CHANET Anne-Marie - 1961 L
CHANET (Anne-Marie), née le 12 août 1942 à Tours (Indre-et-Loire), décédée le 27 janvier 2022 à Paris. – Promotion de 1961 L.
Ses parents étaient tous deux nés en 1910 . Son père, Henri, fils d’instituteurs en poste dans le Berry, en avait reçu le goût de l’étude et les plus hautes valeurs morales . Il était incollable dans toutes les matières et possédait un don extraordinaire pour le dessin et la peinture, sans doute hérité de sa grand-mère maternelle, Henriette Barthélémy, qu’il adorait . En 1941, il était devenu inspecteur des Finances .
Sa mère, née Suzanne Thévenon1, sévrienne (1929 S), agrégée de mathématiques, était passionnée d’astronomie, de botanique, d’histoire, de littérature et fut autant qu’un professeur, une maman exemplaire .
Henri transmit à ses filles, Anne-Marie et Françoise (1949-2015, 1969 S), sa passion pour le latin et le grec . Françoise, lycéenne à Tours, obtint au Concours général des accessits dans ces deux langues avant d’entrer à Sèvres !
Comme sa cadette, Anne-Marie était une écolière modèle, avide de savoir . Leurs points communs furent nombreux : elles obtinrent toutes deux la mention Très bien au baccalauréat scientifique . Mais à peine bachelière, Anne-Marie dut subir en juillet 1959 la terrible épreuve de la mort accidentelle de son frère aîné, à l’âge de 22 ans, dont elle se sentait très proche . Avec lui, elle avait visité l’Angleterre et l’Italie . Notre pauvre maman, qui avait déjà perdu à 29 ans son unique frère, surmonta sa douleur pour aider ses trois filles, Anne-Marie, Françoise et moi-même .
Dès la rentrée de septembre 1959, Anne-Marie fut interne au lycée Fénelon, en classes préparatoires, où elle fut vivement encouragée par son professeur de grec, mademoiselle Marthe Guément2 (1928 L) . C’est là qu’elle commença véritablement ses études grecques et latines . En 1961 elle fut reçue neuvième à l’ENSJF du boule- vard Jourdan, acheva sa licence ès lettres classiques en 1962 et l’année suivante obtint le diplôme d’études supérieures avec la mention Très bien . En 1964, elle fut reçue onzième à l’agrégation de grammaire . Elle passa sa quatrième année d’École à appro- fondir son anglais et fut certifiée d’Études pratiques d’anglais (avec la mention Bien) . Elle partit enseigner au lycée de jeunes filles de Calais où elle resta un an .
De 1966 à 1971, elle fut assistante de grec à la jeune faculté des Lettres de Tours, revenant dans sa ville natale . Elle continua ses études d’anglais ; comment alors ne pas penser à Jean, son aîné angliciste, décédé en 1959, mais aussi à l’arrière-grand- oncle du côté paternel, Achille Barthélémy, qui avait épousé la fille du Lord-Maire de Douglas (île de Man) ? Passionnée de langue et de littérature anglaises, elle obtint en 1968 le certificat de Lettres anglaises (avec la mention Très bien) et celui de linguis- tique anglaise (avec la mention Bien : elle achevait ainsi en 1968 sa licence d’anglais .
Inscrite en 1970 sur la liste d’aptitude aux fonctions de maître-assistant, elle fut dès l’année suivante maître-assistant stagiaire à l’université de Tours et titularisée en 1972 . En 1975 elle déposa à l’université de Paris-IV Sorbonne un sujet de doctorat d’État sous la direction de Jean Irigoin, intitulé Valences verbales et cas : recherches sémantiques et syntaxiques portant sur le Grec attique (Lysias et corpus lysiacum).
En 1985, elle devint maître de conférences de grec à l’université de Tours mais ses problèmes de santé l’obligèrent à prendre un service à temps partiel de 1988 à 1990 .
De ses diverses publications, il faut citer son Mémento de morphologie verbale du grec attique classique édité en 1985 par la CNARELA (Coordination nationale des associations régionales promouvant les langues anciennes), ouvrage récompensé par le prix Chénier de l’Académie des inscriptions et belles-lettres .
De même que notre sœur Françoise, à la bonté et aux capacités intellectuelles remarquables, m’avait caché sa leucémie pendant quatre ans, Anne-Marie me cacha sa terrible maladie de Parkinson de 2005 à 2021 . Je connaissais en revanche les autres pathologies dont elle était atteinte, notamment aux yeux . Le choc a été rude pour moi le 11 août 2021, la veille de ses 79 ans, en la découvrant inanimée sur le plancher où elle venait de passer, d’après les pompiers, une quinzaine d’heures .
Les dernières années de sa vie, elle se mettait soudain à s’exprimer en anglais : cela restera pour moi un mystère .
Pendant plus de cinquante ans, Anne-Marie a été très généreuse envers de nombreuses familles et sa bonté s’exprime encore au-delà de la mort par de grands bienfaits adressés à des associations .
J’aime et j’admire cette sœur que je ne connaissais pas assez bien . Sa grandeur morale, ses engagements toujours tenus me rappellent tant deux autres normaliennes mathématiciennes, Suzanne ma mère et Françoise ma sœur adorées, ainsi que ce père si doux, ami des oiseaux, qu’elle aimait profondément .
Anne-Marie n’appréciait guère les honneurs, ni les rubriques nécrologiques, mais elle allait toujours rendre hommage à ses amies ou amis décédés . Son immense bien- veillance accepte certainement mon témoignage .
Catherine CHANET, sa sœur
Notes
1 . Voir sa notice rédigée par la signataire de ces lignes avec les témoignages de ses anciennes élèves et amies, dans notre Recueil 2005, prédécesseur de L’Archicube-bis, p . 45-47 .
2 . Voir la notice consacrée à cette enseignante légendaire, parue dans notre Recueil 2003, et tout particulièrement le texte de Jacqueline de Romilly (1933 l), p . 45 ; elle fut aussi la relectrice de la Syntaxe grecque de Jean Humbert (1921 l) .
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En deuxième année de licence, en octobre 1971, Élisabeth a été l’élève d’Anne-Marie à l’université François-Rabelais de Tours, en linguistique, textes littéraires et version ; je le fus en octobre 1973 en maîtrise de grec aux côtés d’Élisabeth . Nous étions alors « ipésiens » et avons préparé l’agrégation de lettres classiques en 1975 . Anne-Marie assurait les cours de version et de textes grecs au programme du concours : nous nous souvenons en particulier d’un cours sur le Philoctète de Sophocle, marquant par sa minutie, sa profondeur et son érudition . En outre, comme nombre de ses collègues du département de Grec, Anne-Marie nous a généreusement donné de son temps par des conseils avisés, des « colles » et un engagement enthousiaste, si bien que nous avons été chacun reçu à son agrégation respective, en juillet 1976 .
Anne-Marie a été pour nous, il y a maintenant cinquante ans, un professeur qui alliait une grande exigence à une grande bienveillance . Elle n’était jamais écrasante, toujours soucieuse d’amener plus loin ses étudiants, et d’une disponibilité rare . Trente ans plus tard, elle a veillé avec une attention discrète sur nos filles devenues étudiantes à Paris alors que nous vivions à Athènes entre 1999 et 2003 . Ces dernières années, elle a accompagné la naissance de nos petites-filles .
Nous la voyions régulièrement, nous promenant ou déjeunant avec elle : elle venait chez nous lors des anniversaires de nos filles ou lors de séjours de nos petites- filles, leur offrant généreusement beaux livres d’enfants et peluches, qu’elle adorait . Son beau sourire amical et éclatant continuera de nous accompagner .
Élisabeth PÉRIN-FRÖCHEN et Jacques FRÖCHEN
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J’ai connu madame Anne-Marie Chanet en 1994 par l’entremise de sa sœur Françoise, qui a été mon professeur de mathématiques supérieures au lycée Descartes de Tours . Afin que je puisse passer les oraux des grandes écoles dans les meilleures conditions, Françoise avait convaincu Anne-Marie, qui habitait dans le Quartier latin, de m’héberger pendant deux semaines à titre gracieux en juin-juillet 1994 . Son soutien moral pendant cette période compliquée et stressante de ma vie a été crucial et a largement contribué à ma réussite au concours de l’ENS . Elle m’avait impres- sionné par la sagesse qui émanait de ses propos, sagesse de ceux et celles qui ayant lu tous les écrits antiques voient le présent comme bien peu de chose .
Elle avait une culture vaste et précise, ce qui est très rare, même dans le milieu universitaire . C’est elle qui m’a fait découvrir les « rubriques-à-brac » du dessinateur Gotlib, dont l’humour était parfait pour me détendre après les oraux .
Pour me requinquer d’un oral éprouvant, je me souviens qu’elle m’avait cuisiné une entrecôte qui m’avait paru gigantesque à l’époque et dont je garde un souvenir ému tant elle était délicieuse et revitalisante !
Anne-Marie avait su créer autour de moi une atmosphère à la fois détendue, repo- sante et rassurante – parfois même studieuse – en me donnant les « trucs » à dire en cas de manque d’inspiration pour les oraux d’anglais, dont le fameux « well » qui permet de meubler pendant que l’on réfléchit à ce qu’on va dire !
Je me souviendrai longtemps de la gentillesse et de l’extrême bienveillance d’Anne-Marie à mon égard . Elle avait conservé une âme d’enfant malicieuse qui, combinée avec son savoir universel, la rendait tellement attachante . Je ne l’ai connue et fréquentée que pendant une (trop) courte période de ma vie (mais ô combien intense et avec quel souvenir vivant, encore maintenant !) . C’est donc avec beaucoup de tristesse que j’ai reçu l’annonce de sa disparition .
Éric GAUDRON (1994 s)