AUBERT Serge - 1986 s

AUBERT (Serge), né le 29 août 1966 à Gap (Hautes-Alpes), décédé le 19 février 2015 à Grenoble (Isère). – Promotion de 1986 s.


Serge Aubert n’aimait pas parler de lui et encore moins se mettre en avant. Ceux qui l’ont côtoyé de près connaissent sa manière d’esquiver une question personnelle en y répon- dant par une autre question, ou par un trait d’humour. Cette bonne humeur, cet enthousiasme communicatif, ce rire si reconnaissable, étaient clairement le reflet spontané et naturel de sa personnalité. Il y avait probablement aussi derrière cette manière d’esquiver une carapace, une volonté de ne pas afficher une fragilité et une propension au doute contre lesquelles il luttait. Sa carrière accomplie, sa vie familiale heureuse, les amitiés fortes qu’il a construites montrent le succès de ce combat. Serge Aubert a pourtant mis fin à ses jours à 48 ans, suite à une dramatique rupture de suivi médical.

Il serait peut-être devenu agriculteur, en reprenant la ferme familiale, sans le décès accidentel de son père, survenu alors qu’il n’avait que 15 mois. Fils unique, Serge a été élevé à Gap par sa mère Maryse à proximité de ses grands-parents et de cette exploitation, qui sera finalement reprise par son oncle. La prise de conscience progressive qu’il n’y avait pas de place pour lui dans la ferme familiale a marqué ses années d’adolescence.

Serge avait cependant d’autres ressources, et ses très bons résultats scolaires lui ont ouvert d’autres portes. « Élève doué, attentif et modeste », écrit un professeur de terminale qui cerne bien cet élève à la fois brillant et discret. Après deux années de classes préparatoires option biologie au lycée du Parc à Lyon, Serge est reçu aux concours avec d’excellents rangs et se trouve confronté à un choix difficile entre l’École normale supérieure et l’Institut national agronomique, qui l’aurait peut-être rapproché de ses racines paysannes. Il choisit l’École mais sans être certain de son choix et reste tiraillé par le doute, ce qui affecte sa première année de scolarité qu’il doit interrompre. Quelques mois à Gap lui permettent de se remettre en forme en s’adonnant à des sports de montagne qu’il avait peu pratiqués jusque-là. Il reprend ensuite le cursus de sciences naturelles de l’université Pierre-et-Marie-Curie, qui débouche sur l’agrégation, obtenue en 1990 après une année de préparation à l’ENS de Lyon, où il a noué de solides amitiés.

Son service national dans la marine, entre Toulon et Brest, lui apporte sa première expérience d’enseignement, en tant que scientifique du contingent. On le retrouve ensuite doctorant à l’université Joseph-Fourier de Grenoble où il engage sous la direction de Richard Bligny (1967 s) une thèse de physiologie végétale sur « les effets multiples du glycérol sur le métabolisme de la cellule végétale non chlorophyllienne ». Docteur en 1994, il enchaîne très rapidement les étapes : maîtrise de conférence en 1996, habilitation à diriger des recherches en 2001, et un poste de professeur des universités en 2011, toujours à Grenoble.

D’abord affecté pour ses activités de recherche au laboratoire de physiologie cellulaire végétale (UMR 5168) où il avait effectué sa thèse, Serge se dirige progressivement vers l’écophysiologie et l’écologie alpine, ce qui se concrétise formellement par son rattache- ment au laboratoire d’écologie alpine (UMR 5553) à partir de 2003. Ce changement d’affectation illustre bien la direction donnée à ses travaux. Après des recherches sur la physiologie du stress dans des cellules végétales isolées, modèles simplifiés offrant le double avantage de la facilité de culture et de la maîtrise des paramètres extérieurs, Serge se tourne vers l’écophysiologie des plantes poussant en conditions extrêmes (haute montagne ou îles subantarctiques). Le déplacement de son champ de recherche lui permet de confronter aux observations effectuées en conditions naturelles les modèles élaborés à partir des cellules isolées ou des plantes de laboratoire.

Au-delà de sa pertinence scientifique, cette orientation vers l’écologie alpine permet à Serge de nourrir deux passions qui ne l’ont jamais quitté, l’une pour la botanique, comme en atteste son immense collection de clichés de plantes, et l’autre pour la montagne, qui explique l’empressement avec lequel il quitte Paris pour se rapprocher de ses Hautes-Alpes natales.

Son amour pour les plantes et leurs milieux naturels était déjà là lors de sa parti- cipation au stage de botanique de la station universitaire de Besse-en-Chandesse. La découverte de la magnifique vallée de Chaudefour, avec une flore alpine qui s’est maintenue au cœur du Massif central depuis la dernière glaciation, n’est peut-être pas étrangère à ses orientations scientifiques ultérieures. Tout comme ce voyage en solitaire de plusieurs mois, juste après sa thèse, qui lui permet de parcourir le Chili du Nord au Sud.

La famille de Serge s’est adaptée à cette passion pour les plantes et le voyage. Ses virées botaniques annuelles, au bout du monde, n’auraient pas été possibles sans le soutien de son épouse, Carole, qui a su répondre aux besoins de leurs deux enfants, Anne et Marc, sans sacrifier sa mission d’enseignement des sciences de la vie et de la terre, dans une banlieue peu favorisée de Grenoble. Il pouvait compter aussi sur le soutien de sa mère, Maryse, qui prodiguait depuis Gap une affection sans faille à l’ensemble de la famille. Les objectifs botaniques n’étaient jamais éloignés dans l’organisation des voyages en famille, à l’image de ces vacances de printemps en Crète, en pleine période de floraison des iris et des ophrys. Sur le terrain, Serge avait développé ses talents de photographe, et nombre de ses photographies de plantes se retrouvent aujourd’hui dans bien des publications de référence.

Serge vouait un profond attachement aux Alpes, qui allait bien au-delà de son intérêt et de son expertise sur la flore alpine. Cela ressort clairement dans son engage- ment en faveur du jardin alpin du col du Lautaret. À la fin des années quatre-vingt-dix et au début des années deux mille, dans un long bras de fer institutionnel associant université, organismes de recherche et collectivités territoriales, il s’est dépensé sans compter pour que ce jardin ne soit pas détaché de l’université de Grenoble à laquelle il était lié depuis plus d’un siècle. Sa pugnacité, son enthousiasme et sa force de conviction ont finalement permis la création, en 2005, de la Station alpine Joseph Fourier dont il a pris la direction. Associant le jardin botanique alpin et le chalet- laboratoire ouvert en 1989, cette unité mixte de service reconnue par l’université et le CNRS est un modèle unique en Europe de station biologique d’altitude.

Les développements de cette structure sont le fruit de l’engagement sans relâche de son directeur qui a pris à cœur ses responsabilités, sans jamais se laisser arrêter par le manque de moyens. En l’absence de secrétariat, il va jusqu’à mettre lui-même en page les publications du jardin du Lautaret. Il se bat pied à pied pour chaque création de poste, mettant plusieurs fois sa démission dans la balance. Il a l’âme d’un bâtisseur et son grand œuvre dans le domaine a été la Galerie de l’Alpe, un édifice construit sur les ruines d’un ancien hôtel du Paris-Lyon-Méditerranée détruit en 1944. Inauguré en juin 2016, ce nouveau bâtiment dote le site d’un espace ouvert au public, de nouveaux laboratoires et d’une salle de conférence. Serge a également porté le projet des serres alpines ouvertes en 2018 sur le campus de Saint-Martin-d’Hères où elles permettent d’étudier des plantes en conditions extrêmes, et financées par un contrat de plan État-région.

Le développement de la station alpine sous son impulsion montre sa largeur de vue et l’ouverture intellectuelle avec laquelle il a porté ce projet. En y accueillant des recherches liées au sol, au climat, ou à l’enneigement, il a fait du jardin botanique initial un espace de recherche transdisciplinaire sur la montagne. Les échanges inter- nationaux noués avec d’autres centres ou jardins alpins font de la station un lieu visible à l’étranger et contribuent directement à l’enrichissement de ses collections. En hébergeant jusqu’à une centaine de personnes au cours des mois d’été, la station devient un lieu de formation essentiel pour des étudiants et doctorants aux profils variés. Avec ses 20 000 visiteurs par an enfin, qui en font l’un des sites touristiques les plus visités du département, le col du Lautaret est un bel exemple d’association réussie entre recherche et diffusion des connaissances.

La lourdeur de la direction de la Station alpine Joseph Fourier, avec son lot de contraintes administratives et financières dont il ne s’échappait que lors de ses périples lointains, n’a jamais empêché Serge Aubert de maintenir une forte acti- vité de recherche, en collaborant à de nombreux projets autour des plantes alpines. Au-delà de ses nombreuses publications internationales, il travaillait à une synthèse sur les plantes dites « en coussins », si emblématiques des hautes montagnes, pour laquelle il avait constitué une importante base de données. Il était aussi mobilisé pour des publications destinées à un public plus large, comme les Cahiers illustrés du Lautaret auxquels il a contribué sur des thèmes aussi variés que l’agriculture en Oisans, les tufs du col du Lautaret ou l’ethnographie de l’alimentation en Haute- Romanche, montrant ainsi l’ampleur de sa culture et de sa curiosité.

Cet engagement professionnel intense n’empiétait jamais sur son attention aux autres et sa capacité à se rendre disponible. Tant d’étudiants se souviennent avoir trouvé auprès de lui une oreille attentive, des conseils avisés et des encouragements pour un projet, voire une reconversion. Par l’attention particulière qu’il prêtait enfin aux « anciens » et à leurs savoirs, collègues retraités continuant à fréquenter une station alpine chargée d’histoire ou paysans dépositaires de pratiques et savoir-faire ancestraux, Serge se posait aussi comme un passeur entre les générations.

Malgré les doutes et les questionnements qui ne l’ont jamais quitté, malgré une existence dramatiquement écourtée, Serge laisse derrière lui un bilan professionnel que beaucoup peuvent envier et le souvenir d’un homme d’engagement, d’écoute et d’ouverture dont ses enfants, Anne et Marc, peuvent être fiers, tout comme lui- même ne parlait d’eux qu’avec fierté et enthousiasme.

Laurent PINON (1987 s)

Note

Lien vers le texte d’hommage rédigé par son collègue et ami Philippe Choler : http://www.philippe-choler.com/41.html