DESCHAMPS Claude - 1961 s

DESCHAMPS (Claude), né le 21 décembre 1941 à Tournus (Saône-et-Loire), décédé le 11 mars 2022 à Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine). – Promotion de 1961 s.


L’annonce de la disparition de Claude Deschamps a retenti avec tristesse dans notre École où tant de nos anciens sont passés par « sa » taupe de Louis-le-Grand, classe où il enseigna de 1976 à 2006 . Auteur de livres de référence, président emblématique de l’Union des professeurs de Spéciales (UPS), organisateur et promoteur infatigable des Olympiades de mathématiques1, son aura était telle qu’elle justifia un colloque en son honneur organisé par ses amis Jean Audouze (1961 s), Roger Mansuy et Johan Yebbou (1980 s) le 14 mars 2023 au lycée Louis-le-Grand, grâce à son proviseur Joël Bianco .

Claude était le cinquième enfant d’une fratrie de six, dans une famille modeste dont le père était employé à la gare SNCF de Tournus . Il a pleinement bénéficié des bienfaits de l’école publique grâce aux encouragements qu’il reçut de sa mère, de sa sœur aînée qui fut institutrice, et de son professeur de mathématiques au collège de Tournus . Il descendit, légèrement, vers le sud au lycée de Mâcon, puis au lycée du Parc à Lyon pour les classes préparatoires avant de « monter » à Paris lorsqu’il fut brillamment reçu à Ulm en 1961 . C’est en maths sup au lycée du Parc qu’il rencontra son épouse Françoise, future normalienne de Fontenay, ainsi que son ami Jacques Odoux qui nous livre ici ses souvenirs :

J’ai connu Claude au lycée du Parc, en 1959, où nous étions dans deux maths sup différentes, chacun avec sa future épouse respective (Françoise et Huguette) . Par la suite, les deux couples resteront amis jusqu’au bout . Nous avons intégré tous les deux en 3/2 à l’ENS en 1961 . Les Lyonnais de la promo formaient une joyeuse bande de conscrits, dans les turnes du rez-de-chaussée, sur la cour des Ernest . Que de bons souvenirs de cette période !

Ensuite, après l’agrégation de Mathématiques, et une quatrième année desti- née à réfléchir à la suite de nos carrières, nos voies se sont un peu séparées : j’ai immédiatement rejoint les classes préparatoires (à Grenoble) tandis que Claude choisissait de rester à Paris à l’université . Mais il ne tardera pas, lui aussi, à préférer l’enseignement en taupe, et dans la plus prestigieuse : au lycée Louis-le-Grand .

Nous resterons en contact et nous retrouverons souvent pendant les vacances lorsque Claude et Françoise viendront dans la maison qu’ils avaient fait construire près du lac d’Aiguebelette, à proximité des parents de Françoise .

C’est d’ailleurs là qu’auront lieu nos fréquentes rencontres pour la grande entreprise qui nous occupera une bonne partie de notre carrière : l’inspecteur général Ramis nous a proposé de nous atteler à la rédaction d’un cours de Mathématiques spéciales chez Dunod . Ce devra être le successeur du « traité de mathématiques spéciales Cagnac, Ramis et Commeau », que nous avons tous utilisé lorsque nous étions taupins . Nous n’avions pas imaginé à l’époque l’ampleur de la tâche : il faudra 5 volumes, suivis de livres d’exercices .

C’était l’époque des nouveaux programmes, avec l’introduction des « Mathématiques modernes » . Et donc il ne s’agissait pas de réécrire le traité existant, mais bien de tout reprendre à zéro, dans l’esprit du changement qui s’opérait . En dépit de l’intitulé de l’ouvrage, nous avons décidé rapi- dement de ne pas trop coller au programme officiel . Si bien qu’en visant plus large, nous en avons fait un futur ouvrage de référence aussi bien pour les taupins que pour les candidats à l’agrégation . Ainsi ont commencé de longs échanges et parfois des « négociations » pour la rédaction de chaque chapitre, chacun des trois auteurs relisant ce que les autres rédigeaient . Cela se traduira pour moi par de fréquents voyages à Paris, ou à Lépin lorsque Claude y venait . Sinon c’était aussi de nombreux allers-retours de manus- crits par la Poste (avec chaque fois la crainte d’une perte) . Le mail n’existait pas encore ! La rédaction se faisait à l’ancienne, avec papier et stylo bille... Je garde surtout le souvenir des corrections et modifications aux ciseaux et à la colle (pas de ctrl-C ctrl-V !) . L’inspecteur général Ramis excellait dans cette discipline . Ce fut surtout pour nous l’occasion d’une réflexion et d’un approfondissement sur les sujets que nous enseignions en parallèle . Mes échanges avec Claude étaient très bénéfiques . Nous étions en général sur la même longueur d’onde .

Après la rédaction des 5 tomes nous avons poursuivi avec les livres d’exer- cices . Puis ce furent les rééditions, qu’il fallait réviser à chaque fois ! Au total un énorme travail mais qui en a valu la peine . Le « RDO » avait désormais remplacé le « Cagnac, Ramis et Commeau » auprès de nombreux taupins et autres agrégatifs . Claude a alors continué sur sa lancée, participant à de nombreux autres travaux éditoriaux, jusqu’à devenir lui-même directeur de collection .

Malgré les charges liées à cette activité de rédaction et d’édition, Claude Deschamps a trouvé le temps et l’énergie de mener de nombreuses autres activités, en particulier l’organisation des Olympiades de mathématiques . Son ancien élève, ami et collègue Johan Yebbou se souvient :

J’ai un souvenir très précis du premier contact que j’ai eu avec Claude . C’était en juin 1978, alors que j’étais élève de terminale au lycée Jacques Decour, à l’occasion d’un appel téléphonique m’indiquant que je ferais partie de l’équipe des huit élèves participant pour la France aux Olympiades internationales de mathématiques, qui se tenaient à Bucarest cette année-là .

Quelques jours plus tard, l’équipe était rassemblée au lycée Louis-le-Grand où commençait une courte période de préparation, assurée par Claude, chef de la délégation, et son adjoint Denis Gerll, remarquable professeur de terminale C dans ce lycée et qui, lui aussi, a marqué des générations d’élèves .

Les deux professeurs avaient des rôles complémentaires . Si Denis Gerll était inégalable sur la géométrie, Claude prenait largement en charge les autres domaines . C’est à cette occasion que j’ai commencé à le connaître et apprécier comme professeur, avec cette forte présence, cette capacité à expliquer des choses abstraites par le geste, ou par des formules frappantes .

Ces premiers contacts, puis le voyage à Bucarest et un an plus tard à Londres pour les Olympiades 1979, sont restés un souvenir très marquant de moments exceptionnels, où se combinent le plaisir des mathématiques, des rencontres, des amitiés .

Au lycée Louis-le-Grand, les élèves de maths sup pouvaient indiquer en fin d’année une préférence pour une classe de maths spé et elle était respectée quand c’était possible . Vu la qualité des trois professeurs de mathématiques de M’ du lycée (André Warusfel [1956 s], Georges Flory [1941 s], Claude Deschamps), le choix pouvait être difficile mais il faut admettre que la XM’3 où enseignait Claude (avec son collègue de physique René Suardet [1941 s]) recueillait beaucoup de suffrages !

De mon côté, l’avant-goût des Olympiades ne me laissait pas d’hésitation et c’est ainsi que j’ai passé l’année 1979-1980 comme élève de Claude . Et, dans une configuration très différente (une classe de spé pendant une année scolaire sur des mathématiques spéciales contre une équipe de huit élèves pendant une ou deux semaines pour des mathématiques d’olympiades), j’ai retrouvé les mêmes qualités, le même enthousiasme .

Être élève de Claude Deschamps, c’était l’assurance, au-delà de la qualité pédagogique et scientifique de son enseignement, de moments de fascination, parfois de théâtre, la garantie du plaisir de l’écoute et de la compréhension, des moments cocasses ou amusants, comme quand il chantonnait sur un exercice classique pour indiquer qu’il s’agissait d’un refrain connu .

Il est inutile de dire combien en quarante ans de carrière il a formé d’élèves, qui ont eu ensuite les parcours professionnels les plus remarquables (mathé- maticiens, scientifiques, professeurs, industriels, ministres) et qui, des dizaines d’années plus tard, se souviennent encore de leur année avec Claude . Mais, au-delà de la volonté d’avoir les meilleurs résultats aux concours, Claude était soucieux de créer le cadre de travail le plus chaleureux, le plus agréable pour les élèves, toujours attentif aux difficultés des uns ou des autres . Il donnait des conseils ou des méthodes, en évitant tout dogmatisme, sachant mettre en valeur des solutions ou des idées émanant des élèves eux-mêmes .

Après l’année de spé, le contact avec Claude ne s’est jamais interrompu .

Il est d’abord resté le maître respecté, quand, élève de l’ENS, j’ai assuré des colles dans sa classe au début des années 1980 ou quand il m’a proposé d’entrer dans l’organisation des Olympiades de mathématiques de Paris en 1983 .

Il est devenu le collègue et l’ami à partir de 1988, quand j’ai pris un poste de maths sup à Louis-le-Grand, puis quand il m’a proposé de devenir son adjoint pour la délégation française aux Olympiades internationales, où notre colla- boration sous une forme ou une autre durera jusqu’en 2011 ! Je me souviens aussi de sa présence régulière à la cérémonie de palmarès des Olympiades nationales, jusqu’en juin 2019 où il avait pu revoir plusieurs anciens des Olympiades, devenus mathématiciens, entraineurs des nouvelles générations, conférenciers à la cérémonie ; nous avions longuement bavardé avec plaisir .

Claude Deschamps a été chef de la délégation française aux Olympiades inter- nationales, presque sans interruption de 1978 à 2013 !

Il faut de nombreuses qualités pour mener une équipe composée d’élèves parmi les plus brillants de leur génération, et les entraîner sur les exercices si difficiles des Olympiades . Il faut aussi nouer des contacts avec les déléga- tions venues d’horizons variés . Cela requiert aussi les qualités d’organisation, comme en 1983 quand Claude a tenu à bout de bras les Olympiades à Paris .

Sur tous ces plans, Claude a excellé, devenant même chef du comité consultatif des Olympiades internationales, élu à plusieurs reprises et faisant l’unanimité .

Devant l’ensemble des délégations, près d’un millier de personnes, il a prononcé de nombreux discours en anglais, où, malgré un accent français qui pouvait pendant quelques instants faire sourire l’auditoire, il faisait passer ses messages avec conviction . Son épouse Françoise l’accompagnait souvent dans ces déplacements lointains .

On ne peut pas résumer cette période en quelques lignes, tant elle a compté d’évènements remarquables : citons seulement l’année 1990 à Pékin où les résultats français furent remarquables, et l’année du cinquantenaire (2009), à Brême, avec comme invités d’anciens candidats devenus de grands mathéma- ticiens ; parmi eux, Jean-Christophe Yoccoz (1975 s), trop tôt disparu, qui avait retrouvé Claude avec un plaisir visible, et je me souviens avec émotion de la longue promenade sur la plage de Brême pendant laquelle Claude et Jean-Christophe avaient longuement parlé, de souvenirs d’Olympiades, de mathématiques, de questions d’enseignement ou de choses plus personnelles .

Autre Olympiade remarquable : Canberra, en 1988, organisée par Peter O’Halloran, également créateur des compétitions de mathématiques australiennes . Claude avait été impressionné de constater l’ampleur de ces compétitions . En 1992, il avait rejoint son ami André Deledicq et Jean-Pierre Boudine qui s’en étaient inspirés pour créer, en 1991, une compétition de mathématiques en France, appelée concours « Kangourou des mathéma- tiques » en hommage à Peter O’Halloran et à l’Australie . Il faut mentionner aussi le rôle déterminant que Claude a joué en 2000 dans la création des Olympiades de mathématiques de première, qui ont pris au fil des années une importance croissante .

Dans le cadre privilégié des Olympiades, j’ai pu apprécier peut-être plus qu’ail- leurs la bonne humeur de Claude, des moments très drôles entre deux séances de travail très intenses . J’ai aussi pu voir sa vraie sensibilité, cette attention aux autres parfois cachée derrière une forme d’exubérance .

Dans toutes les circonstances, que ce soit dans la salle des professeurs du lycée Louis-le-Grand, dans une commission de programmes, dans un comité minis- tériel ou dans une réunion à l’étranger pour les Olympiades internationales, Claude avait une forte présence et il pouvait être difficile pour ses interlo- cuteurs de trouver leur place . Pourtant, je retiens surtout ces moments de simple conversation ou d’échanges où il se montrait à l’écoute, à la recherche de solutions constructives .

De façon plus personnelle, je me souviens de moments de peine où il a été présent, avec Françoise son épouse, à qui je pense en écrivant ces lignes .

Claude Deschamps a ainsi consacré toute sa vie à l’enseignement des mathéma- tiques et sa carrière brillante en est le témoin . Il a apporté sa collaboration à l’École d’ingénieurs de Tunis (Enit) où il se rendait fréquemment ; il s’occupait aussi de l’encadrement des classes préparatoires de Tunis, qu’il faisait profiter de son expé- rience . Il a été président de l’UPS de 1985 à 1991, période pendant laquelle le modèle des classes préparatoires a été vivement mis en cause, nécessitant une réflexion de fond sur leur évolution menée par le ministère, les Grandes Écoles et les profes- seurs de classe préparatoire . Pendant et après sa présidence, Claude Deschamps a fait entendre la voix de l’UPS et participé au travail collectif, qui a demandé plusieurs années, aux côtés de beaucoup d’autres, notamment Jean Louis Ovaert (1953 s) à l’inspection générale . Cela a abouti à la réforme de 1995, avec une architecture complètement nouvelle des classes préparatoires, encore d’actualité, dont Claude a ensuite copiloté le groupe d’élaboration des programmes de mathématiques en voie scientifique .

Plus tard, Claude Deschamps a pris des responsabilités institutionnelles : d’abord en 1998, en participant au comité d’organisation de la consultation et du colloque « Quels savoirs enseigner dans les lycées ? » ; ensuite, de 2000 à 2005, comme membre du Conseil national des programmes .

Claude aurait pu évoluer en dehors de l’enseignement, et avait eu des propositions très concrètes pour des postes où il aurait certainement montré toutes ses qualités . Il a parfois hésité, mais toujours finalement décliné l’offre, qui l’aurait éloigné de ce contact qu’il aimait tant avec ses élèves, de ce beau métier de professeur où se croisent les relations humaines et l’amour de la discipline . Il était très attaché à sa liberté . Une responsabilité au sein du ministère ou comme directeur d’un organisme l’aurait sans doute trop bridé, trop contraint : au fond, c’est en restant professeur qu’il a pu conserver la grande diversité de ses activités . Parmi celles-ci, les Olympiades inter- nationales, puis nationales, de mathématiques, ont joué un rôle important sur plus de quarante ans, apportant une forme de parenthèse à son activité professionnelle principale .

Nos pensées vont vers son épouse Françoise qui nous apporta une grande aide dans la préparation de cette notice, ses trois enfants Renaud, Julie et Mélanie, et ses huit petits-enfants .

Jean AUDOUZE (1961 s)
Jacques ODOUX (1961 s)
Johan YEBBOU (1980 s)

Note

1 . Les Olympiades internationales de mathématiques sont une compétition créée en 1959, à laquelle plus de 100 pays participent aujourd’hui . Les épreuves se déroulent sur deux jours, chaque année dans un pays différent . Chaque pays participant sélectionne une équipe de 6 jeunes de moins de 20 ans avec pour seule règle qu’ils ne doivent pas avoir commencé leurs études supérieures . En France, cette sélection ainsi que l’entraînement des candidats sur une année entière ont longtemps été réalisés par la Délégation française aux Olympiades internationales de mathématiques, dont Claude Deschamps a assuré la direction pendant de nombreuses années . Aujourd’hui, c’est l’association Animath qui organise la sélection et la préparation des candidats français .