HELLMANN Marie-Christine - 1970 L

HELLMANN (Marie-Christine), née le 12 juillet 1950 à Thionville (Moselle), décédée le 29 décembre 2017 à Paris. – Promotion de 1970 L.


La première fois que j’ai vu Marie-Christine Hellmann, c’était dans la cour de l’École normale supérieure de jeunes filles, 48 boulevard Jourdan, le jour de la rentrée 1971 . Élève de deuxième année, elle était déjà familière des lieux que je découvrais . Je lui serai toujours reconnaissante de son accueil qui avait alors rassuré mes parents . Dans ce monde des sévriennes où les promotions tenaient une place impor- tante à cause de l’agrégation qu’il fallait réussir anno suo, comme les Romains disaient de l’élection au consulat, nous nous sommes surtout fréquentées dans les cours d’archéologie hors cursus, les sémi- naires d’architecture de Roland Martin (1934 l) et de René Ginouvès (1945 l), ceux d’épigraphie de Louis Robert (1924 l), puis de Phippe Gauthier, mais aussi dans les cours que Pierre Devambez (1922 l), François Villard et Jean Marcadé (1939 l) donnaient au Louvre pour les normaliens préparant le concours de l’École française d’Athènes (EfA) . Marie-Christine Hellmann avait rapidement fait le choix de l’ar- chitecture grecque et sa participation en 1973 à la fouille de Salamine de Chypre, où l’équipe de la Maison de l’Orient méditerranéen accueillait alors chaque année une sévrienne fraîchement agrégée, lui avait découvrir le terrain de façon plus concrète que les travaux pratiques, fort utiles au demeurant, dispensés par Christian Peyre (1954 l) dans la cour de l’ENS Ulm . Dans ses années normaliennes, Marie-Christine Hellmann faisait déjà preuve de l’énergie, de l’enthousiasme dans la recherche, de la générosité qu’elle ne cessa de manifester : elle avait souvent une feuille carbone pour offrir aux absents les notes qu’elle prenait lors des cours .

Elle sut profiter pleinement de ses années athéniennes en menant à bien les travaux qui lui avaient été confiés . Elle savait partager à ses amis sa remarquable connais- sance de Délos : on ne s’ennuyait pas avec elle dans l’île sacrée et cette flamme passe dans sa thèse qui transforme des études de vocabulaire en évocations des vies passées de Déliens de toute condition . Durant son séjour athénien, elle avait bien parcouru la Grèce au volant de sa voiture et ces excursions, qui ont marqué les membres de sa famille, comme ses amis, lui ont été utiles pour le Bulletin d’Architecture et son manuel d’architecture grecque, car elle avait alors acquis une connaissance intime de bien des sites . La maladie la priva ensuite de la Grèce pour de longues années et ce furent les objets des collections du Cabinet des médailles ou les dessins des archi- tectes Prix de Rome qui lui permirent de garder ce contact charnel avec le monde grec qui donnait à ce qu’elle écrivait chaleur et humanité .

Comme sa carrière de chercheuse sera évoquée ci-après, je parlerai de l’Alsacienne qu’elle était aussi bien à Erstein, le village d’origine de sa famille où elle repose, qu’à Strasbourg ou à Paris où elle ne manquait pas les réunions des Alsaciens de la capitale . Dialectophone, elle était une remarquable passeuse qui savait initier aux mystères alsaciens les Français de l’intérieur . Elle savait faire comprendre le passé riche et parfois douloureux de sa petite patrie ; elle manifestait alors de grands dons de conteuse .

Ses compétences linguistiques, ajoutés à la vaste connaissance qu’elle avait de l’ar- chitecture grecque faisaient d’elle une excellente interlocutrice pour les spécialistes allemands et grecs avec qui elle entretenait souvent des relations d’amitié . Dans son domaine professionnel elle fut aussi une passeuse et son recueil d’inscriptions, son Architecture grecque en poche et son manuel témoignent de sa passion de la transmission des connaissances, de sa générosité scientifique .

Marie-Christine Hellmann laisse une œuvre que sa rigueur et son sérieux inscri- ront dans le temps, mais surtout, pour ceux qui l’ont connue, le souvenir d’une figure rayonnante malgré les épreuves, un modèle de savant ouvert aux autres que la science n’avait pas refermé sur lui-même .

Anne JACQUEMIN (1971 L)

Marie-Christine Hellmann a été une femme et une archéologue d’exception . Elle s’est peu à peu affirmée, au cours de ses quarante ans de carrière, comme le cher- cheur qui, en France, a apporté la contribution la plus importante aux études sur l’architecture grecque antique, par ses publications, son inlassable travail éditorial et le rayonnement de sa personnalité . Qu’une femme ait atteint sa position scientifique dans un milieu jusqu’alors largement dominé par les hommes aurait déjà, en soi, de quoi soulever l’admiration, mais le fait qu’elle y soit parvenue en surmontant, dès sa jeunesse, de graves problèmes de santé confère à ce parcours une valeur qui marquera sans aucun doute l’histoire de la discipline .

Au cours de ses années à l’ENS, évoquées précédemment, elle découvre l’archéo- logie et, surtout, l’architecture grecque antique grâce aux cours de Roland Martin, qui l’oriente vers le concours de l’École française d’Athènes (EfA) et lui conseille de se spécialiser dans l’architecture archaïque des Cyclades . Ainsi, après son admission à l’EfA en 1975, elle travaille à Délos avec l’architecte Philippe Fraisse sur le « Monument aux hexagones » et le « Portique des Naxiens », deux édifices du sanc- tuaire d’Apollon encore peu connus ; ces recherches sont publiées dès 1979 dans la collection de l’Exploration archéologique de Délos . Les quatre années passées à l’EfA donnent aussi à Marie-Christine Hellmann l’occasion de se consacrer, à Chypre, à l’archéologie de terrain : à partir de 1976 elle retrouve l’île où, comme on l’a vu, elle avait fouillé trois ans plus tôt . Membre de la mission de l’EfA sur le site d’Amathonte, elle met au jour, au sommet de l’acropole de la ville, l’emplacement du colossal « vase d’Amathonte » qui avait été transporté au Louvre en 1865 ; en 1979, Marie-Christine et moi-même avons eu la chance de découvrir des dédicaces d’Androklès, le dernier roi local (vers 330-310 av . J .-C .), à « la Chypriote » et à « l’Aphrodite Chypriote », qui permettaient d’identifier ce sanctuaire comme celui de « Vénus » qui, d’après Tacite, était considéré au début de l’époque impériale comme un des trois plus importants de l’île . Au cours de ces campagnes, Marie-Christine Hellmann a montré tout le prix qu’elle accordait à l’archéologie de terrain et au travail en équipe, et seule l’aggravation de son état de santé l’a empêchée de continuer à fouiller sur ce site auquel elle était profondément attachée .

Après son retour en France et une année de disponibilité, Marie-Christine Hellmann est détachée pendant quatre ans (1980-1984) comme « pensionnaire chargée d’études » au Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale . Malgré la transplantation rénale qu’elle subit en juin 1982, ces années témoignent d’une grande productivité scientifique . Elle se lance alors dans l’étude de différentes séries de documents conservés au Cabinet des médailles, en particulier les lampes en terre cuite dont elle publie le catalogue en trois volumes (l’un en collaboration) . Elle travaille en même temps, à l’École nationale supérieure des beaux-arts, à la préparation de l’exposition « Paris-Rome-Athènes, le voyage en Grèce des architectes français aux xixe et xxe siècles », dont le catalogue (édité avec Ph . Fraisse) reste une référence pour les recherches dans ce domaine . En 1985, elle est recrutée comme chargée de recherches 1 au CNRS et affectée à l’Institut de recherche sur l’architec- ture antique (IRAA) . Cette fois, sa carrière s’oriente définitivement vers l’étude de l’architecture grecque et, en premier lieu, vers celle du vocabulaire de l’architecture dans les inscriptions . Elle soutient en 1990 à l’université de Lyon II, sous la direction de Georges Roux, une thèse de doctorat d’État intitulée Recherches sur le vocabulaire de l’architecture grecque d’après les inscriptions de Délos : cette monumentale étude, publiée deux ans plus tard, est complétée par plusieurs articles et par un Choix d’inscriptions architecturales grecques, traduites et commentées .

Pendant dix ans, de sa promotion au grade de directrice de recherches 2 (1991) à son élection à la direction de la Revue archéologique (2001), elle travaille au sein du Bureau de l’IRAA à Lyon, qu’elle dirige à partir de 1992 . À la gestion administrative de l’équipe s’ajoute alors la tâche immense que constitue la coordination du Bulletin analytique d’architecture grecque, publié tous les deux ans dans la RA, puis en ligne à partir de 2012, un travail dont l’ampleur est difficile à imaginer : ce Bulletin rassemble en effet dans chaque livraison plus de 400 notices bibliographiques, dont environ un tiers étaient rédigées par Marie-Christine Hellmann elle-même .

L’immense travail accompli pour le Bulletin – ajouté aux nombreux comptes rendus bibliographiques qu’elle publie dans la Revue Archéologique ou ailleurs – témoigne de la richesse exceptionnelle de la documentation à partir de laquelle Marie-Christine Hellmann a préparé ses volumes de synthèse sur l’architecture grecque, publiés par les éditions Picard . Les trois premiers tomes sont sortis en 2002, 2006 et 2010, le quatrième, presque entièrement rédigé, sera prochainement publié grâce à l’aide d’Anne Jacquemin . À cet impressionnant travail de recherche et de publication s’ajoute, à partir de 2001, la direction de la RA, tâche qu’elle accomplit avec une compétence et une efficacité exemplaires, dans le cadre (à partir de 2004) de l’UMR 7041 de la Maison de l’archéologie et de l’ethnologie de Paris X-Nanterre .

L’œuvre scientifique de Marie-Christine Hellmann a été reconnue et récompensée à sa juste valeur : en 2000, elle reçoit le prix « Archéologie » de l’Académie d’architec- ture, en 2010 elle accède au grade de directrice de recherches 1 et surtout, en 2012, le CNRS lui décerne sa médaille d’argent en hommage à l’ensemble de son œuvre . Un an plus tard, elle est nommée Chevalier de l’Ordre de la Légion d’Honneur .

On ne saurait évoquer la mémoire de Marie-Christine Hellmann sans souligner ses qualités humaines, en particulier son attention aux autres, qu’il s’agisse de son milieu familial, de son large cercle d’amis ou de son environnement professionnel . Et l’on n’oubliera pas son élégance, son sens de l’humour et son insatiable curiosité pour des questions souvent très éloignées de l’archéologie .

Antoine HERMARY (1970 l)