LALEUF Geneviève - 1942 L
LALEUF (Geneviève), née le 10 mars 1922 à Nedde (Haute-Vienne), décédée le 26 octobre 2017 à Dunkerque1 (Nord). – Promotion de 1942 L.
Geneviève Laleuf est née dans une famille d’institu- teurs du Limousin qui sentait encore ses origines rurales . Dès l’enfance, les premières forces qui devaient influencer sa vie se dessinèrent : le terroir de la Haute-Vienne qui fut pour elle toute sa vie un ancrage, bien qu’elle le quitta assez vite ; l’enseignement, vocation héritée de ses parents qui la transmirent à leurs deux filles ; la famille enfin, aussi bien sa mère, qu’elle aimait, son père, qu’elle admirait, que sa sœur, Simone Rispal, qui fut professeur de mathématiques et dont elle fut toujours très proche .
Ses parents, Jean Laleuf et Marguerite Patillou venaient juste de se marier quand ils arrivèrent en janvier 1920 comme instituteurs à Nedde, que Geneviève Laleuf qualifiait de « petit coin perdu du Haut-Limousin » . Peu après deux filles naquirent, Simone et Odette-Geneviève, et ce furent les années de vie heureuse d’une enfance à la campagne . Dans un court recueil de textes autobiographiques, Geneviève Laleuf se décrivait en « enfant émerveillée par les beautés de la nature qui l’entourait » . Les deux sœurs étaient si proches, quoique différentes, que Geneviève Laleuf soulignait qu’elle n’avait « pas de souvenirs personnels de cette première époque de [sa] vie . C’est toujours « nous » qui rêvons, agissons, connaissons des joies et des peines . »
Son père Jean Laleuf connut une longue carrière dans l’enseignement et dans l’administration . Enseignant d’abord, comme instituteur intérimaire dès l’âge de 17 ans, il débuta dans une école de campagne, jusqu’à obtenir un poste à Limoges .
Ensuite dans l’Administration à Limoges, rattaché autant à l’inspection académique qu’à la mairie de Limoges, il joua un rôle de liaison et de coordination en tant que directeur général des Œuvres postscolaires de la ville de Limoges . Il institua en parti- culier, dans le cadre de l’association des membres de l’Ordre des palmes académiques (AMOPA), un prix littéraire annuel destiné à déceler et promouvoir un jeune talent . Après la mort du fondateur, et sous l’impulsion de sa fille Geneviève, ce prix devint le « prix Jean Laleuf » . Il est toujours décerné annuellement à Limoges .
Au cours des études de Geneviève Laleuf, deux nouvelles influences se dessi- nèrent qui marqueraient également sa vie : de solides amitiés intellectuelles et une foi catholique profonde qui guida tant ses engagements que ses curiosités .
Après ses études secondaires au lycée de jeunes filles de Limoges, elle passa le bac avec mention très bien en 1938 et prépara le concours d’entrée à l’École normale supérieure de jeunes filles . Cette préparation fut « chahutée » par la guerre . En hypo- khâgne au lycée de jeunes filles de Bordeaux elle croisa Jacqueline de Romilly (1933 l), alors tout jeune professeur et qu’elle devait fréquenter régulièrement sa vie durant . Suivit une khâgne, délocalisée en zone libre au lycée Blaise-Pascal de Clermont- Ferrand en 1940-1941, puis à Lyon en 1941-1942 . On apprend au détour d’un texte de Jean-Jacques Perrin consacré à la khâgne de Clermont-Ferrand pendant la guerre2 qu’elle fut la première jeune fille de l’histoire du lycée Blaise-Pascal à obtenir le prix d’excellence en khâgne, et que sa classe fut marquée par la forte personnalité de l’écrivain monarchiste Pierre Boutang (1935 l), de l’Action française, qui y ensei- gna la philosophie un an . Elle devait plus tard appartenir au Cercle des amis de Pierre Boutang .
C’est en 1942 qu’elle intégra l’école de Sèvres . Élève de 1942 à 1946, elle y passa une licence de lettres (1944) . Elle poursuivit par un CA (actuel CAPES) de lettres classiques en 1947 et l’agrégation de lettres classiques en 1948 . Modeste, elle expli- quait qu’elle devait en partie aux circonstances sa réussite à l’agrégation . Ce n’était en effet qu’après avoir mis au programme Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné que le jury de l’agrégation s’était rendu compte que le livre n’était plus édité . Il avait fallu commander en urgence une édition bon marché, dans une France encore marquée par les restrictions . En Algérie, où elle était en poste, Geneviève Laleuf avait eu la chance de trouver une édition dans une bibliothèque, et de commencer à travailler l’œuvre un peu en avance .
Après la guerre, Geneviève Laleuf poursuivit sa carrière dans l’enseignement, les affectations se succédant : lycée de Guéret en 1946, lycée de Limoges en 1946- 47, collège de Bône en Algérie (aujourd’hui Annaba) en 1947-48 ; puis en tant que professeur agrégé au lycée de jeunes filles de Limoges de 1948 à 1952, à Caen de 1952 à 1954, à Fontainebleau de 1954 à 1958, et enfin au lycée Paul-Valéry de Paris de 1958 à sa retraite . Cette carrière lui fit marquer la vie de nombreux élèves et fut couronnée par un grade d’officier dans l’ordre des Palmes académiques . Professeur moderne, elle s’intéressait en pionnière à l’usage de l’informatique dans l’enseigne- ment des lettres et participa avec des élèves du lycée Paul- Valéry à une des premières émissions du jeu « Les Chiffres et les lettres » .
Sur le plan de la vie intellectuelle, elle fut guidée par ses amitiés, comme celle de l’helléniste Germaine Aujac ou du cardinal Jean Daniélou, qui avait été l’aumônier de Sèvres quand elle y était élève . Elle publia peu : quelques articles de critique littéraire sur des auteurs qui lui étaient chers (Claudel, Colette, Giraudoux, Péguy...) et des manuels d’orthographe, de stylistique ou de grammaire, dont certains en collabora- tion avec son père . Durant sa retraite, alors qu’elle continuait à participer activement à diverses sociétés littéraires (amis de Paul Claudel, de Robert Margerit...), elle se fixa comme mission de contribuer à faire connaître Paule Lavergne, auteur originaire du Limousin peu connue et sur laquelle elle publia plusieurs articles, notamment dans les « Cahiers Robert Margerit » . Elle défendait ainsi toujours sa terre d’origine . Elle était également un membre actif du groupe de réflexion catholique « Fidélité et ouverture », fondé à l’instigation du cardinal Daniélou . Elle s’engagea enfin dans plusieurs associations de défense des études littéraires, notamment « Sauvegarde des enseignements littéraires », association fondée par son ancien professeur Jacqueline de Romilly, et « Défense de la langue française » .
Geneviève Laleuf ne se maria pas et n’eut pas d’enfants . Sa sœur Simone et son mari Pierre Rispal, eux, eurent trois enfants et six petits-enfants . Ils formèrent pour Geneviève une famille proche et aimante .
Quand j’arrivai à Paris pour mon hypokhâgne, en 1994, c’est chez Geneviève Laleuf que je logeai . Sans doute reconnaissait-elle en moi quelques échos de ses propres études . Durant les années qui suivirent, jusqu’à son départ définitif en maison de retraite à Limoges puis à Dunkerque, nous cohabitâmes épisodiquement . Aux liens familiaux et d’affection s’ajoutèrent ainsi, pour moi, un long compagnon- nage intellectuel . Le matin de son enterrement, je sortais de la maternité où venait de naître mon fils, son dernier arrière-petit-neveu . Cet événement fortuit m’apparut comme un signe de transmission familiale qui me marqua .
Étienne CHANTREL (1997 l), son petit-neveu avec la collaboration de Marie-Hélène CHANTREL, sa nièce
Notes
1. Elle s’y était retirée pour se rapprocher de sa famille .
2. Jean-Jacques Perrin, « Un lycée pendant la Seconde Guerre mondiale. La khâgne de Clermont- Ferrand pendant la Seconde Guerre mondiale », colloque du 5 avril 2008 pour le bicentenaire du lycée Blaise-Pascal .