BLANCHARD Étienne - 1988 s

BLANCHARD (Étienne), né le 9 octobre 1968 à Cambrai (Nord), décédé le 10 avril 2018 à Paris. – Promotion de 1988 s.


J’ai fait la connaissance d’Étienne au début des années 90. Pour retracer une grande partie de sa vie, j’ai été aidée par les témoignages de sa famille et de ses nombreux amis et collègues qui se reconnaîtront. Tous sont chaleureusement remerciés ici.

Étienne a vécu ses premières années dans la petite ville industrielle d’Aulnoye-Aymeries près de Maubeuge. L’observation de la nature l’émerveille et les mathématiques l’amusent déjà beaucoup dans sa petite enfance. Plus tard au collège, il participe aux activités théâtrales, au club photo, monte des spectacles, se passionne pour les jeux de société, les échecs. Gros lecteur, il dévore l’Encyclopædia Universalis dès la 5e. Tout l’intéresse. De la seconde jusqu’au baccalauréat, il étudie au lycée Wallon à Valenciennes. Très sportif, il fait partie de l’équipe de rugby du lycée. C’est aussi un adepte passionné des sorties en haute montagne, randonnées et escalade. Après la terminale, il quitte sa région natale, à laquelle il restera très attaché tout au long de sa vie.

Il entre en 1986 comme pensionnaire au lycée Louis-le-Grand, en Maths sup, avec l’objectif déjà clairement affiché de faire carrière dans la recherche, hésitant entre la physique et les mathématiques, deux matières où il excelle. Durant l’été 1987, il participe aux Olympiades internationales de mathématiques à La Havane. Il montre peu de goût pour la compétition et préfère les longues discussions avec les participants des autres délégations dans les bars cubains.

Étienne entre à l’École normale supérieure en 1988. L’enseignement l’intéresse peu. Il veut devenir chercheur et ne se présente pas au concours de l’agrégation. Ces années passées à l’ENS sont bien remplies sur tous les plans. Il est d’un tempérament joyeux, très expansif, avec beaucoup d’humour et une grande curiosité intellectuelle. Personnalité charismatique, teintée d’un fond de dandysme, il est en même temps un élève très brillant. Il mène une vie sociale, festive et scientifique très riche. Il se passionne pour le cinéma, la littérature, l’opéra, c’est un grand fan de Wagner. Il prend plaisir à parler de mathématiques et à travailler avec ses amis. Le club de rugby joue aussi un grand rôle dans sa vie normalienne. Il obtient son diplôme d’études approfondies en 1990, et commence à préparer sa thèse à l’université Paris 7 sous la direction de Georges Skandalis (1975 s). Il obtient très vite des résultats profonds et originaux dans le domaine des algèbres d’opérateurs et soutient sa thèse en novembre 1993. Il est aussitôt recruté au CNRS et passe seize mois en coopération à l’université de Heidelberg où il rencontre deux mathématiciens qui, avec Georges Skandalis, auront une grande influence sur ses travaux, Joachim Cuntz et surtout Eberhard Kirchberg.

De 1995 à 2000, il occupe un poste de chargé de recherches au CNRS à l’Ins- titut de Mathématiques de Luminy (IML) à Marseille. C’est à Marseille qu’il ressent les premiers symptômes de la maladie qui va s’installer inexorablement et contre laquelle il luttera avec une combativité incroyable, la sclérose en plaques. Il apprend à se servir de la main gauche et suit des cours d’orthophonie. Il continue à produire une œuvre scientifique de très haut niveau, et se montre très actif dans l’organisa- tion de la recherche à l’IML. Il soutient son habilitation à diriger des recherches à l’université Aix-Marseille 2 en juin 2000.

Étienne rejoint l’équipe d’Algèbres d’opérateurs de l’Institut de mathématiques de Jussieu en 2001. Là encore, il se montre très actif malgré la maladie qui s’aggrave. Il dirige cette équipe de 2004 à 2012. Il encadre des travaux d’étudiants, dirige une thèse, co-organise des conférences. Il continue à publier, à participer à des colloques, et développe des collaborations à l’étranger bien que les soins qui lui sont néces- saires restreignent ses possibilités de déplacement. Il conserve sa bonne humeur, son humour, continue à faire des projets, à mener une vie sociale et culturelle presque normale entre les séances de traitement qui le fatiguent beaucoup.

Petit à petit sa santé continue à se dégrader, la fatigue s’installe très vite, mais il persévère. Il supporte difficilement de restreindre ses activités, jusqu’à être obligé de les arrêter. Hospitalisé, sa détresse morale est immense, malgré le soutien de sa famille, de ses amis, de ses collègues. Étienne s’éteint le 10 avril 2018, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, après un combat sans relâche contre la maladie.

Quand j’ai rencontré Étienne pour la première fois en 1991-1992, au séminaire d’algèbres d’opérateurs dirigé par Georges Skandalis à l’annexe du Collège de France, j’ai tout de suite été impressionnée par la vivacité d’esprit et l’humour de ce jeune homme aux chemises bariolées, expansif et très sociable. Il aimait parler de son travail et de ses lectures mathématiques. Nous avons vite sympa- thisé. À cette époque il avait déjà obtenu des résultats remarquables qu’il exposa lors de la conférence Recent advances in Operator Algebras organisée à Orléans en juillet 1992. Tout débutant qu’il était alors, il noua à cette occasion de nombreux contacts avec des chercheurs étrangers et contribua largement à la bonne ambiance de la rencontre.

La thèse d’Étienne, soutenue en 1993, a eu un grand retentissement. Elle a fourni des techniques importantes qui manquaient à cette époque. Elles lui ont permis d’étudier un certain nombre de déformations quantiques et de déformations d’al- gèbres d’opérateurs, les C*-algèbres. Plus tard, il a utilisé et développé ces outils pour s’attaquer à diverses questions sur les champs de C*-algèbres. Travaillant seul ou en collaboration avec de nombreux mathématiciens, il a obtenu de très jolis résultats, notamment sur le très difficile problème de la classification des champs de C*-algèbres simples. Il avait des idées très originales qu’il s’attachait à exposer de la façon la plus élégante et la plus claire possible. Il a joué aussi un rôle important dans notre communauté scientifique, car il avait un sens profond de l’intérêt collectif. Il aimait partager ses idées et faire connaître les avancées majeures dans le domaine des algèbres d’opérateurs, mais aussi plus largement en mathématiques.

Étienne continue à rayonner, par ses contributions scientifiques, et par le magni- fique exemple de courage et d’énergie qu’il nous a montré.

Claire ANANTHARAMAN-DELAROCHE(1962 S)