BÉNASSY Jean-Pascal - 1967 s
BÉNASSY (Jean-Pascal), né le 30 décembre 1948 à Neuilly-sur-Seine (Seine), décédé le 7 décembre 2022 à Paris. – Promotion de 1967 s.
Deuxième enfant d’une fratrie de cinq, né d’un père chirurgien, Jean-Pascal Bénassy est issu d’un milieu intel- lectuel parisien aisé, où les valeurs de l’éducation et du travail sont primordiales . Il montre des qualités exception- nelles en sciences, étincelle en maths sup et en maths spé au grand lycée de l’ouest parisien, Janson-de-Sailly, et est admis à 18 ans, en 1967, à l’École au concours mathéma- tiques . L’ayant suivi l’année d’après à Janson dans la taupe de Pierre Martin (1935 s), je peux témoigner de l’image
qu’il avait laissée dans tout le lycée, le professeur citant parfois ses solutions élégantes pour motiver les pauvres ignares qui lui avaient succédé, et les cinq-demis inter- disant aux trois-demis de s’asseoir à sa place dans la classe de mathématiques ! Tout en entamant des études en sciences économiques, il profite de sa scolarité à l’École, un peu troublée par Mai 68, pour faire de nombreux voyages avec ses camarades et écumer les salles d’art et d’essai du Quartier latin (au moins deux films par semaine, disait-il) .
À sa sortie de l’École, il poursuit de la meilleure des façons sa trajectoire météo- rique en partant faire un PhD à Berkeley1 sous la direction de Georges Debreu (1941 s), futur prix Nobel d’économie . Le diplôme donnera lieu en 1973 à une première publication, Disequilibrium Theory, sur ce qui sera le grand sujet de sa vie scientifique, laquelle culminera avec la publication de son livre de référence The Economics of Market Disequilibrium en 1982 . Il s’agit tout simplement d’une révolution intellectuelle visant à redéfinir l’approche dominante en macroéconomie basée sur l’équilibre de Walras pour la réconcilier avec les approches microécono- miques keynésiennes de comportement des acteurs qui introduisent toujours du déséquilibre . Relisons l’hommage des grands économistes Christian de Boissieu et Jean-Hervé Lorenzi, paru dans le journal Les Échos du 10 janvier 2023 :
Le monde des économistes est en deuil . Il vient de perdre l’un de ses plus bril- lants représentants, Jean-Pascal Bénassy . Lorsque l’on reprend l’évolution de l’approche keynésienne, c’est-à-dire ce qui a construit une large partie des poli- tiques économiques menées pendant plusieurs décennies, on le retrouve comme un des inspirateurs à l’échelle mondiale du renouveau de la pensée keynésienne que nous avons tous appelé « la micro de la macro » . [...] Rappelons que pour Keynes, le chômage involontaire signifie un marché du travail en déséquilibre (en excès d’offre de main-d’œuvre) qui persiste, car, pour différentes raisons, les salaires ne s’ajustent pas, ou pas assez vite, pour résorber l’écart . D’un déséqui- libre partiel, on passe rapidement, à cause des effets de report entre marchés, à un déséquilibre général . Ainsi, le chômage, par son impact sur les revenus, alimente la sous-consommation, qui à son tour accroît le chômage de départ... Bénassy [...] a ouvert de nouvelles pistes, saluées avec respect par la communauté des économistes . Son analyse avait engendré à l’époque beaucoup d’études perti- nentes et encore éclairantes aujourd’hui sur les fondements microéconomiques de la macroéconomie . Lui-même avait approfondi le clivage, introduit par Edmond Malinvaud, entre le chômage classique, dû à des problèmes du côté de l’offre et à une insuffisante profitabilité des entreprises, et le chômage keynésien découlant d’une demande globale insuffisante . Puisque les marchés en déséquilibre durable proviennent d’une flexibilité limitée de certains prix, Bénassy a apporté une valeur ajoutée indiscutable en modélisant les causes des non-ajustements de prix (concur- rence monopolistique...) . Il s’agit donc de mettre au cœur de l’analyse la viscosité de prix essentiels et l’importance des délais d’ajustement, sans se limiter au marché du travail . Pas très étonnant alors que Bénassy se soit par la suite penché sur les règles de fixation de leur taux d’intérêt par les banques centrales, en particulier la règle de Taylor . Ses travaux précurseurs faisaient de Jean-Pascal Bénassy une cible naturelle pour le prix Nobel d’économie . Il en a été décidé autrement . Mais son œuvre et son nom demeureront par-delà les phénomènes de mode .
À son retour de Berkeley en 1973, Jean-Pascal sera recruté au Cepremap (Centre pour la recherche économique et ses applications) puis au CNRS en 1975 où il effec- tuera le reste de sa carrière, avec des détachements dans diverses institutions dont l’École polytechnique . Après les riches années fondatrices, ses travaux porteront sur des applications de sa théorie du déséquilibre à des sujets très divers comme le chômage, l’inflation, le modèle IS/LM (relations entre l’épargne et les taux d’intérêt), les échanges internationaux, les cycles économiques, l’environnement... Il recevra le prix Guido Zerilli-Marimo de l’Académie des sciences morales et politiques en 1990 .
Il restera proche de notre École, comme nous le rappelle son ami Daniel Cohen (1973 s), un des fondateurs, et président, de l’École d’économie de Paris installée aujourd’hui sur notre campus Jourdan : « Jean-Pascal fut l’un des premiers direc- teurs du laboratoire d’Économie politique installé dans les greniers de la rue d’Ulm et qui allait devenir le Delta puis PSE – Paris School of Economics . Il était un précurseur . Son œuvre laissera une empreinte profonde sur la discipline tout entière . Sa personnalité, sa générosité à l’égard des jeunes chercheurs resteront ancrées dans la communauté de PSE . »
Jean-Pascal restera célibataire sans enfant . Il sera toujours très attaché à sa famille, en particulier à sa nièce Géraldine et à son neveu Gregor, le fils de son frère Arnaud dont la disparition précoce à 30 ans l’avait profondément marqué . Il a beaucoup aimé les voyages, souvent avec des amis dans des endroits insolites, et les vacances dans la maison familiale du pays basque . Malheureusement, il fut atteint, assez jeune encore, de diverses maladies neurodégénératives, de plus en plus handicapantes, et ses dernières années furent très difficiles, l’obligeant à mettre en arrière-plan ses activités et publications scientifiques .
Jean-Pascal Bénassy était doté d’une grande curiosité intellectuelle et d’une belle ouverture d’esprit comme l’ont rappelé, lors de l’hommage qui lui fut rendu à l’occa- sion de ses obsèques, ses amis Pierre Boutin, Denis Bouychou, Louis Delmas et Philippe Lassale, pourtant tous très éloignés de son domaine de recherche . Ces amis, guidés par sa sœur Isabelle, l’ont accompagné jusqu’au bout, dans les restaurants qu’il aimait, pour les courtes promenades autour de son appartement qu’il pouvait tout juste effectuer . Il est réconfortant de savoir que sa fin de vie fut ainsi adoucie .
Jérôme BRUN (1969 s)
Daniel Cohen (1973 s) et Jean-Pascal étaient amis et se sont côtoyés pendant toute leur carrière, dans les laboratoires d’économie de l’École puis à PSE dont Daniel était président lors du décès de Jean-Pascal. Daniel avait souhaité participer à la rédaction de cette notice mais malheureusement il fut hospitalisé au printemps et décéda le 20 août 2023. Nous lui rendrons hommage dans un prochain numéro de L’Archicube bis .
Note
1 . Il fera à cette occasion la connaissance de Bruno Fontaine, parti aussi à Berkeley à sa sortie de Supelec, futur grand chef d’entreprise, qui restera son ami .