PONSOLLE Patrick - 1965 l
PONSOLLE (Patrick), né le 20 juillet 1944 à Montpellier (Hérault), décédé le 23 février 2020 à Paris. – Promotion de 1965 l.
Les deux témoignages qui vont suivre ont rythmé la cérémonie des obsèques de notre camarade, le 28 février 2020 en l’église Saint-Germain-des-Prés, autour de son épouse Nathalie, de ses enfants et petits-enfants vers qui vont nos pensées émues.
J’ai rencontré Patrick Ponsolle en 1981. Laurent Fabius (1966 l) qui avait été son condisciple rue d’Ulm puis à l’ENA et dont il était l’ami, avait souhaité l’appeler à son cabinet au ministère du Budget.
Patrick a apporté au ministère, outre son intelligence, des connaissances économiques approfondies et une vision internationale, liée à son expérience. Cette sensibilité au rôle des échanges internationaux, à celui des marchés financiers, était à l’époque très rare dans les cercles gouvernementaux. Les conseils et avis de Patrick ont joué un rôle significatif dans les choix politiques de notre pays.
Mais la fonction publique limitait les capacités d’action de Patrick : l’entreprise lui convenait mieux. Il rejoignit en 1983 la Compagnie financière de Suez dont il devint administrateur-directeur général. Suez, c’étaient les stratégies de l’argent. Patrick n’était pas seulement un stratège, il était aussi un homme engagé et tenace. Il mena une bataille homérique pour le contrôle de la Générale de Belgique. Il triompha : son adversaire vaincu reconnaîtra qu’il était le meilleur banquier d’affaires de France. Chez Suez, Patrick fut de ceux qui contribuèrent à moderniser notre système indus- triel et financier, notre approche même de l’entreprise.
Après dix ans, Patrick rejoignit comme président Eurotunnel, ouvrage d’art monumental, chef d’œuvre d’ingénierie, lien politique, mais société aux difficultés financières majeures. Patrick eut besoin de tous ses talents de négociateur, de toute sa créativité, de toute son audace, pour la piloter à travers les turbulences. Il rejoignit ensuite de grandes banques d’affaires, où son talent de financier s’exerça au service de l’économie réelle.
À soixante-dix ans, son intelligence et son énergie intactes, Patrick entreprit une nouvelle vie : il se mit avec enthousiasme au service des start-up, leur apportant appui, aide et conseils.
Ce n’était pas seulement un homme riche de sagesse et d’expérience : c’était un vrai entrepreneur. Il m’a proposé de l’accompagner dans une de ses aventures. Patrick était irrésistible : je ne lui ai pas résisté et sa façon d’être et de faire a encore accru mon admiration pour lui. Il y a des entrepreneurs qui ont une vision, d’autres qui ont le sens du détail concret ; certains sont des diplomates très habiles, d’autres savent montrer une ténacité hors normes. Patrick était tout cela, souriant et redoutable tout à la fois, ayant le sens exact de la mesure et des capacités d’enthousiasme.
La lutte contre la maladie ne l’a jamais détourné ni distrait : elle a mis en lumière plus vivement encore ses vertus : son courage, son élégance et sa force morale.
J’ai parlé de la vie professionnelle de Patrick, de sa réussite ; mais c’est d’abord à l’ami que je pense aujourd’hui. C’est une amitié qui s’est construite et développée sur près de quarante ans, sur l’image de Patrick, sa culture, sa curiosité, son sens du dialogue, mais d’abord sur son cœur. Pour tous ceux qui l’ont bien connu, cette amitié reste aussi présente que son œuvre.
Louis SCHWEITZER
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Chère Nathalie, chers enfants, chers parents et amis réunis ici pour dire notre hommage et notre reconnaissance à Patrick,
Nous avons perdu un mari, d’un mariage de quatre décennies.
Nous avons perdu un père exceptionnel de tendresse, d’attentions et d’indulgence. Nous avons perdu un beau-père qui avait su créer un rapport original de respect, de confiance et d’affection. Il n’est pas si simple de s’installer, à trente-huit ans, dans un appartement où il y a déjà quatre enfants.
Nous avons perdu un ami fidèle, qui n’avait pas que des amitiés de trente ans mais plutôt des amitiés de cinquante ans.
Nous avons perdu un chef. Un chef de famille et un chef d’entreprise.
Nous avons perdu une figure et une silhouette. Un visage de médaille, une silhouette toute d’élégance. Une silhouette que le sport avait forgée, et pas seulement le rugby devant la télévision, mais le tennis et la passion de la chasse.
Nous l’avons vu encore, il y a moins d’un an, ouvrir avec Nathalie le bal à Faro, au mariage de Joséphine et de Mathieu, puis danser encore, une semaine après, au mariage de Louise à Florence.
Son élégance n’était pas que celle de la parure, bien que Sacha m’ait confié hier qu’en ouvrant les dressings, on avait trouvé une grande collection de vêtements, et qu’il ait eu le goût et la générosité d’en offrir souvent à tous les enfants et à Nathalie. De temps à autre d’ailleurs, elle les rapportait pour les échanger...
Non : une élégance qui était celle de la culture, de la langue classique du Normalien, et celle de la pensée.
Et puis nous avons perdu un homme du monde ; non pas un mondain, bien qu’il aimât la bonne société et la compagnie de ses amis de chasse. Non : d’abord un homme du monde au sens fort du mot, au sens universel. Il aimait l’histoire du monde, de sa création, du premier homme. Il y avait encore, ces dernières semaines, sur sa table de chevet, Sapiens et des ouvrages d’anthropologie ou d’histoire, et notamment de l’Afrique des origines.
Mais en fait non, nous n’avons rien perdu.
Nous avons tout gagné, chacun de nous, chacun de vous réunis dans cette nef. Et pour toujours.
Nous avons gagné une philosophie de la vie faite de valeurs et de respect des différences. Patrick était un homme de progrès et de solidarité. Je l’entends encore à Faro, dire dans le discours à Joy, qu’il admirait son attention à la condition des plus vulnérables.
Une philosophie qu’il avait encore livrée à ses enfants aux dernières heures, en voyant dans l’unité affectueuse de la fratrie la définition même d’une vie réussie.
Nous avons gagné une philosophie de l’anticonformisme, de l’originalité, du refus des idées reçues. Comment d’ailleurs aurait-on pu être conformiste et le mari de Nathalie ? Nous avons gagné une philosophie de l’art, de lui qui aimait tant ses tableaux, ses photos, ses objets. Je me souviens en Afrique, comme nous allions, à la sortie d’un rendez-vous au Palais présidentiel d’Abidjan, à la recherche de sculptures Baoulé ; ou combien il était curieux de Quenum, un jeune peintre contemporain, dans un vernissage au Bénin...
Nous avons gagné une philosophie de l’humour dont il était si familier et qui allait de la subtilité toute britannique aux blagues dont il était prêt à rire, même tout seul.
Nous y avons gagné aussi une philosophie de l’action et du combat. Comme il aimait la chasse, il aimait les grandes batailles d’affaires. Il pouvait y paraître dur et intimidant. Comme il pouvait intimider ses neveux, les cousins des enfants. Mais s’il était à vos côtés dans les batailles, on se sentait plus fort et c’était un savant et bienveillant mentor. J’en avais fait l’épreuve moi-même quand il avait rejoint, sans doutes ni scepticisme, le Conseil de notre société.
Mais de tout ce que nous avons gagné, ce qui restera de plus précieux en héritage, c’est l’amour, l’amitié et la tendresse.
Patrick aurait aimé ces vers de Birago Diop1, le poète de ce Sénégal qu’il aimait tant :
« Les morts ne sont pas morts,
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis. Ils sont dans le Sein de la femme,
Ils sont dans l’Enfant qui vagit
Et dans le Tison qui s’enflamme.
[...]
« Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots,
C’est le Souffle des Ancêtres. »
Lionel ZINSOU-DERLIN (1975 l) 1. Birago Diop, extraits de Leurres et lueurs, 1960 – Éditions Présence Africaine.