenne des sociétés de physiologie végétale et demeura le représentant permanent de la SFPV au Conseil de cette fédération jusqu’en 1983 . Il organisa plusieurs colloques de l’Unesco sur les « Sciences support de la biologie » . Il contribua à la création de l’université de Paris-VII . Il fut membre du Comité consultatif des universités (CCU), devenu ulté- rieurement Conseil supérieur des corps universitaires (CSCU) puis Conseil supérieur des universités (CSU), de 1965 à 1985 ; il y fut un remarquable président de la section 30 (Biologie) du CSCU (1978-1983) puis de la section 38 (Biologie & Physiologie) du CSU (1984-1986) .
Enfin, René Heller ne fut pas qu’un scientifique . Il était profondément attaché aux valeurs républicaines et laïques et fit preuve toute sa vie d’un engagement citoyen, que celui-ci fût syndical, politique ou associatif . Père d’une enfant handicapée, il témoi- gna lors du procès de Liège en 1962 . Dans ses activités internationales, il n’hésita pas à défendre les droits de l’homme, cause également chère à son épouse Jeanne Heller, et à intervenir pour certains de ses élèves ou collègues quand ce fut nécessaire . De son enfance campagnarde dans la Nièvre, il avait gardé le goût du terrain ; et sa partici- pation active après sa retraite à l’Académie d’agriculture lui permit de renouer, avec bonheur, avec le milieu agricole .
René Heller est décédé le 30 octobre 2013 à Clamart . Il avait été lauréat du prix Louis-Bonneau de l’Académie des sciences en 1962, et élu membre de l’Acadé- mie d’agriculture de France en 1988 ; il était officier de la Légion d’honneur . De plus, peut-être plus caractéristique encore de son rayonnement que ces marques de reconnaissance honorifiques, il avait formé, et laissait après lui, un ensemble de bio- physicochimistes (une vingtaine de thèses de doctorat d’État qu’il avait dirigées ou codirigées, la plupart de ses anciens élèves recrutés au CNRS ou à l’Université dont au moins trois ont accédé à la catégorie A) . Il est de ceux qui ont laissé leur trace dans la prise en compte de la dynamique des processus et du rôle des ions minéraux dans le fonctionnement des systèmes biologiques .
Il fut indiscutablement de ceux qu’à l’âge classique on appelait un honnête homme .
Michel THELLIER,
professeur émérite de l’université de Rouen
Le professeur René Heller était un grand chercheur très connu pour ses travaux sur la nutrition minérale des plantes ainsi que pour l’étude des interactions de celles-ci avec le milieu . Il a vulgarisé l’utilisation de l’outil mathématique en biologie .
Ses travaux ont inspiré beaucoup de recherches surtout en Afrique et sont fonda- mentaux pour la sortie de ce continent de la famine .
René Heller était aussi un grand professeur, d’une grande culture, éloigné du simple consensus . Il savait faire apparaître les lacunes de la vision scientifique, montrer de nouvelles voies de recherches . Il a laissé un souvenir ému à ses élèves . Ses cours et conférences étaient limpides et d’un français rigoureux .
L’homme était intègre et sans compromis . Le professeur René Heller a laissé des amis qui ne l’oublient pas . Sa disparition est aussi une perte majeure pour la culture française .
Jorge VIEIRA DA SILVA, collaborateur de René HELLER