WETZEL Laurent - 1969 l

WETZEL (Laurent) ̧ né le 16 janvier 1950 à Landerneau (Finistère), décédé le 12 octobre 2021 à Clamart (Hauts-de-Seine). – Promotion de 1969 l.


Notre camarade avait communiqué au Secrétariat son souhait d’être l’auteur de la notice à paraître après son décès. Ayant repris de ses mains, au printemps 2014, le « flambeau » de la tradition du souvenir de nos Anciens, et ayant, à cette occasion, noué de forts liens avec lui, je crois respecter sa volonté en aménageant son texte comme il suit ; il sera complété par un témoignage d’amitié.

Il était le fils de Jacques Wetzel, polytechnicien, ingé- nieur du Génie maritime et actuaire ; sa mère, née Hélène Durosoy, était infirmière et assistante sociale . Il débuta sa scolarité au lycée du Havre puis, la famille venant à Paris, à l’école du Sacré-Cœur et au lycée Claude-Bernard (XVIe). Il prépara l’École au lycée Louis-le-Grand, après un baccalauréat Mathématiques élémentaires obtenu en 1966 . Il en garda une profonde vénération pour André Lagarde . Dès qu’il fut agrégé d’Histoire (en 1973), il enseigna dans plusieurs collèges et lycées franciliens (dont Marcel-Roby à Saint-Germain-en- Laye) l’histoire, la géographie et l’éducation civique . Parallèlement, il fut maître de conférences d’histoire contemporaine à l’Institut d’études politiques de Paris (1977) et professeur d’histoire politique à l’École supérieure de commerce de Paris (1985- 1986) . Attiré par la politique, il fut chargé de mission dans les cabinets des ministres du Commerce extérieur, des Réformes administratives, des Postes et télécommuni- cations, de la Défense (gouvernements Raymond Barre de 1978 à 1981 puis Jacques Chirac de 1986 à 1988) . Il exerça des mandats locaux à Sartrouville (Yvelines) dont il fut conseiller municipal de 1979 à 1985 puis maire dans la mandature suivante ; il représenta ce canton de 1985 à 1998 . Ensuite, il fut inspecteur pédagogique régional d’Histoire-géographie dans les rectorats de Rouen, Reims, Créteil et Versailles de 1995 à 2011, année de sa retraite . Après sa disparition brutale et inattendue, son épouse Marie-Henriette (elle-même traductrice), entourée de leurs fils Guillaume et Arnaud (ingénieurs) et Emmanuel (analyste financier) et de leurs petits-enfants, a pu constater, lors de la messe de funérailles, combien son souvenir était vivace .

Patrice Cauderlier (1965 l) ***

C’est en 1969 que je fis la connaissance de Laurent Wetzel . Il venait d’entrer à l’École tandis que j’entamais cette merveilleuse quatrième année durant laquelle, délivré des soucis de l’agrégation, il m’était loisible de montrer plus d’attention aux autres promo- tions . Dans une École fortement gangrenée par le maoïsme, Laurent affichait déjà cette liberté d’esprit qui faisait son charme mais qui lui valut plus d’une épreuve .

Nos relations étaient cordiales, sans plus . Ce sont ses activités ultérieures qui nous rapprochèrent davantage . Agrégé d’histoire, il avait entrepris une thèse sur Gallieni, qu’il en vint malheureusement à abandonner, le sujet restant à ma connaissance encore à défricher . Tout en enseignant dans divers lycées, il ne tarda pas à prêter sa plume à différentes personnalités, au sein de plusieurs cabinets ministériels . Il collabora aussi à la rédaction des ouvrages à succès d’un de nos anciens voué à une entrée rapide à l’Académie française et dont il se plaisait à rapporter les très efficaces procédés de fabrique . Nous nous croisions parfois dans la salle des professeurs de Sciences Po où il donnait des conférences de culture générale tandis que, par une sorte de chassé-croisé pédagogique, agrégé de lettres classiques, j’enseignais l’histoire du xxe siècle . Nos chemins se rejoignirent à l’occasion de l’élection européenne de 1979 . Avec l’aide d’un troisième larron, nous fûmes les auteurs du programme de la liste conduite par Simone Veil à laquelle Laurent fournit en outre un ensemble de citations fort utiles dans les débats contradictoires .

Pour lui le temps des mandats électifs vint un peu plus tard : conseiller municipal d’opposition à Sartrouville en 1983, il dénonça bien des aspects choquants de la gestion communiste de la municipalité . Sa notoriété s’en accrut : il fut élu conseiller général des Yvelines en 1985 et devint maire de Sartrouville en 1989 . Une action urbanistique et sociale intelligente et efficace contribua à réduire les tensions qui paralysaient le développement de la cité . Son succès fut éclipsé par les débats liés à la déstalinisation conduite par le nouveau maire : à Sartrouville la rue Hô Chi Minh devint rue du Maréchal de Lattre-de Tassigny, Tocqueville remplaça Karl Marx, Pierre Brossolette supplanta Paul Vaillant-Couturier tandis que Lénine cédait la place au général de Gaulle, et le reste à l’avenant . Les polémiques les plus vives portèrent sur le cas de Marcel Paul, dont la rue allait prendre le nom de d’Estienne-d’Orves : Laurent Wetzel démontra, y compris devant les tribunaux, que l’ancien ministre commu- niste avait été arrêté « pour des faits à caractère politique et non résistant » et qu’« il s’était rendu coupable, au cours de sa déportation, de faits contraires à l’esprit de la Résistance » . En enfreignant les tabous de la résistance communiste et en mettant en lumière le rôle controversé du Parti dans l’administration du camp de Buchenwald, Laurent Wetzel s’exposait aux représailles d’une force politique certes en déclin mais encore très puissante dans la couronne parisienne et dans certaines administrations . Les communistes multiplièrent contre lui manœuvres, calomnies et vexations . Il y fit face avec une droiture et un courage qui le portaient naturellement à l’intransigeance .

Il aurait pu sombrer dans le désespoir et la dépression s’il n’avait su trouver un équi- libre dans une vie familiale parfaitement réussie, auprès de ses trois enfants et d’une épouse attentive dont le dévouement constant lui permit de traverser victorieusement de multiples épreuves .

Au terme de ses mandats électifs, il reprit en 1998 des fonctions dans l’ensei- gnement, tout en conservant des activités militantes et extraprofessionnelles . Ce chrétien croyant et pratiquant était un défenseur déterminé de la sécurité de l’État d’Israël . Nous nous retrouvions dans cet engagement comme dans bien d’autres et nous prenions part aussi aux déjeuners du comité de rédaction de Commentaire . Nommé Inspecteur pédagogique régional, il s’attacha à veiller à la qualité de l’en- seignement de l’histoire dont il déplorait la dégradation . De cette expérience, la retraite venue, et donc affranchi du devoir de réserve, il tira la matière de son livre Ils ont tué l’ histoire-géo publié en 2012 chez François Bourin et qui connut un succès mérité car l’actualité, l’acuité et la solide documentation du propos en faisait bien plus qu’un pamphlet . Il poursuivit ses travaux d’écriture en publiant l’an dernier aux éditions du Rocher un ouvrage intitulé Vingt intellectuels sous l’Occupation : des résistants aux collabos qui renouvelle très largement un sujet apparemment rebattu par une documentation de première main et souvent inédite, par la vivacité du ton et par la sérénité des analyses . Le livre est une contribution d’importance à l’histoire de l’École car, sur les vingt portraits qu’il comporte, il trace l’itinéraire de treize archicubes, d’Aron (1924 l) à Brasillach (1928 l) en passant par l’inquiétant Jean- Paul Hütter, cacique à 18 ans de la promotion littéraire de 1926, engagé volontaire dans la Wehrmacht et mort en 1944 sous l’uniforme allemand . Il songea un moment à écrire la biographie d’un grand patron . Je lui conseillai plutôt de consacrer ses soins à composer sur les intellectuels face à la guerre d’Algérie l’équivalent de son livre sur l’Occupation . Il tendait à se ranger à cette idée . Une stupide chute dans un escalier suivie d’une semaine de coma nous aura privés des livres qu’il méditait et que son talent lui aurait donné les moyens d’écrire . Pendent opera interrupta.

Jean-Thomas NORDMANN (1966 l)