PASCAUD Marc - 1946 s
PASCAUD (Marc), né le 8 juin 1925 à Barsac (Gironde), décédé le 30 avril 2017 à Fouesnant (Finistère). – Promotion de 1946 s.
Pierre-Emmanuel Pascaud, le fils de Marc Pascaud a répertorié dans les documents personnels transmis par son père, de nombreux « papiers » scientifiques, professionnels ou administratifs, accumulés par celui-ci de son vivant. Certains témoignent de rela- tions durables et un peu personnalisées entre Marc Pascaud et moi-même. La plupart d’entre eux concernent le temps durant lequel il a été « mon maître » en recherche : DESS, doctorat d’État. Quelquefois éloigné de son père, éloigné lui-même des « normaliens » et des « universitaires », Pierre Pascaud m’a demandé si j’accepterais de rédiger la notice nécrologique de son père. J’ai spontanément accepté d’honorer sa mémoire et de lui rendre hommage au travers de cette notice (Maurice Lièvremont).
Marc Pascaud est né à Barsac, de parents issus de familles de tonneliers locaux et petits viticulteurs de vin à Barsac . Sa mère était béarnaise et son père barsacais . Instituteurs à Barsac ils montèrent à Bordeaux avant la guerre et devinrent avocats . Marc avait un frère jumeau et un frère aîné tous deux décédés .
L’origine bordelaise de Marc Pascaud explique, au moins partiellement, l’attirance du jeune homme pour un certain exotisme . Jeune lycéen, il était également intéressé par la biologie médicale et rêva très tôt et très vite d’une carrière satisfaisant les deux champs visés : la santé et le monde naval . Ce choix rêvé a été malheureusement tout de suite contrarié par des conditions ou aptitudes physiques jugées insuffisantes et surtout par le début de l’occupation allemande : l’avenir « École navale » se fermait . Il s’engagea alors dans une préparation à la rue d’Ulm, en internat parisien, au lycée Saint-Louis . Après un premier échec en 1945 (échec tout relatif puisqu’il bénéficia d’une bourse et réussit le concours de l’Institut agronomique) il intégra Normale sup . l’année suivante .
Durant sa formation, il opta pour l’orientation « physiologie-biochimie » préférée aux autres disciplines « naturalistes » zoologie-botanique-géologie . Puis, contraint par ce qui était de règle à l’époque, il prépara et passa l’agrégation de sciences naturelles . Reçu dans un bon rang, il fut dispensé d’enseignement secondaire et s’engagea dans une carrière d’enseignant-chercheur . Le professeur Lévy, alors directeur du labora- toire de zoologie de l’École, l’orienta vers une collègue universitaire, physiologiste, Mlle Le Breton, qui dirigeait à la Sorbonne un laboratoire associé au CNRS et dont les thèmes de recherches relevant tous de physiologie et de biochimie cellulaires animales cadraient mieux avec la motivation du jeune diplômé . Le contact établi avec Mlle Le Breton allait perdurer . C’est également dans ce laboratoire qu’en 1955, Marc Pascaud rencontra Annick qui allait devenir son épouse .
Sa trajectoire d’enseignant-chercheur était tracée, Marc Pascaud ne s’en écarta pas de sa vie entière : DESS, doctorat ès sciences, chaire de Physiologie de la nutri- tion à Paris-VI, Institut d’études sur la cellule normale et cancéreuse du CNRS de Villejuif (directeur à l’époque : Mlle Le Breton) . Les disponibilités budgétaires d’alors permettaient le choix de techniques « modernes d’investigations biologiques » ; Marc Pascaud choisira les techniques chimiques d’analyse chromatographique et de marquage isotopique du métabolisme animal, et ce, pour toute sa carrière (période « cholestérol et les esters de cholestérol, le secteur hépatique, les phospholipides membranaires etc . »)
Une vie d’enseignant-chercheur résidant à Bourg-la-Reine n’exclut pas d’autres passions notamment sportives : Marc Pascaud continua les cours de gymnastique de l’ENS bien après la fin de sa scolarité . Avec son frère jumeau (Guy, « agro ») qui habitait Grenoble, il parcourait les sommets de la région (ski, alpinisme) et il alla même jusqu’au camp de base de l’Everest . C’est à Bourg-la -Reine que sont nés leurs deux enfants : Anne (1962) et Pierre (1965) . Annick, originaire de Fouesnant, a apporté la touche maritime de la Bretagne : la maison familiale est devenue la maison de vacances puis celle de la retraite avec les baignades en mer (dans une anse de Cap Coz), des excursions et quelques passages aux Glénans . Ce contact avec l’océan s’est conservé longtemps au-delà de l’hexagone, notamment dans le cadre d’études du métabolisme des graisses chez les manchots en pseudo-hibernation (missions aux îles Kerguelen) . L’appel de la montagne a duré lui aussi, l’entraînant dans des excursions pratiquement annuelles, jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans, dans les Pyrénées françaises et espagnoles .
Marc Pascaud n’a pas eu de stratégie de carrière . Au cours de sa vie active, il a notamment refusé deux propositions d’enseignement aux États-Unis, comme profes- seur de biochimie, et deux propositions de direction de laboratoire propre du CNRS . Il avait néanmoins une démarche de recherche solide et ancrée sur des certitudes : sur la planète, beaucoup d’humains ont faim (dont au moins 200 millions d’enfants), un homme sur trois est qualitativement ou quantitativement mal nourri, soit par excès, soit par défaut ; concrètement notre état nutritionnel s’exprime par des mani- festations pathologiques qu’il faut expliquer et réduire : c’est pour cela que les études physiologiques et biochimiques de la nutrition présentent un grand intérêt . C’est pourquoi il a toujours cherché à relier ses études aux manifestations pathologiques de notre état nutritionnel et ainsi, de façon logique, à des applications utiles au service de la santé et de la qualité de vie de l’homme .
Ce challenge était parfaitement dans l’esprit de la chaire de physiologie métabolique et nutrition dont il était devenu titulaire, mais il s’est avéré difficile à conduire . Difficile parce que la période 1965-1990 de transition et de restructuration des pôles de recherche et d’enseignement supérieur franciliens ne facilitait, ni matériellement, ni thématiquement, la création de l’espace scientifico-professionnel que Marc Pascaud méritait et dont il avait besoin : ni au plan des infrastructures, construction de locaux, relocalisation des laboratoires, transformation de la Sorbonne ; organisation de Jussieu, conversion de Villejuif en 1972, etc . ni au plan des thématiques avec l’évolu- tion des « tendances-modes » vers plus de spécialisation . En outre, le positionnement personnel de l’intéressé, en interface, volontairement interdisciplinaire et difficilement influençable, n’était pas de nature à réduire ces difficultés .
La meilleure illustration de ce positionnement, Marc Pascaud la présente en préambule de son dernier livre (Métabolisme et nutrition, déviations pathologiques) paru en 2010 . C’est un véritable testament :
« ... les situations d’interface présentent l’avantage d’acquisitions et d’approfon- dissements de connaissances, mais aussi l’inconvénient d’incompréhensions résultant généralement de différences dans la nature des objectifs, des niveaux d’intégration biolo- gique, ainsi que dans l’utilisation de langages différents »... « La nécessité d’une efficacité – surestimée – de la recherche spécialisée, souvent répétitive, est un obstacle à l’interaction fructueuse et novatrice entre les diverses disciplines scientifiques, aux transferts analogiques et à la découverte. J’ai tenu à écarter ce risque de spécialisation dans ma recherche person- nelle, diversifiée, qui a porté essentiellement sur les métabolismes cellulaires des lipides et des protéines, abordés avec des outils appropriés différents, mais avec les mêmes idées directrices. Le voyageur découvre le monde avec les mêmes bagages. »
Maurice LIÈVREMONT
Normalien, titulaire de la Chaire Sorbonne « Physiologie et Nutrition » à la suite d’Elyane Le Breton (finalement transférée à Jussieu), mon père né en 1925 aura été un témoin représentatif de son temps : investigateur des effets de la généralisation massive de la chimie comme choix civilisationnel . Spécialisé dans l’étude des graisses et en particulier des membranes cellulaires, son intérêt scientifique doit beaucoup à un accident à ses 5 ans : constatant une fuite dans un des tonneaux de la récolte familiale de vin de Barsac, il tenta d’y parer en buvant le goutte à goutte de vin et de lie s’en échappant dans l’attente d’un adulte pour colmater le fût . Il consacrera sa vie au métabolisme au sens large – apports, digestion, respiration et neurologique – d’abord par la comparaison cellule normale et cancéreuse puis par les anémies, pathologies chroniques et vieillissement . Depuis son autre laboratoire, au CNRS de Villejuif qui disparaîtra aussi, il assistera à l’offensive de la génétique minorant l’approche métabolique et énergétique . Replié sur l’université, il subira l’assèchement des crédits aux facultés . Il chercha à dépasser le cloisonnement physique-chimie sans y parvenir . Malgré moi mêlé à ce qu’il décrit comme des déviations et non pas des perturbations, il était pour moi nécessaire de rompre le contact . Je me souviens de sa dernière remarque sur, considérait-il, « le plus intéressant de ses recherches » : Après le catabolisme, où vont les acides aminés ? A 93 ans, peu avant sa mort, il s’intéressait en parallèle aux zones d’entrechoc des vagues et des ondes .
Pierre-Emmanuel PASCAUD, son fils