PICK Robert - 1953 s
PICK (Robert Michel), né le 20 août 1932 à Boulogne-Billancourt (Seine), décédé le 28 juillet 2020 à Suresnes (Hauts-de-Seine). – Promotion de 1953 s.
Robert est né avec des gènes scientifiques : sa mère avait été l’une des premières femmes agrégées de mathématiques en France . Professeur au lycée Marie-Curie de Bourg-la- Reine, elle bénéficiait d’un respect et d’une solidarité tels de la part de ses collègues que, lorsque les lois du gouverne- ment de Vichy l’ont forcée à quitter le lycée, tous les autres professeurs ont indiqué qu’ils souhaitaient que les « petits cours » de mathématiques soient dispensés par elle .
Malgré le déclenchement de la guerre en 1939, l’année scolaire se déroule sans histoires pour Robert et son frère ainsi que le début de la suivante (1941) . Mais le 12 décembre 1941 a lieu la première rafle de juifs français effectuée par les Allemands . Leurs parents prennent alors conscience du danger et décident de passer clandestinement la ligne de démarcation . Ils arrivent en Zone libre à Saint-Étienne . Les deux garçons sont inscrits au lycée, Robert en 7e . Leurs parents trouvent un emploi . Ils restent à Saint-Étienne jusqu’en octobre 1944 . De retour à Bourg-la-Reine, où se trouvait leur nouveau logement, Robert entre au lycée Lakanal de Sceaux . Malheureusement, leur professeur de français de seconde, tuberculeux sans le savoir, transmet sa maladie à sa classe . Retiré du lycée en janvier 1948, Robert reste alité chez lui jusqu’au printemps, et sa mère et trois collègues lui donnent des leçons particulières . Fin juin, il part à la montagne achever sa guérison jusqu’à fin août, début d’une nouvelle année scolaire . C’est à cette époque que son père tombe malade ; il décède au début du mois d’avril suivant .
A la rentrée 1950, Robert entre dans une classe d’hypotaupe au lycée Saint- Louis et intègre l’École en 1953, dans une promotion comptant 29 scientifiques et 34 littéraires . Ces promotions assez réduites permettaient une grande familiarité non seulement entre scientifiques mais aussi avec des littéraires . Nous étions tous internes et, de plus, une loi récente obligeait les normaliens, comme les élèves d’une dizaine d’écoles d’ingénieurs, à suivre une instruction militaire . Celle-ci avait lieu à Vincennes tous les samedis après-midi et nous avons aussi eu droit à des stages d’été de dix jours, puis quinze jours, puis trois semaines .
En première année, nous avions des salles de travail pour deux ou trois mais dormions dans de grands dortoirs qui rappelaient le xixe siècle . Heureusement, dès la deuxième année, nous avions droit à des « thurnes » à deux, assez agréables . Cothurner avec The Boss (le surnom habituel de Robert) a renforcé nos liens d’amitié . Très musicien, sans jouer d’un instrument, Robert était capable de lire avec plaisir une partition comme d’autres lisent un livre et on écoutait ensemble des disques 78 tours . En quatrième année, celle de l’agrégation pour les physiciens, chacun avait sa thurne pour lui tout seul .
Notre enseignement était mixte : des cours en faculté, dans des amphis archicombles – où on n’était même pas sûr d’avoir une place debout – et aussi de très bons cours à l’École avec d’éminents professeurs, Laurent Schwartz (1934 s) et André Lichnerowiz (1933 s) en mathématiques, Yves Rocard (1922 s), Alfred Kastler (1921 s) et Pierre Aigrain en physique . Le clou de la semaine, en seconde année, était le mercredi matin où un autocar nous emmenait au CEA (Commissariat à l’énergie atomique) à Saclay pour suivre les cours de mécanique quantique de Messiah, Bloch et Trocheris, car cet enseignement n’existait pas encore à la vénérable Sorbonne ! Et c’est là que Robert a pris goût à la physique théorique, domaine où il s’est illustré plus tard .
Bien qu’internes, nous avions une vie sociale intense : le bal de l’École en décembre, la Garden Party, souvent arrosée, en juin où Robert faisait venir ses nombreux amis et amies parisiens . Aux vacances, il est arrivé plus d’une fois à l’un de nous de visiter avec lui des églises romanes, Saint-Benoît-sur-Loire, Le Puy, Saint-Nectaire... dans lesquelles Robert passait de longues minutes à examiner avec des jumelles les sculp- tures des chapiteaux . Il avait une grande ouverture d’esprit et s’intéressait à beaucoup de sujets .
La quatrième année fut pour les dix physiciens de notre promotion – auxquels s’étaient jointes six Sévriennes – l’année de préparation à l’agrégation de sciences physiques (physique et chimie) . Nous étions une promotion à la fois chahuteuse et sérieuse, mais surtout solidaire, grâce à quoi nous fûmes tous reçus dans de très bons rangs .
À l’automne 1957 débutait le service militaire qui, pour notre promotion, dura vingt-huit mois, en raison de la guerre d’Algérie . Nous l’avons commencé comme sous-lieutenants et continué au bout de dix-huit mois comme lieutenants . Après deux mois à Caen, Robert fut envoyé en Algérie dans l’Armée de l’air, d’abord dans le personnel volant, puis détaché au CEA d’Alger . Pendant une permission en octobre 1958, il put épouser Monique .
À son retour du service militaire, Robert Pick commença un travail de recherche en vue du doctorat au CEA de Saclay, centre qu’il connaissait déjà pour y avoir suivi des cours et travaillé en vue de son diplôme d’études supérieures . Sa thèse de doctorat d’État (« Étude de l’interaction de paire dans quelques métaux normaux ») fut soutenue en 1965 sous la direction de Jacques Friedel . Après un séjour postdoc- toral de huit mois au James Franck Institute de l’université de Chicago avec Morrel H . Cohen et Richard M . Martin, il revint à l’université Pierre-et-Marie Curie comme maître de conférences puis professeur . Ses activités de recherche – qui se dévelop- pèrent d’abord dans le département de Recherches physiques, qu’il dirigea pendant plusieurs années, puis dans l’Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmologie (IMPMC) – recouvraient l’étude de la dynamique des matériaux et de leurs propriétés vibrationnelles telles qu’observées par différentes méthodes spectros- copiques (infrarouge, Raman...), ainsi que les phénomènes d’incommensurabilité, de désordre dans les phases solides1 .
Une part importante des activités de Robert concernait la coopération scien- tifique internationale, particulièrement européenne . Sa coopération étroite avec Salvatore Califano l’a amené à participer à la création du Laboratoire européen pour la spectroscopie non linéaire (LENS) à Florence et à en prendre la vice- direction pendant quelques années . Mais une majeure partie de ses activités européennes s’est déroulée dans le cadre de la Société européenne de physique (European Physical Society, EPS) créée en 1968 par des scientifiques européens et des sociétés nationales de physique, aussi bien d’Europe occidentale que d’Europe de l’Est (Union soviétique incluse) . Robert y a adhéré rapidement et a fait partie du Bureau de la division de la matière condensée de l’EPS de 1989 à 2000 . Mais ses activités principales ont concerné le Comité des conférences2 . Maurice Jacob (1953 s – ils étaient de la même promotion à l’ENS), alors président de l’EPS, a demandé à Robert de s’occuper de ce comité et de l’animer (1993-2003) . Il y avait à cette date la crainte de voir les Gordon Conferences (USA) s’implanter en Europe et contrôler ainsi une partie des réunions scientifiques européennes . Robert, avec l’appui de l’European Science Fundation (ESF Strasbourg), a bloqué cette menace potentielle . Il a joué un rôle majeur dans l’organisation et la restruc- turation des colloques scientifiques, ateliers de travail, écoles d’été de physique en Europe : éviter les doublons, faire en sorte que l’EPS soit présente et active dans ces réunions scientifiques, subventionner les jeunes chercheurs participant à ces réunions à l’aide de bourses subventionnés par l’EPS... Robert Pick a été élu Fellow de l’EPS en 2006 .
Nous ne pouvons pas terminer cette notice sans rappeler la personnalité très atta- chante de Robert, son enthousiasme communicatif, son caractère chaleureux et sa bonne humeur permanente . Dans les réunions scientifiques ou organisationnelles, Robert était toujours très présent et actif, intervenant avec les yeux brillants et mali- cieux . Très féru d’histoire, il a publié un livre sur l’évolution historique du quartier de Passy à Paris (où il habitait) : Du village de Passy à la rue de Passy : 150 ans d’his- toire commerciale (L’Harmattan, 2017) .
† Georges GRANER (1953 s)
et Martial DUCLOY (1964 s)
avec la contribution de Monique PICK et de ses enfants
Notes
1 . C . Dreyfus, L . Bove, A . Polian, Reflets de la Physique, 68 (2021), p . 46 .
2 . Cf . l’article de M . Ducloy dans Europhysics News, 51/5 (2020), p . 11 .