POUJOL Philippe - 1986 l
POUJOL (Philippe), né le 6 février 1966 à Montpellier (Hérault), décédé le 15 juin 2019 à Fontainebleau (Seine-et-Marne). – Promotion de 1986 l.
Le devoir, sinon la raison d’exister, de l’a-Ulm est de garder le souvenir de nos camarades disparus, autant que d’apporter aide et secours aux vivants . Il m’a donc paru indispensable de satisfaire au moins à ce premier devoir, pour rédiger avec l’aide de sa mère quelques lignes pour la mémoire d’un de nos jeunes Anciens, que j’ai dû côtoyer au hasard d’un couloir de l’École, puis vingt ans plus tard, dans un autre couloir dans son dernier domicile parisien, sans qu’il m’ait été donné l’oc- casion de nouer contact avec cet élève de Langues vivantes, devenu un voisin discret et sans histoires .
Il venait de Montpellier, où il avait effectué ses études secondaires au lycée Clemenceau, suivies d’une courte étape en hypokhâgne et khâgne au lycée du Parc, à Lyon . Il s’inscrivait donc dans une très longue tradition d’excellence (ses parents travaillaient dans les assurances), et il avait déjà choisi de se spécialiser dans la langue et la civilisation russes . Lorsqu’il était lycéen, les élèves les plus prometteurs étaient encore dirigés par les proviseurs vers les langues réputées diffi- ciles, comme l’allemand ou le russe, sans la moindre considération de géopolitique, et je peux personnellement témoigner, rien qu’en Bourgogne, de l’implantation de la langue russe dans les lycées, même dans les sous-préfectures, et de la qualité des enseignants par la proportion de mentions bien ou très bien (à l’époque un bachelier sur quarante) obtenues par les élèves présentant le russe en première langue vivante .
Cette période faste ne dura pas . Mais Philippe Poujol était irrésistiblement attiré par ce cursus . Il compléta sa formation rue d’Ulm ; en deuxième année il rédigea son mémoire portant sur Boissons et commensalité dans la Russie kievienne (dir . Vladimir Vodoff) et le compléta par une maîtrise sur Démonologie, sorcellerie et sociabilité dans les campagnes russes au xixe siècle (dir . Francis Conte) . Ses années d’études à l’étranger coïncidèrent avec les dernières de l’URSS, il fut témoin des efforts de Gorbatchev avec sa perestroïka pour sauver le régime de Lénine, et il ne fut certes pas étonné par l’effondrement de 1990 . L’agrégation ne fut qu’une formalité, et après avoir accompli un an de service national (au Prytanée de La Flèche, comme enseignant de russe), il fut nommé assistant-normalien à l’université de Strasbourg II (dans l’unité de recherches qui comprenait le russe, les autres langues slaves et le grec moderne) . Il y resta quatre années, à la suite desquelles se posa le problème d’un débouché, le nombre des postes se réduisant comme peau de chagrin, et les articles publiés ne pouvant servir d’égide . Il fut confronté à l’impitoyable réalité : la période de recrutement dans le supérieur était close, les titulaires eux-mêmes se heurtaient à des difficultés pour compléter leur service et certains même savaient (comme à Dijon) qu’à leur retraite, leur chaire ne serait pas renouvelée . Les données économiques étaient tout sauf favorables pour un débutant se hasardant sur cette voie, ceci déjà dans la dernière décennie du siècle .
Son ancien professeur de russe à Montpellier, madame Moussine, née Pouchkine – descendante du grand écrivain – lui avait déconseillé de persévérer et recommandé de choisir le chinois ; mais il ne suivit pas cet avis, pourtant judicieux . Avis qu’il n’eut plus l’occasion d’entendre, ni à Lyon, ni à Paris .
Philippe fut donc affecté dans le secondaire, au hasard des suppléances qui le conduisirent jusqu’en Picardie (Amiens, Saint-Quentin) ou dans des établissements difficiles d’Île-de-France, sans qu’il soit jamais question pour lui d’un poste fixe .
Sa santé se détériora . Après plusieurs hospitalisations, de 2013 à 2017, il renonça à enseigner devant des élèves qui trop souvent n’avaient pas la vocation du russe, et il devint assistant administratif . Il commença au collège Germaine-de-Staël et ses qualités permirent sa mutation l’année suivante au lycée Henri-IV, où il fut chargé de rédiger la deuxième édition de la brochure présentant le prestigieux établissement . Madame Breyton, proviseur, et ses adjointes ont gardé un souvenir très fort de ces journées où il veillait au moindre détail, aussi bien pour l’historique du lycée (et le choix, qui devait tenir sur une seule page, des illustres anciens et anciennes) que pour sa présentation sobre et claire des diverses filières d’excellence proposées, à deux pas de la rue d’Ulm (entre autres) .
Ces cent pages de grand format, superbement illustrées grâce à de très nombreux mécènes (tant d’anciens élèves ont eu à cœur de contribuer financièrement à sa réali- sation), ne comportent pas le moindre nom d’auteur : telle est malheureusement la loi du genre .
Tous et toutes témoignent aujourd’hui encore du choc qui suivit l’annonce de la disparition si brutale de celui qui s’était si bien intégré à leur équipe administrative, malgré ses problèmes de santé .
La nouvelle de son décès hâta le progrès de la maladie dont souffrait son père, et vers sa mère qui reste seule avec ses souvenirs, vont nos remerciements et toute notre respectueuse sympathie .
Patrice CAUDERLIER (1965 l)
avec l’aide de Lucie-Paule POUJOL, sa mère