HERZ Jean-Claude - 1946 s

HERZ (Jean-Claude), né à Paris, le 26 mai 1926, décédé à Paris, le 18 août 2016. – Promotion de 1946 s.


Jean-Claude Herz, né à Montmartre, le 26 mai 1926 à 22 h 35, était issu de ce qu’on appelait alors la bourgeoisie israélite . Son père, Willy Herz, fils d’un banquier allemand qui avait choisi de s’installer en France, était centralien et ingénieur chez Alsthom où il avait été l’un des pionniers de l’électrification des chemins de fer dans les années 1920 . Sa mère, Louise Lambert, dont la famille était originaire de Metz, avait pour père l’hébraïsant Mayer Lambert, collabo- rateur de Renan, et pour arrière-grand-père le grand rabbin de France du Second Empire, Salomon Ulmann . Jean-Claude, à la retraite, s’est amusé à faire ce qu’il appelait un « graphe généalogique », où l’on voyait apparaître, dans sa parenté plus ou moins proche, la féministe communiste Madeleine Braun (vice- présidente de l’Assemblée nationale en 1945), l’astronome Armand Lambert (mort à Auschwitz en 1944), plusieurs polytechniciens, dont René Lambert, frère de Louise, plusieurs normaliens, parmi lesquels l’historien de l’art Élie Lambert (1907 l), beau- frère de Louise, et l’anthropologue Lucien Lévy-Bruhl (1876 l) . Ajoutons qu’une sœur de Willy se maria en Angleterre et que sa descendance inclut deux membres de la Royal Society et deux membres de la Chambre des Lords .

Il partagea une enfance choyée et heureuse, au Vésinet à partir de 1932, avec sa sœur Françoise (1924) et son frère Bertrand (1930) . Très précoce, il s’intéressa dès son plus jeune âge aux chiffres . Lisant beaucoup, il fut fasciné par l’Astronomie populaire de Flammarion, et jusqu’en 1942, il se destinait à devenir polytechnicien et astro- nome . Né dans une famille extrêmement musicienne, il pratiqua très tôt la musique de chambre . Il se distingua dès l’enfance par une indépendance d’esprit qui lui faisait multiplier les observations humoristiques sur tous les sujets . Cet individualisme et un détachement certain vis-à-vis des contraintes extérieures se manifestaient clairement dans la vie quotidienne, au point que l’employée de maison de ses parents l’appelait avec une affectueuse dérision « Sa Majesté » . Cela n’empêchait pas Jean-Claude d’en- tretenir de très bonnes relations avec sa famille et ses camarades ; sa vivacité était au contraire très appréciée de son entourage . Bref, sa précocité intellectuelle s’accompa- gna d’un mélange de causticité et de fantaisie qui devait faire le fond de son caractère, tout au long de son existence .

En 1936, il entra en 6e à Condorcet, où il rafla tous les ans le prix d’excellence et la quasi-totalité des premiers prix, en mathématiques comme en français, en allemand comme en latin et en grec . De ses humanités lui restèrent l’amour des sciences et du raisonnement scientifique, une très grande curiosité intellectuelle, une maîtrise parfaite du français associée à un don évident pour le pastiche .

La guerre vint briser net cette vie facile et heureuse . En octobre 1940, avec le premier statut des juifs, commencèrent les persécutions . Au concours général de 1942, il obtint le troisième prix de version latine (succès qui lui inspirait ce commen- taire, des années plus tard : « facile, tout était traduit dans le Gaffiot, il suffisait d’aller vite ») . L’année suivante, au même concours, il décrocha le premier prix de physique et le premier accessit de mathématiques . Il était alors élève au lycée de Toulouse, en zone Sud, où sa famille s’était réfugiée à l’été 1942 . Juste après le passage de la ligne de démarcation, en août 1942, il avait écrit un essai sur la dureté des temps, où il détaillait la persécution antisémite : ce texte, d’un immense intérêt historique, attend toujours un éditeur . En juillet 1944, sa famille fut arrêtée et déportée ; Jean-Claude, qui s’était fait embaucher comme précepteur dans la banlieue de Toulouse, échappa par miracle à l’arrestation . Il regagna ensuite Paris où il entra, comme interne, en classe de maths spé . au lycée Saint-Louis . C’est là qu’il apprit, au printemps 1945, la mort de ses parents et la survie de ses frère et sœur .

Au concours de 1946, il fut reçu brillamment à l’X et à l’ENS et opta pour l’ENS, où il fut le cothurne de Jean-Pierre Kahane (1946 s) . « Mathématicien dans l’âme », il suivit, en première année, les cours de physique d’Alfred Kastler (1921 s) et d’Yves Rocard (1922 s) . En 2e année, il eut, grâce à l’enseignement d’Henri Cartan (1923 s), « la révélation des mathématiques telles qu’il souhaitait en faire » . Agrégé de mathé- matiques en 1949, Jean-Claude fit l’année suivante la connaissance d’une cousine éloignée, Marianne Lévy . Ils se marièrent le 31 août 1951 et eurent deux enfants, Catherine (1953) et Laurent (1959) .

Entré au CNRS en 1950, il soutint en 1954 une thèse d’algèbre intitulée « Contribution à la théorie algébrique des équations aux dérivées partielles » (Annales scientifiques de l’Ecole normale supérieure, 1954, p . 321-362) . En septembre 1954, il entra au service du développement scientifique d’IBM-France, en raison de ses compétences d’algébriste, l’algèbre de Boole étant capitale dans la conception des circuits électroniques . Il y resta jusqu’à sa préretraite, en 1982, et, selon les termes de son collègue et ami Georges Aillaud, il y passait pour « la compétence hors pair, le conseiller indiscuté » . Il fut d’emblée promu conférencier d’algèbre ; puis fit des recherches sur la simplification des fonctions booléennes ; apprenant à utiliser le CPC (calculateur à programme par cartes) du service à façon de la place Vendôme, il entama ainsi sa carrière de programmeur . Il fit de nombreuses études de combina- toire, un cours de probabilités, un cours de calcul symbolique, participa au Congrès international de mathématiques .

Il publia, dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences, en 1953, un papier sur les pseudo-algèbres de Lie, sujet central de sa thèse, papier dont Cédric, le petit- fils de Jean-Claude, souligne qu’il est encore cité en 2015 . Il participa au séminaire Bourbaki en mars 1954, avec un exposé sur les caractères des groupes finis . Il eut par ailleurs une carrière d’enseignant du supérieur, d’introducteur de l’informatique dans plusieurs facultés des sciences : à Grenoble (1955-56), il enseigna l’analyse numé- rique ; à Toulouse (1956-57), la résolution numérique des équations différentielles ; et à Lille (1960) où il fut appelé par son camarade Georges Poitou (1945 s), l’analyse numérique, la logique appliquée à l’informatique et la théorie des graphes (d’abord en tant que conférencier, puis comme chargé de cours, puis sur un demi-poste de maître de conférences). Enfin, il fut invité à la faculté d’Orsay, de 1968 à 1970, alors que Georges Poitou en était le doyen . Parallèlement il fut embauché pour des cours du soir au CNAM sur la résolution des équations numériques (1957-61) .

Au cours de sa carrière, il s’intéressa également aux graphes, et en particulier aux graphes hypohamiltoniens, sujet dont il est considéré comme un précurseur, après Sousselier, et sur lequel il intervint, en mars 1996, au séminaire de philosophie et mathématiques de l’ENS, avec un exposé sur « René Sousselier (1906-1972) et la saga des graphes hypohamiltoniens » . Très soucieux de la place des sciences dans la culture générale, il fit une intervention au colloque de Cerisy de 1970 sur « le mathémati- cien devant l’informatique » (les actes du colloque ont été publiés en 1972 sous le titre Révolutions informatiques, dans la collection 10/18) . En collaboration avec Yves Roussel, il fut directeur de publication d’une revue réputée de vulgarisation mathé- matique, intitulée Le petit Archimède .

Son activité musicale fut également intense . Très brillant instrumentiste (piano et surtout violoncelle), il s’adonna aussi à la composition . Puis, au gré de ses rencontres avec d’autres musiciens, il explora le domaine de la musique de chambre . Ainsi, lors de ses années à l’ENS, il trouva des partenaires et se produisit avec eux . Mais c’est à partir de mai 68 qu’il eut la chance de pouvoir organiser des rencontres musicales et des concerts : IBM créa deux sections de musique, classique et jazz, et Jean-Claude fut nommé président du club musical IBM (il le resta jusqu’en 1982) . En décembre 1969 eut lieu un premier concert à la salle Cortot de l’École normale de musique, qui fut suivi de beaucoup d’autres, avec orchestre, chanteurs, chorale et musiciens de chambre . Quelques disques IBM virent le jour . Et c’est en studio que Jean-Claude enregistra en 1973 avec ses partenaires le trio des Esprits opus 70 n°1 de Beethoven . À partir de sa préretraite, en 1982, la musique devint la principale activité de ses loisirs . Il avait composé dès son plus jeune âge, des pièces pour piano, une cantate, des variations sur un thème donné . En 1956, la célèbre chanson « les lavandières du Portugal » lui avait inspiré une vingtaine de pastiches dans le style des grands musi- ciens, de Lully à Milhaud . Il les utilisa dans le grand concert-spectacle qu’il organisa salle Cortot en mars 1984 à partir de ses propres compositions musicales et littéraires, avec la participation de musiciens et choristes IBM . Il a transmis sa passion de la musique à sa fille, Catherine (violon, alto, piano), ainsi qu’à son second petit-fils, Florian, excellent pianiste . Et, on l’espère, à son arrière-petite-fille, Abigaël .

Nous laisserons les derniers mots à celui dont il fut l’ami durant soixante-dix ans, Jean-Pierre Kahane : « Il avait toujours en tête de jolis problèmes, les mathématiques étaient toujours présentes à son esprit comme la musique, et il en jouait avec le même plaisir que du violoncelle . Il était extrêmement brillant et il n’en faisait pas montre . C’était comme en amitié : il était solide et réservé . Quand il riait, c’était de bon cœur, mais le plus souvent il souriait, et l’ironie se lisait dans l’éclat de son regard . Il était pince-sans-rire quand il était jeune, et il l’est resté toute sa vie . Le souvenir que je garderai de lui n’est pas triste, au contraire, il est réconfortant . »

Pierre ALBERTINI (1979 l),
avec l’aide précieuse de Catherine
WALL,
Bertrand HERZ
,
Cédric
TEDESCHI,
Florian 
TEDESCHI,
Georges
AILLAUD,
Jean-Pierre KAHANE
 (1946 s).