LELONG Pierre - 1931 s
LELONG (Pierre), né à Paris le 14 mars 1912, décédé à Ivry-sur-Seine (Val-de- Marne) le 12 octobre 2011. – Promotion de 1931 s.
Pierre Lelong, né dans une famille d’instituteurs, est demeuré constamment très attaché aux valeurs qui lui ont été transmises dès l’enfance : non seulement la rigueur dans le travail comme dans la vie, pour lui plus encore que pour les autres, mais aussi un attachement profond aux terres de ses ancêtres : l‘Auvergne où il passa toutes ses vacances durant la guerre et, surtout, l‘Alsace où il se rendit ensuite régulièrement .
Alors qu‘il était élève au lycée Buffon, il découvrit la montagne à l‘occasion d‘un séjour dans les Alpes . Un véritable coup de foudre ! C‘est là-même qu’il appren- dra son admission à l’École Polytechnique ainsi qu‘à l’École Normale Supérieure pour laquelle il optera sans hésiter . Peu avant, il avait obtenu un Premier Prix de Mathématiques au Concours Général en 1928 et un Accessit en 1929 . Cette période a été profondément marquée par la mort de son jeune frère Jacques, qu’il adorait et admirait . Il ne l’oubliera jamais .
Pierre Lelong, élève de l‘École normale supérieure (1931-1934), fut reçu au concours de l’agrégation de mathématiques en 1934 . Hélas plus personne n‘est là pour évoquer ses années d‘Ecole auxquelles il était attaché et dont il aimait parler !
Les années suivantes furent dévolues aux activités militaires . Élève officier (DCA) à Metz, puis à Chartres (1935), il devint lieutenant en 1938 . Mais une néphrectomie le contraignit alors à mettre quelque temps entre parenthèses son activité mathématique . Cependant, il sut mettre à profit cette période en suivant les cours de l’École libre des Sciences politiques où, en tant qu‘agrégé, il put accomplir sa scolarité en un an . C’est alors qu’il fonda, avec Jean Stoetzel, l‘Institut français d’opinion publique (IFOP) .
En 1941, Pierre Lelong obtint un poste d‘attaché de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), puis de chargé de recherche (1941-1943) . On lui confia aussi des travaux pratiques de mécanique à la Faculté des sciences de Paris (1941-1942) . Sa thèse de doctorat ès sciences, préparée sous la direction de Paul Montel (1894 s) et soutenue à Paris en 1941, portait sur « Quelques problèmes rela- tifs aux fonctions de deux variables complexes » . Le mémoire a été publié aux Annales de l‘École Normale Supérieure .
Commença alors une longue et brillante carrière scientifique à l‘Université, d‘abord comme chargé de cours à la faculté des Sciences de Grenoble (1943-1945), puis à la faculté des Sciences de Lille (1945-1948) . C‘est au cours de cette période qu‘il épousa, en 1947, Jacqueline Ferrand, brillante mathématicienne (Ulm, 1936 s) . Le couple aura quatre enfants . Il se remariera en 1976 avec France Fages, qui veilla sur lui jusqu‘à la fin de sa vie . En 1948, il devint professeur de mécanique rationnelle et appliquée (1948-1954) à la Faculté des Sciences de Lille . C‘est alors qu‘il fut à nouveau victime de la maladie (en 1949) : une tuberculose, pulmonaire cette fois, le contraignit à des séjours à l‘hôpital (où il fut traité par un pneumothorax), au sanatorium et à une postcure à Sceaux . Il poursuivit ses activités à l‘université Pierre- et-Marie-Curie (Paris VI) . Après sa retraite en 1981, il y devint professeur émérite .
C‘est en 1952 qu‘il créa, à l‘Institut Henri Poincaré à Paris, le Séminaire d’ana- lyse qui dès lors joua un rôle remarquable dans la vie mathématique . Son audience était impressionnante . Il fut en effet fréquenté par Henri Cartan (1923 s), Laurent Schwartz (1934 s) et plus régulièrement par Paul Malliavin, Michel Hervé (1939 s), puis par Pierre Dolbeault (1944 s) et par Henri Skoda (1964 s) qui, à partir de 1976, partagea avec Pierre Lelong la direction du séminaire . En 1977, le mathéma- ticien Jean-Pierre Demailly (1975 s), alors tout jeune, y exposa ses premiers résultats . Beaucoup de chercheurs français et étrangers y furent invités et purent bénéficier de la diffusion de leurs travaux dans les Actes du séminaire, publiés annuellement dès 1957 à l’Institut Henri-Poincaré, puis, à partir de 1967, chez Springer dans la série des Lecture Notes in Mathematics . Le séminaire d‘analyse complexe s‘est pour- suivi jusqu‘à aujourd‘hui, sous des formes diverses . Dès leur nomination à Paris, Gennadi Henkin et Jean-Marie Trépreau se sont associés à la direction du séminaire . À partir de 2006, avec l‘arrivée d‘Olivier Biquard (1986 s) et de Tien Cong Dinh à l‘université Pierre-et-Marie-Curie, il s‘est transformé en séminaire de Géométrie et d‘Analyse complexe . Il s‘est davantage orienté vers la géométrie différentielle tout en maintenant une importante composante d‘analyse complexe .
Pierre Lelong contribua très efficacement en 1974 à la création, par le CNRS, du Laboratoire d‘Analyse complexe et géométrie qui, après une longue évolution, devint l‘actuel Institut de mathématiques de Jussieu .
Pierre Lelong a eu de nombreux élèves parmi lesquels Gérard Cœuré, Philippe Noverraz, Hassine Elmire . Il fut codirecteur avec André Martineau (1949 s) de la thèse d‘Henri Skoda . Son œuvre a profondément et longuement influencé de nombreux mathématiciens de premier plan parmi lesquels Jean-Pierre Demailly, Gennadi Henkin et Yum Tong Siu .
Brillant mathématicien, Pierre Lelong fut aussi un homme engagé au service de l‘État . Il fut en effet conseiller technique pour la recherche scientifique et technique, l‘éducation nationale et la santé publique au Secrétariat général de l’Élysée (1959- 1961), auprès du Président de la République, Charles de Gaulle . Il participa ainsi à l‘effort de développement des universités et de planification de la recherche . Son influence fut extrêmement bénéfique et nous lui devons encore beaucoup aujourd‘hui . De 1960 à 1964, il fut l‘un des douze sages qui conseillèrent le Président pour ce qui concerne la politique de recherche . Membre du Comité consultatif de la Recherche scientifique et technique (1961-1965), il en fut le président de 1962 à 1964 . Il présida, de 1962 à 1964, la Commision de la recherche scientifique et technique du IVe Plan (1962-1964) . Ses charges administratives ne cessèrent d‘augmenter . Ainsi il fut égale- ment président de la Commission de l’informatique (1965) qui préparait la création de l‘Institut national de recherche en informatique et en automatisme (INRIA) . Il devint membre du Conseil scientifique de cet Institut (1966-1970) . Il présida encore le Comité mathématique pour la Préparation du Ve Plan (1964-1966), fut membre de la Section Plan et investissements du conseil économique et social (1962-1966) et président du Centre international de calcul créé à Rome par l’UNESCO .
Ses élèves, collègues et amis l‘ont honoré d‘abord par le colloque de Wimereux, en 1981, intitulé Les fonctions plurisousharmoniques en dimension finie ou infinie et organisé par Gérard Coeuré et Henri Skoda . Puis, à l‘occasion d‘un deuxième colloque, à Paris, pour son 85e anniversaire, en 1997 . Henri Skoda a mis en évidence, lors de la conférence inaugurale, la « Présence de l‘oeuvre de Pierre Lelong dans les grands thèmes de recherche d‘aujourd‘hui » . Elle figure dans les Actes du colloque Complex Analysis and Geometry, International Conference in Honor of Pierre Lelong, Progress in Mathematics, vol . 188, Basel, Boston, Berlin, 2000, p . 1-30 . L‘American Mathematical Society lui a consacré une notice qui lui rend un magnifique hommage (« A tribute to Pierre Lelong », AMS, Juin-Juillet 2014, p . 586- 595) .
Une notice de Christer Kiselman, publiée dans Normat 60 : 2, p .70– p .81 (2012), évoque amicalement, à travers de nombreuses et souriantes anecdotes, les moments que Pierre Lelong a partagés avec les hommes politiques et les mathématiciens de son temps .
Pierre Lelong a été élu à l’Académie des Sciences en 1985 . Il fut aussi docteur honoris causa de l’université d‘Uppsala . Il a reçu les Prix Eugène Dickson et Ernest Déchelle ainsi que le Grand prix des sciences mathématiques et physiques .
Il fut élevé au grade de commandeur de la Légion d’honneur, d‘officier des Palmes académiques, de chevalier de l’Ordre de la santé publique, de commandeur de l’Ordre de l’Étoile noire du Bénin, de commandeur de l’Ordre du Grand soleil du Pérou .
Il est difficile d‘évoquer le souvenir de Pierre Lelong sans souligner qu‘il aimait la nature, non seulement la montagne, mais aussi la mer . Il pratiqua la natation jusqu‘à un âge avancé, appréciant particulièrement la plage de Saint-Jean-Cap-Ferrat, près de Nice, en compagnie de son épouse France et de quelques amis .
Avec Pierre Lelong a disparu non seulement l‘un des grands mathématiciens du xxe siècle dont l‘influence perdurera, mais aussi un universitaire détaché de toute idéologie et profondément attaché aux valeurs républicaines et humanistes .
Informations recueillies par Henri SKODA (1964 s)
L’œuvre scientifique de Pierre Lelong a donné lieu à des contributions remarquables en Analyse complexe, un domaine important des mathématiques qui s‘est fortement développé depuis le début du xIxe siècle ; elle a beaucoup enrichi ce domaine par la création de concepts originaux et d‘outils puissants, notamment en vue de l’étude des fonctions analytiques de plusieurs variables . Ce furent d’abord (1942) les fonctions plurisousharmoniques, puis, quinze ans plus tard, les formes différentielles appelées « courants positifs fermés » . Grâce à leurs propriétés très particulières, les courants positifs ont fourni un moyen efficace de manipuler l’intégration sur les ensembles analytiques complexes et, par là-même, ont engendré de nombreuses applications à l‘arithmétique ou à la géométrie . L’étude de problèmes particuliers – ensembles exceptionnels, problèmes de croissance de l’analyse classique – peut alors se faire dans un cadre beaucoup plus large et s’étendre aux espaces et aux algèbres de dimension infinie . L’emploi de ces notions nouvelles, que Pierre Lelong a appelées les « objets souples de l’analyse complexe », l‘a conduit, après des recherches systématiques, à réaliser un rapprochement avec les principaux concepts de la géométrie algébrique ou kählérienne, comme le montrent les derniers résultats obtenus, tels que celui concernant la fonction de Green pluri-complexe en dimension finie ou infinie, ou l’extension donnée à des algorithmes qui semblaient essentiellement algébriques .
Jean-Pierre DEMALLY (1975 S)