SARRIEU Pierre, Joseph, Bernard - 1894 l

SARRIEU (Pierre, Joseph, Bernard), né à Montauban (Tarn-et-Garonne) le 29 juin 1875, décédé à Montauban le 5 janvier 1935. – Promotion de 1894 l.


Bernard Sarrieu était le fils de Pierre Joseph Sarrieu et d’Anne Escard, tous deux originaires du village pyrénéen de Saint-Mamet jouxtant la station thermale de Bagnères- de-Luchon (Haute-Garonne) . Son père fut professeur de sciences puis directeur de l’École normale de Montauban . La première langue qu’il entendit fut le languedocien de Montauban, seule langue qui se parlait dans la maison de sa nourrice . Il se passionnera pour le gascon-montagnard de la vallée de Bagnères-de-Luchon, que la famille rejoint pour les vacances scolaires . En 1889, après avoir obtenu une dispense d’âge de deux ans, car il n’a que 14 ans, il est reçu bachelier de rhétorique avec la mention très bien . En 1890, il obtient la mention bien au baccalauréat de philosophie .

À dix-sept ans, en 1892, il est reçu deuxième ex aequo au concours de l’École normale supérieure, mais la maladie lui fait interrompre ses études . Il prendra une année sabbatique pour refaire sa santé au village de ses ancêtres . C’est à cette époque qu’il entreprend le relevé systématique du patois local et conçoit le projet d’écrire son œuvre maîtresse Éra Pirénéïdo composée de douze chants en gascon-montagnard de Luchon, comprenant 32 123 vers avec traduction, qu’il mettra vingt ans à composer .

Il intègrera l’École normale supérieure avec la promotion 1894 et sera professeur de philosophie en 1896 . Ses problèmes de santé récurrents le feront exempter du service militaire, il ne sera pas mobilisé en août 1914 ; il évitera ainsi de faire partie de la trop longue liste des normaliens morts pour la France . Il est nommé à Mortain, puis à Quimper, ce qui lui donnera l’occasion d’apprendre le breton, ajoutant ainsi une voix de plus à l’ensemble des dialectes et des différentes langues étrangères qu’il pratiquait ; cette maîtrise des langues lui permettra de collaborer toute sa vie à de nombreuses revues étrangères .

C’est au cours de cet « exil » que le mal du pays le poussera à entreprendre la publication d’un dictionnaire du « parler de la vallée de Bagnères-de-Luchon » . La première partie consacrée à la phonétique sera publiée dans les éditions de 1902, 1903, 1904 et 1906 de la Revue des langues romanes.

En 1902 il obtient sa mutation pour le lycée d’Auch (Gers) . Le voilà enfin en pays gascon, et en bon gascon il va quelque peu oublier la promesse faite au directeur de la Revue des langues romanes, lequel se plaindra souvent de ne pas voir venir la suite du dictionnaire (morphologie, lexique et grammaire) . Sa santé s’étant améliorée, il prépare l’agrégation qu’il obtiendra en 1907 . En 1904, il fonde l’Escôlo déras Pirinèos association située dans le droit fil du mouvement félibréen de Frédéric Mistral, qui se donne pour but de promouvoir les langues et traditions locales gasconnes dont la devise sera Toustém Gascous (Toujours Gascons) qui sonne en écho au cri de guerre de Gaston Fébus : Toquey si gauses (graphie usitée par Gaston Fébus) (Touches-y si tu oses) . Il sera l’infatigable cheville ouvrière de cette phalange dont il occupera le poste de secrétaire général à vie, les présidents se reposant sur cet authentique maire du palais .

Bernard Sarrieu ne se mariera pas et sera totalement disponible pour se consa- crer corps et âme à son sacerdoce : « maintenir et relever la langue gasconne, en développer la connaissance, l’étude scientifique et la culture littéraire » . L’outil de communication et de liaison de ce mouvement félibrige sera la revue Éra bouts déra mountánho (La Voix de la montagne) dont il sera le rédacteur en chef à vie . Dans cette revue mensuelle, il publiera des articles de fond sur la langue gasconne et encouragera ses contemporains à publier des articles, poèmes, chroniques, etc ., écrits dans les dialectes gascons pyrénéens – on en recense une quarantaine environ – pratiqués par les auteurs dans leurs villages .

En plus de cette publication, Bernard Sarrieu assurait la parution de l’Armanac déra mountánho (Almanach de la montagne) composé d’une soixantaine de pages et tiré à 5 000 exemplaires . L’Escôlo organise des jeux floraux reprenant la tradition des trouba- dours tels Marcabrun, Aymeri de Péguilhan et Amanieu de Labroquère, cassant ainsi le préjugé tenace que le gascon n’est bon qu’à rimer des gauloiseries du sel le plus grossier . Autre moment fort, les Félibrées annuelles où chacun vient paré de la tenue tradition- nelle de sa vallée . On y élit la reine de l’Escôlo, on y déclame de la poésie, etc .

Bernard Sarrieu est considéré comme l’initiateur du folklore des Pyrénées gasconnes . Musicien accompli, il composera de nombreuses chansons dédiées au Comminges et à Luchon . C’est sur proposition de Frédéric Mistral qu’il fut élu majoral du Félibrige . La Cigalo dis aupiho lui fut attribuée par le Consistoire, en Arles, le 1er novembre 1910 . En 1912, il obtient enfin sa mutation pour Montauban et enseigne dans le lycée où il fut élève : toute une consécration . Il refusera la propo- sition d’occuper la chaire des langues romanes à la faculté de Bordeaux, préférant se consacrer à son Escôlo .

Pendant plus d’une vingtaine d’années encore, Bernard Sarrieu va déployer une activité immense . Le catalogue des œuvres qu’il a publiées est impressionnant, et à cette liste il faut ajouter nombre de manuscrits dont certains ont été perdus . Le 5 janvier 1935, il n’a pas fêté ses 60 ans, quand la mort surprend cet apôtre du gascon-montagnard qui a encore de nombreux projets en cours de réalisation . Il n’aura pas eu le temps de ranger et de mettre en ordre ses travaux afin de les léguer à la postérité . À son domicile de Montauban, les membres de l’Escôlo récupèreront plus de 500 kilogrammes d’archives qui furent dispersées . La plupart furent perdues ou pillées, dont le lexique et la grammaire du « parler de la vallée de Bagnères-de- Luchon » qui étaient prêts à être imprimés .

Claude HAFFNER