VIAL Claude - 1963 L
VIAL (Claude), née le 8 novembre 1942 à Paris, décédée le 2 mai 2023 à Paris. – Promotion de 1963 L.
Claude Vial s’est éteinte dans la nuit du 2 au 3 mai, à son domicile parisien . Si elle avait eu, ces dernières années, à affronter de réels problèmes de santé, elle les avait surmontés sans se plaindre et même en les minimisant, afin de n’inquiéter personne . Ils n’étaient plus qu’un souvenir qu’elle balayait d’une phrase (« Moi ? ça va bien ! ») avant de passer à d’autres sujets de conversation . Ceux des membres de sa famille et de ses amis qui l’avaient vue ou lui avaient téléphoné récemment lui avaient trouvé un très bon moral,
faisant des projets de voyage pour le printemps et l’été . Dans quelques jours, elle devait partir en Italie du Sud avec sa sœur . Elle pensait aussi à se rendre en Grèce et en Irlande, deux pays auxquels elle était très attachée et qu’elle avait explorés dans leurs moindres lieux . Elle continuait à suivre les publications américaines de science- fiction et d’heroic fantasy, ce dont elle parlait volontiers quand on lui demandait quel était ce livre en anglais posé ouvert, devant elle .
Celles et ceux qui l’ont connue dans l’exercice de notre profession de chercheurs et de pédagogues gardent la même impression de son caractère . Claude Vial avait une intelligence vive et une grande expérience de l’histoire de l’antiquité grecque, ainsi que des relations académiques en général, quoiqu’elle les ait observées de loin . Tout cela lui permettait de vite entrevoir les solutions aux problèmes scientifiques et de juger qui elle avait en face d’elle . Elle savait aussi reconnaître ses erreurs (une qualité qui n’est pas si fréquente dans notre métier) et se hâtait de prévenir quand, sur tel point, elle s’était trompée . Avec amusement, on se rappelle aussi son étourderie dans son rapport aux objets, ce qui n’empêchait pas qu’elle fût une remarquable organi- satrice des choses pratiques, aidée en cela par une immense mémoire . Elle mettait cette qualité au service des autres même si, récemment, elle se réjouissait de quitter enfin le conseil syndical de son immeuble du 12e arrondissement, après avoir réglé les problèmes embrouillés qui se posent toujours dans ce genre de communauté .
C’est d’abord en tant qu’historienne que nous l’avons connue . Elle avait été élève de l’École normale supérieure de jeunes filles du boulevard Jourdan (1963-1967) . Agrégée de lettres classiques (1966), elle s’était tournée vers Jacqueline de Romilly (1933 l) pour une maîtrise sur Thucydide . C’est Mme de Romilly qui avait conseillé à Claude Vial de suivre les cours de Louis Robert (1924 l) . Par lui, dont elle parlait toujours avec le plus grand respect, elle avait saisi que les inscriptions sont une source majeure pour l’historien et elle était passée du ve siècle athénien à l’époque hellénistique .
À l’automne 1967, elle devint assistante en histoire grecque à Lyon . Même après son départ pour Montpellier, elle a toujours manifesté son attachement à la ville de Lyon et à son université, où elle a fait de belles rencontres qui l’ont marquée toute sa vie . En thèse de troisième cycle, sous la direction de François Chamoux (1934 l), elle procéda à la traduction et au commentaire du livre XV de Diodore . Cette thèse, soutenue en 1973, donna lieu peu après à un volume de la CUF (1977) . C’était cependant déjà son deuxième ouvrage, puisqu’on lui devait depuis 1972 un lexique de l’Antiquité grecque . À Lyon, elle continua de se former en épigraphie, fréquen- tant les séminaires de Jean Pouilloux (1939 l) . C’est là qu’elle fit la connaissance d’Anne-Marie Vérilhac avec qui elle resta en échange constant . En 1975, elle entreprit des recherches dans le cadre d’une thèse d’État . François Chamoux lui avait conseillé, pour cela, de se tourner vers Jacques Tréheux (1934 l) . Ce dernier lui proposa d’abord de travailler sur l’impérialisme spartiate . Il était trop tard cependant pour la ramener à l’époque classique . Claude Vial, sans détours, repoussa l’idée et réclama un autre sujet . Ce fut Délos, du temps où elle était une cité indépendante (314-167) .
La soutenance eut lieu en février 1983, suivie d’une prompte publication, dès 1984, sous la forme d’un supplément du BCH (Bulletin de correspondance hellénique) . Ce livre, intitulé simplement Délos indépendante, est l’une des plus importantes publi- cations d’histoire hellénistique parue durant les dernières décennies du xxe siècle .
Délos était, en cette haute époque hellénistique, une petite cité, mais elle a livré un grand nombre d’inscriptions . Se fondant sur les méthodes de la prosopographie, mais sans s’en tenir au seul travail d’identification et de mise en fiche des individus, Claude Vial a bâti un travail d’histoire sociale totale, lui permettant d’aborder à la fois les enjeux institutionnels, politiques et économiques de la vie de cette commu- nauté . Ce livre que l’on consulte toujours avec profit, qui se lit très bien, est cité partout dès qu’il est question de Délos entre 314 et 167 . Il s’est imposé comme un outil de travail indispensable, même quarante après, même après un flot de nouveaux travaux sur Délos . Claude Vial, encore ces derniers mois, était capable, quand on l’y poussait, de parler de ces notables déliens de mémoire, de dire qui était parent de qui, qui avait assumé telle ou telle magistrature ou loué telle ferme d’Apollon . Elle n’a en effet pas cessé de poursuivre sa réflexion sur Délos, publiant en 1997 un article corrigeant des erreurs et des oublis puis, en 2008, alors qu’elle était déjà à la retraite, un index des Déliens .
La thèse d’État était alors nécessaire pour intégrer le corps des professeurs . En octobre 1987, elle fut recrutée pour enseigner l’histoire grecque à l’université Paul-Valéry de Montpellier et y resta vingt ans, jusqu’à sa retraite en 2007 . Là, elle fut membre du centre d’études sur l’Antiquité, le Cercam (Centre d’étude et de recherche sur les civilisations antiques de la Méditerranée) . Pendant toute son acti- vité, elle a accompli avec la plus rigoureuse application ses devoirs d’enseignante .
Jamais elle n’a rechigné à assumer les cours d’histoire grecque pour la préparation à l’agrégation et au capès . Elle a marqué les étudiants d’histoire de Montpellier par ses cours de licence sans cesse renouvelés . Elle noua aussi sur place de solides amitiés et des complicités avec la plupart de ses collègues d’histoire ancienne . Dans ses années montpelliéraines, personne n’a pu dire qu’elle ait jamais participé à une de ces intri- gues qui ponctuent la vie universitaire, autour d’enjeux qui ne méritent pas toujours qu’on dépense autant d’énergie pour eux . Elle n’aimait pas non plus les honneurs et le pouvoir, ce qui l’a mise à l’abri de l’envie . Dans ses dernières années d’activité, elle assista avec inquiétude à la succession de réformes qui ne lui laissaient rien augurer de bon pour l’avenir de l’institution qu’elle quitta bien différente de celle qu’elle avait connue à son arrivée dans la carrière .
Pendant cette période à Montpellier, Claude Vial bénéficia de six mois d’in- vitation à l’Institute for Advanced Studies de Princeton (1993) . Elle put profiter du milieu intellectuel et des ressources bibliographiques de cette institution pour mûrir le texte du volume qui lui avait été demandé pour la Nouvelle histoire de l’Antiquité . Paru en 1995, il porte sur la basse époque hellénistique : Les Grecs de la paix d’Apamée à la bataille d’Actium . Il est nécessaire d’en bien souligner l’ori- ginalité historiographique, telle qu’on la ressentait alors . Cette phase de l’histoire grecque était encore mal aimée . Elle semblait se réduire à un lent glissement du monde grec vers le bas, alors que la puissance de Rome était désormais incontes- table . C’étaient donc les spécialistes d’histoire romaine qui l’étudiaient, mais du point de vue de Rome . Le livre de Claude Vial a été l’un des premiers à s’inté- resser à ces deux siècles en plaçant les postes d’observation non à Rome mais en Grèce . Le regretté Jean-Louis Ferrary (1967 l) allait alors dans la même direction, comme Christian Habicht à propos d’Athènes . Avec eux, Claude Vial a contribué au changement de notre regard sur les iie et ier siècles grecs . La seconde nouveauté était aussi de mettre ces deux siècles dans la continuité de l’époque classique et de la haute époque hellénistique . Depuis Louis Robert et Philippe Gauthier, on avait compris que la cité grecque n’était pas morte à Chéronée, mais c’était surtout le iie siècle qui avait attiré l’attention de Philippe Gauthier . Il fut un peu surpris des positions de Claude Vial, qui semblaient atténuer la vigueur du contraste entre haute et basse époque hellénistique, point auquel il tenait . Si la vision de Claude Vial a été contestée et sans doute un peu nuancée, son livre de 1995 n’en n’a pas moins nourri toute une série d’études et de débats .
L’histoire sociale a toujours été son domaine de prédilection . Elle l’a pratiquée sans jamais se laisser influencer par les débats qui animaient la sociologie . Vers 2000, alors que les historiens de monde grec se passionnaient pour l’histoire économique ou pour les approches culturelles, elle a maintenu en France une recherche exigeante sur la société grecque, préparant le renouveau de l’histoire sociale auquel nous assistons .
Alors que l’histoire des femmes, puis les gender studies, prenaient leur essor, elle s’est intéressée aux femmes grecques, toujours avec son tempérament méthodique et dépassionné, ce qui explique sans doute que l’importance de ce qu’elle était en train de faire n’ait pas été immédiatement reconnue, d’autant qu’elle continuait à se concentrer sur le ive siècle et la période hellénistique, alors qu’ailleurs, on s’épuisait à interpréter femmes et genre aux époques archaïque et classique . Elle disait parfois que, pour faire de l’histoire, il faut des documents, et les siens, elle allait les chercher dans les plaidoyers, dans les inscriptions, dans les papyrus, dans les monnaies, rare- ment (il est vrai) dans l’archéologie . Si Claude Vial s’est tenue à l’écart des grilles de lecture qui polarisaient les débats historiographiques, si, par exemple, on ne pourra jamais trouver chez elle d’élément qui la rattache à l’école de l’anthropologie histo- rique, son livre sur le mariage en Grèce, coécrit avec Anne-Marie Vérilhac (1998), a une dimension incontestablement anthropologique . Le Mariage grec aussi a livré une étude qui ne sera pas remplacée d’ici longtemps et qui, internationalement, est la référence sur le sujet .
Claude Vial n’appartenait pas à notre génération d’universitaires dont la recherche est rythmée par les participations à des colloques . Elle n’aimait pas s’exprimer par des articles . Elle en a peu publié, mais certains sont marquants, comme celui sur les concours (2003) qui témoigne de l’influence qu’a eue sur elle la pensée de Louis Robert . Sa tendance la portait à écrire des livres .
Avec elle, nous perdons l’une des meilleures spécialistes du ive siècle et de l’époque hellénistique . Son œuvre scientifique, par son sérieux, son caractère méticuleux, sa connaissance des sources écrites, demeurera .
Christophe CHANDEZON
Histoire ancienne, Montpellier 3
Publications évoquées
Lexique d’antiquités grecques, Paris, 1972 (réédition en 2008 sous le titre Lexique de la Grèce ancienne) .
Délos indépendante, BCH Suppl . 10, Athènes, 1984 .
Les Grecs de la paix d’Apamée à la bataille d’Actium, Paris, 1995 .
« Délos indépendante treize ans après », REA, 99, 1997, p . 337-343 . Le Mariage grec du ve siècle av. J.-C. à l’époque d’Auguste, Athènes, 1998 .
« À propos des concours de l’Orient méditerranéen à l’époque hellénistique », in F . Prost (dir .), L’Orient méditerranéen de la mort d’Alexandre aux campagnes de Pompée. Cités et royaumes à l’époque hellénistique, Rennes, 2003, p . 311-328 . Inscriptions de Délos. Index II. Les Déliens, Paris, 2008 .