WIÉNER Claude - 1941 l

WIÉNER (Claude), né le 2 juin 1922 à Paris, décédé le 30 octobre 2022 à Paris. – Promotion de 1941 l.


Claude Wiéner, khâgneux à Henri-IV, est reçu cacique 1941 . Contraint de passer quelques mois en Chantier de jeunesse et ensuite, fin 1943, réfractaire au STO, il est de ceux qui ne se satisfont pas d’échapper au travail dans les usines des nazis et devient un résistant rapidement appelé à Paris dans une officine de très bons faux papiers pour juifs, résistants repérés et autres clandestins par nécessité . Militant JEC, il en vient à représenter la Fédération des étudiants catholiques à l’Union des étudiants patriotes où les communistes sont bien présents . Au total, il n’aura guère passé plus d’un an à l’École, mais il restera fortement attaché à ses camarades de la JEC dont René Rémond (1942 l), tous défunts aujourd’hui, et à l’association a-Ulm . Sa famille parisienne et nombreuse père juif qui mourra à Buchenwald, mère catholique avait passé deux ans dans la Sarre encore occupée par la France, au début des années 1930, et vécu l’arrivée au pouvoir de Hitler . Revenu à Paris, Claude retrouve un ami proche, Denis, fils de Jean Coutrot (polytechnicien, fondateur du groupe réformateur X Crise), qui, juste après la défaite, part pour Londres et fait la guerre comme pilote de la Royal Air Force . Il est mort en 1970 dans un accident de la route . Son épouse puis sa fille aînée, Christine de Froment, ont entretenu forte- ment, et jusqu’à la fin, l’amitié de Claude Wiéner, présent à de nombreux déjeuners et fêtes de famille . À mes relations avec elles, je dois de l’avoir connu il y a près de trente ans . Lors de l’une de nos rares conversations en tête à tête, il me livra trois points importants de son parcours . Il avait, jeune adolescent dans la Sarre, beaucoup compris du modus operandi nazi, notamment du matraquage de la propagande, et il fut, en conséquence, immédiatement en opposition absolue avec la propagande de Vichy . À l’automne 1944, il ne se sentait pas prêt à retrouver des camarades qui étaient, bons étudiants, comme passés à côté de la guerre, n’ayant perçu que les priva- tions, les rationnements . Grâce à ses tribulations, notamment les mois de Chantier de jeunesse, il avait découvert des milieux sociaux en détresse spirituelle et matérielle . Ayant rencontré le père Henry Grouès (alias l’Abbé Pierre), il décida d’entrer à Lisieux au récent séminaire de la Mission de France, fondée pour former les prêtres ouvriers . Il fait bien deux stages ouvriers pendant ses années de séminaire, mais les supérieurs décident que son métier sera d’être professeur et l’envoient à l’Institut catholique de Paris se doter d’une licence et d’une habilitation à préparer le doctorat . Il est en même temps affecté à une paroisse du XIII° arrondissement, à l’époque encore très industriel où, a-t-il écrit « je découvre dans le quartier des usines Panhard beaucoup de misère et des taudis dont je n’avais pas idée et dont l’existence m’a marqué . »

Dès lors, le père Claude Wiéner, d’abords modeste et qui ne se met pas en avant, mais sûrement assez confiant en ses capacités, va mener avec énergie et sens des responsabilités d’un côté, une carrière de bibliste et d’universitaire, de l’autre une mission de prêtre, plus près des pauvres que des dames catéchistes . Mon résumé emprunte beaucoup à l’In memoriam de l’équipe pastorale de Créteil, notamment quelques citations verbatim . En 1953, au séminaire transféré à Limoges : « Mes cours de philo et de patristique ont du succès . Mais le combat et l’idéologie marxistes semblent parfois l’emporter sur la recherche missionnaire . » On sait qu’en 1953, l’inspection du visiteur dominicain envoyé par le Vatican aboutit à la fermeture du séminaire et au renvoi des séminaristes, exception faite de ceux de dernière année s’ils signent un engagement conservateur très rigoureux . Wiéner est mis en sursis et envoyé pour un an à l’Angelicum, l’université des dominicains à Rome . Il y achève de préparer sa thèse en latin Recherche sur l’amour pour Dieu dans l’Ancien Testament soutenue à l’Institut biblique pontifical . Il a des échanges fréquents avec le père Perrot qui est alors en négociation avec la Curie à fin d’obtenir un statut canonique pour la Mission de France et la réouverture du séminaire . Satisfaction leur est fina- lement donnée et le séminaire pourra rouvrir à Pontigny (Yonne) . Wiéner est par ailleurs admis au Palais Farnèse, à la bibliothèque, et noue des relations intellec- tuelles et amicales avec Jean Bayet (1912 l), directeur de l’École française de Rome, dont la thèse avait porté sur la religion romaine . Chez sa fille, Claire Salomon-Bayet, philosophe et historienne des sciences qui avait été impressionnée par lui à Rome, il m’est arrivé de rencontrer le père Wiéner .

De 1954 à 1967, il est en poste à Pontigny, professeur au séminaire et vicaire, puis même curé de la paroisse de 1955 à 1959 . En 1967, il revient en région pari- sienne, affecté à Bobigny mais sans responsabilités pastorales . Pendant vingt ans, il va se livrer à une activité débordante et à une production intellectuelle importante . Il est professeur à l’Institut catholique de Paris, où il est à la fois, pendant près de dix ans, directeur de la section de Théologie biblique et systématique et secrétaire de la faculté . Membre de l’équipe de traduction œcuménique de la Bible (TOB), il est aussi chargé de traduire en français le décret conciliaire sur le ministère et la vie de prêtre . Il participe à plusieurs commissions internationales postconciliaires et arrive à trouver le temps d’être l’aumônier du CHU de Bobigny .

À 65 ans, il doit abandonner fonctions et enseignements à l’Institut catho- lique . L’évêque de Créteil l’autorise à s’installer à Ivry . Jusqu’à 75 ans, il consacre un bon tiers de son temps à la paroisse, dans une équipe très Mission de France . Il est presque obsédé par le souci que son travail de bibliste s’accompagne d’un effort pour « faire aimer l’Écriture et donner envie d’y revenir » . Deux de ses livres sont élaborés à partir de son enseignement d’histoire biblique . Le Livre de l’Exode ( Le Cerf, 1986) offre au lecteur un fil et des repères pour suivre l’ensemble de récits, de lois et de rituels qui fixent à la fois l’origine, la charte et l’identité du peuple hébreu . Le Deuxième Esaïe (Le Cerf, 2005) vise à faire entendre l’espoir, exprimé en 587 av . J .-C après la destruction de Jérusalem et les déportations, par ce prophète inconnu qu’on appellera le deuxième Esaïe .

Parallèlement, il œuvre dans des activités sociales et il faut saluer sa lucidité, sa liberté et son courage . La phrase de lui citée dans le texte de l’évêché de Créteil que je recopie mentionne les « œuvres sociales qui participent d’un certain esprit Mission de France : se soucier de justice, défendre les plus ou moins déshérités, travailler dans des organisations laïques plutôt qu’ecclésiales, souvent sans faire état de mon état clérical, ni de ma foi » . C’est ainsi qu’il se fait écrivain public au Secours populaire, défenseur devant les prud’hommes, membre du collectif IVRY-SDF, tout en s’étant vu proposer, et ayant accepté, la fonction de délégué diocésain à l’œcuménisme . Et il termine avec Maurice Carrez (1977 l) un dictionnaire de culture biblique qui, sans érudition trop lourde, fait place au savoir acquis à la fin du xxe siècle et qui est publié chez Desclée de Brouwer .

Son dernier engagement fort, et qui lui tenait très à cœur, fut en 1997 d’avoir cofondé puis présidé le collectif « Les morts de la rue » qui s’emploie à assurer une sépulture identifiée aux SDF totalement désocialisés . Vingt ans plus tard, à 95 ans, il doit se résigner à rejoindre la maison de retraite Marie-Thérèse du diocèse de Paris . Lors de la fête organisée pour ses cent ans, il s’interroge sur l’après et reconnaît avoir connu le doute : « Je me dis que ma vie n’a pas été vide, que j’ai noué beaucoup de relations qui m’ont rendu heureux et que j’ai été utile à quelques-uns et que cela valait la peine... Au-delà de ces doutes, je continue à croire que quelqu’un m’attend . »

Un cacique devenu prêtre, le cas est rare . Le bibliste Claude Wiéner a manifes- tement honoré la tribu normalienne autant que le prêtre l’a fait pour la Mission de France . En lui savoir et recherche, audace et prudence raisonnée se rejoignaient : faculté de Théologie, Secours populaire, mission diocésaine .

Jacques LAUTMAN (1955 l)