LE MOAL Mikaël - 1980 s

LE MOAL (Mikaël), né le 1er août 1960 à Talence (Gironde), décédé le 15 octobre 2020 à Paris. – Promotion de 1980 s.


Adieu, Mikaël
Ton père était assistant en neurosciences à l’université de

Bordeaux et ta mère enseignait les sciences naturelles dans le secondaire .

Quand tu as eu ton bac à 17 ans, ton père a décidé de t’envoyer en hypotaupe à Paris, au lycée Louis-le-Grand : car ta mère était malade et la vie de famille difficile . Tu t’es senti abandonné, mais tu as lutté courageusement et, à la fin de ta taupe en 1980, tu as été reçu major à l’Agro et hypocacique à Ulm . Tu as appelé ton père pour qu’il t’aide à te décider . Comme, à l’époque, tu étais en opposition avec lui, il t’a conseillé de choisir Ulm, pensant que tu ferais le contraire, car il croyait que l’Agro te convien- drait mieux . Pour une fois, tu as suivi ses conseils .

Tu as eu deux doctorats d’immunologie ; avec ce bagage tu as été chargé de recherche en sciences du vivant et santé, à l’université Denis Diderot-Paris VII, puis à l’Institut Pasteur . Désirant aborder d’autres aspects de la recherche, tu as suivi la formation du Collège des ingénieurs, obtenu un MBA (Master of Business Administration) et tu es devenu chargé de mission pendant quinze ans pour différents organismes : AFM6Téléthon, L’Oréal, l’Institut Curie, la Fédération hospitalière de France, le Génopôle, le Cancéropôle Île-de-France .

Après un bref passage au Centre national de l’expertise hospitalière (CNEH) comme consultant-formateur, tu as intégré en 2009 la Direction générale de l’offre de soins au ministère de la Santé comme chargé de mission « Qualité des structures de soins », poste que tu occupais toujours en cet horrible 15 octobre 2020 .

Tu es mon ami fidèle depuis seize ans . Je t’ai rencontré pour la première fois, à titre professionnel, dans le cadre mythique de la rue d’Ulm et ensuite notre amitié s’est surtout développée dans un cadre tout aussi mythique mais sur un autre registre, la forêt de Brocéliande .

En juin 2004, tu t’étais en effet adressé au service Carrières de l’ENS où je suis bénévole, et j’avais été chargée de te recevoir . Tu venais d’être éjecté brutalement de la Fondation Curie, où tu travaillais depuis huit ans avec tout le sérieux que nous te connaissons . Je t’ai accompagné vers un nouveau projet professionnel et je me souviens que ce qui comptait beaucoup pour toi, dans le choix d’un nouveau poste, c’était de te sentir utile et de pouvoir aider les autres . Ton rêve secret aurait été d’être médecin généraliste, voie que tu t’étais interdite pour ne pas entrer sur le territoire de l’image du père . Bien vite, tu as eu assez confiance en moi pour me confier qu’à la rupture professionnelle s’ajoutait au même moment la rupture sentimentale avec ta compagne d’alors, Bacha, ton grand amour, dont tu nous parlais encore l’été dernier . J’ai mesuré à quel point tu avais besoin d’être aidé pour retrouver non seulement confiance en toi et dans les autres, mais aussi estime de toi .

Tout en te « coachant » sur le plan personnel, j’ai commencé à t’inviter à certains évènements joyeux de ma vie : un repas familial ou amical, une fête chez un ami, plus tard mon anniversaire, le réveillon de ceux qui n’ont rien prévu à la Saint- Sylvestre, la galette du bureau... Je t’ai aussi proposé de venir me voir pendant l’été à Brocéliande . Et tu es venu, d’abord juste pour une halte sur le chemin du Conquet ou de Quimper, puis pour de courts séjours de plus en plus fréquents pour te ressourcer au vert . Ces dernières années, de tous mes proches, c’est toi qui venais le plus souvent, même en hiver, et tu étais mon plus fidèle allié dans ma lutte contre les ronces et le lierre . Tu avais même laissé à Brocéliande tes bottes jaunes de marin pour aller aux champignons dans la forêt détrempée, tes pantoufles charentaises pour les matins frais et les soirées au coin de la cheminée, et tes espadrilles blanches pour le jardin en été .

Tu étais mon ami et je t’aimais pour ta personnalité si complexe . Tu vivais en solitaire avec tes poissons mais tu t’étais facilement fait adopter au sein de ma famille par mes enfants, mes petits-enfants, mes chats et jusqu’à ma tortue, ainsi que par mon cercle d’amis et d’amies . Sous tes dehors distants et même parfois bourrus, tu faisais preuve d’un humour décapant et tu étais capable de faire éclater de rire toute une tablée .

Tu militais pour le développement durable, tu faisais partie d’une association pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap), tu te déplaçais principalement à bicyclette, mais toutes les six semaines tu prenais l’avion pour aller en Tunisie rencontrer le soleil dont tu avais tant besoin . Tu étais la première personne, depuis ma grand-mère, que je voyais lire le journal d’un bout à l’autre sans t’arrêter et sans passer un seul article, Le Monde, Le Monde diplomatique, Marianne, Charlie Hebdo... Pour cela tu t’asseyais dans le jardin à l’ombre en été, au soleil dans les autres saisons ou au coin du feu quand il pleuvait, et personne n’osait te déranger...

Tu lisais aussi des ouvrages très sérieux, surtout des monographies, comme récem- ment la biographie de Trotski ou les Mémoires de Churchill . Mais dans ces cas-là, entre deux chapitres, tu dévorais un roman policier pour te détendre l’esprit .

Tu vivais frugalement mais tu étais très gourmand et tu appréciais ma cuisine, surtout mes confitures, et tu repartais à chaque fois avec une cargaison de pots . Nous nous invitions parfois à déjeuner mutuellement au restaurant, nous avions nos habi- tudes, comme le dîner au Relais de la Cane à Montfort avant que tu ne reprennes le dernier train du dimanche pour Paris, ou les grillades et les énormes glaces artisanales couronnées de papillons, avec mes petits-enfants au bord de l’étang de Paimpont .

Tu dormais bien, disais-tu, à Brocéliande car les nuits y sont vraiment noires et parfaitement silencieuses, mais tu faisais aussi la sieste . Tu te moquais gentiment de mon attachement pour les légendes de la forêt mais tu étais le premier à te précipiter au grand spectacle de chevalerie organisé à chaque Pentecôte par le Centre de l’ima- ginaire arthurien, toujours plein de poésie, et tu avais apprécié, un soir de printemps, de dîner à la table du roi Arthur lors d’une réunion de l’association .

Tu n’acceptais guère les simagrées sociales, mais quand tu venais dîner chez moi à Paris, tu m’offrais toujours un bouquet de fleurs, oranges, ou un petit présent rapporté de Tunisie . Tu prenais soin de toi, par exemple en t’astreignant à trois séances de piscine par semaine pour entretenir ton dos, et tu savais aussi faire atten- tion aux autres . Quelquefois tu partageais mes voyages en voiture, mais la plupart du temps tu arrivais de ton côté et, pour m’éviter les embouteillages de l’entrée à Rennes, tu prenais le car jusqu’à Paimpont et je te voyais en descendre, l’été en short et sandales, l’hiver enfoui dans ton ciré et ton bonnet de marin, toujours suivi de ta petite valise rouge à roulettes .

Je ne t’attendrai plus à la descente du car . J’ai reçu à Brocéliande le message de ton frère Nathanaël m’annonçant ton décès et j’ai été saisie d’horreur et de sidération . Tu es mort seul ! Personne pour te secourir, personne pour t’écouter, personne pour te tenir la main !

J’espère qu’au moins, puisqu’il est dit qu’au moment de mourir, on revoit toute sa vie en un instant, tu as gardé les dernières images lumineuses des rares moments de bonheur de ton enfance, quand vous partiez en famille faire du camping sauvage sur une île déserte du Finistère, ces souvenirs que tu évoquais souvent quand tu me racontais ta vie lors de nos soirées au coin du feu .

Tes bottes et tes pantoufles vont t’attendre indéfiniment dans le placard de Brocéliande, tu ne viendras plus et tu vas me manquer . Merci, Mikaël, de ta fidèle amitié. Merci et adieu !

Laurence LEVASSEUR (1966 L)