MARTIN Roland - 1934 l

MARTIN (Roland), né le 15 avril 1912 à Chaux-la-Lotière (Haute-Saône), décédé le 14 janvier 1997 à Fixin (Côte-d’Or). – Promotion de 1934 l.


Tout a été dit sur lui, tant son œuvre est majeure. Cette notice ne vise qu’à ajouter quelques omissions locales, sinon provinciales, en revenant sur les hommages publiés dès 1997 dans la Revue des études grecques (sous la plume du président Gilbert Dagron [1953 l]) et de la Revue archéologique.

Il était fils d’un couple d’instituteurs dans un village franc-comtois, il partit interne et boursier au lycée de Vesoul dès la sixième. Au moment du baccalauréat, il hésita à s’inscrire en série littéraire ou scientifique : la série A’ de la

première partie lui laissa une année de répit avant l’option définitive : ce fut la philo- sophie, mais il avait déjà acquis de solides connaissances en mathématiques et tout particulièrement en géométrie.

Il devint parisien dans l’internat d’Henri-IV, suivit la khâgne d’Alain et fut reçu au concours de 1934, avec d’autres futurs hellénistes, Jacques Tréheux et François Chamoux. Henri-IV comptait seize reçus sur trente de cette promotion, qui réunis- sait entre autres Roger Ikor, Stéphane Piobetta, Jacques Kosciusko-Morizet et Jean Bailhache. Il fut reçu brillamment à la solide agrégation de grammaire, et, avant le concours de l’École française d’Athènes, fit un premier service militaire à Saint- Maixent. En 1939, il devint athénien.

Un article du Bulletin de correspondance hellénique (n°120-1, pages 101 à 126) signé de son épouse Marguerite, intitulé Souvenirs d’une femme de membre (1939- 1945) fourmille de détails sur cette période ; on imagine la jeune Mme Martin franchissant pour la première fois la frontière pour se rendre trois mois à Rome (l’École française étant dirigée par Jacques Ibert) avant de franchir la mer et d’arriver au Pirée en mai 1939 ; après la visite des sites (Delphes sous la conduite de Pierre de La Coste-Messelière et de Pierre Amandry (1933 l) qui venait de découvrir le trésor caché sous une dalle de la Voie Sacrée ; Thasos avec la gazoline pour franchir le bras de mer et quatre heures de mulet depuis la plage de marbre...), il lui fallut compléter ses obligations militaires dans les « États du Levant sous mandat » et une photo- graphie le montre devant les ruines de Baalbek en compagnie de Pierre Amandry, Henri Metzger (1932 l), Henri Seyrig et Ernest Will (1933 l) tous les cinq en un impeccable uniforme orné de plus ou moins de galons. Puis ce furent des semblants de fouilles en Arcadie l’été 1941, avant l’hiver 41-42 et l’horrible famine qui décima les familles de la capitale de la Grèce. Marguerite Martin évoque les souvenirs de cet hiver athénien, dépassant le légendaire siège de Paris l’hiver 1870-1871 : le repas de pois chiches, en entrée, en bifteck et en dessert..., ces enfants morts de faim que l’on inhumait par paquets, et d’autres détails illustrant le mot de Thucydide : « la guerre, maître de violence ». Puis les mois d’inflation, le citron à soixante milliards de drachmes, et enfin le Noël 1944 à Delphes avec le ménage Amandry, puis la guerre civile déchirant la Grèce exsangue entre les factions pro-soviétique et pro- occidentale, dès que l’échec du Reich est patent. Il faut ajouter à ce récit vivant et remarquablement illustré la partie asiatique, sa campagne de fouilles à Claros, sous la direction de Louis Robert (1924 l) alors en charge de l’Institut français d’Istanbul. Il y aura également une part sicilienne aux activités de fouilleur de Roland Martin, à Sélinonte.

En 1946, Roland Martin revient en France occuper une maîtrise de conférences à la faculté des Lettres de Dijon, partageant son service entre l’antiquité et la philo- logie classiques. Cette dualité dure jusqu’à la soutenance de sa thèse Recherches sur l’agora grecque : en 1952 il est titulaire de la chaire d’archéologie, laissant la partie linguistique à Pierre Monteil (1948 l). Il l’occupe jusqu’à sa nomination à l’université de Panthéon-Sorbonne (Paris 1) en 1970 ; mais depuis 1962 il dispose d’une chaire à l’École Pratique des Hautes Études et se partage ainsi entre la Bourgogne et la capitale.

De 1960 à 1966, il est doyen de la faculté des Lettres de Dijon, et, en liaison avec le recteur Marcel Bouchard (1917 l), il organise le transfert de la faculté du vieil hôtel particulier de la rue Chabot-Charny : c’est la montée vers le nouveau campus de Montmuzard, donnant à l’université les moyens d’accueillir massivement les bacheliers, et de les retenir en Bourgogne. C’est un rare exemple de clairvoyance et de lucidité : le nouveau quartier des quatre Facultés, excentré de l’enceinte du castrum, est désormais un centre commode et rationnel pour une université qui cesse d’être confidentielle et rayonne bien au-delà des quatre départements de la région administrative. En 1966, Roland Martin passe le flambeau à Jean Richard, déjà le grand spécialiste des croisades, qui présida alors à l’éclatement de l’ensemble littéraire en trois Unités d’enseignement et de recherche (alors qu’en 1965 la tota- lité des cours hebdomadaires, en lettres, philosophie, histoire, géographie, langues vivantes... tenait sur une seule feuille de format A4).

En 1970, Roland Martin enseigne à l’université de Paris 1, Panthéon-Sorbonne, jusqu’à 1978.

De 1956 à 1969 il dirige la circonscription des antiquités historiques de Bourgogne. Il en était le vice-président dès son installation à Dijon, le président en exercice étant Pierre Quarré, l’inoubliable conservateur en chef du musée des Beaux-Arts. Les Mémoires de la CACO (lire Commission des antiquités de la Côte- d’Or) associent son nom à plusieurs découvertes exceptionnelles : le si fameux cratère de Vix (14 janvier 1953), qui grâce à lui resta en Bourgogne (à Châtillon- sur-Seine dont il est l’argument touristique majeur), et les fouilles rationnelles aux sources de la Seine, qui avaient débuté en 1948 et permirent de découvrir un ensemble unique de 170 sculptures sur bois (trouvaille à laquelle le nom de Simone Deyts doit être associé, voir Revue archéologique de l’Est XIV-1963). Mais sur les sites d’Alésia, de Gissey (dans la vallée de l’Ouche) et des Bolards (près de Nuits- Saint-Georges), Roland Martin donna l’impulsion à des reprises ou à de nouveaux chantiers aboutissant à des résultats particulièrement impressionnants. En parlant des trois ex-voto qu’il avait trouvés aux Bolards (dont l’un émane d’un malade guéri de son ophtalmie par la divinité) il écrivait en mars 1968 : « ces fouilles ressuscitent un passé qui parle au cœur et à l’esprit, et ne peut laisser personne indifférent ». C’est le temps des discussions autour du site de la bataille d’Alésia, et l’on voit Eugène de Saint-Denis le titulaire de la chaire de latin et Roland Martin l’archéologue unir leurs efforts pour emporter la conviction contre les tenants du site de La Chaux-des-Crotenay : leur cours public du 20 février 1957 marque une date, l’extinction de cette polémique.

C’est bien cette force de conviction, mettant en valeur des trouvailles déjà excep- tionnelles, qui lui firent confier des responsabilités au niveau national. Dans le centre historique de Dijon, au temps du chanoine Kir, il savait se battre pour sauve- garder telle échauguette, telle tourelle de ces hôtels particuliers tant convoités par les promoteurs...

Le Centre national de la recherche scientifique en fit très vite (1957) le direc- teur du service d’Architecture Antique. Puis il devint le vice-président du Conseil supérieur de la recherche archéologique. Il trouva le temps de collaborer avec son collègue des Hautes-Études le R.P. André-Jean Festugière (1918 l) pour un riche commentaire archéologique à l’Antiochikos de Libanios.

En 1975, il devint membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres et sur le pommeau de son épée il tint à faire figurer le clocheton de la bibliothèque munici- pale de Dijon. En 1978, il est titulaire de la grande médaille (vermeil) de l’Académie d’Architecture et en 1981, sur la suggestion de Jean Pouilloux (1939 l), il reçoit la médaille d’or du CNRS. L’année précédente, il avait été la cheville ouvrière du Colloque international d’archéologie urbaine, tenu à Tours du 17 au 20 novembre 1980, qui marqua le début de l’obligation de faire précéder tout chantier d’un examen par les services archéologiques régionaux ou départementaux. Le ministère de la Culture et de la Communication (confié alors à Jean-Philippe Lecat, député de Beaune) en fit procéder immédiatement à la publication, à travers laquelle le rôle de Roland Martin apparaît à chaque page. Il faudrait citer son discours d’ouverture (repris pages 15 à 17) qui définit l’archéologie urbaine, montre que l’archiviste et l’archéologue ne peuvent s’ignorer, qu’« une zone archéologique est un prolongement du musée de la ville et son nécessaire complément. La sauvegarde du patrimoine est une conséquence nécessaire de la recherche scientifique. Pourquoi ces préoccu- pations seraient-elles en contradiction avec le développement contemporain de nos villes et les exigences de leur avenir économique ? » Ces propos, tenus dans la ville de Jean Royer, maire exemplaire entre tous, sont assurément précurseurs des Journées du Patrimoine permettant de sensibiliser les habitants des grandes villes déshumani- sées à l’histoire sous-jacente. C’est l’aboutissement des recherches sur l’agora grecque. À ce colloque participaient entre autres François Salviat (1949 l) et Yves de Kisch (1961 l).

1982 est la date douloureuse de l’attaque d’hémiplégie qui l’oblige à se retirer dans la propriété de Fixin, au sud de Dijon, célèbre par le bas-relief de François Rude Napoléon s’éveillant à l’immortalité. C’est l’apprentissage d’un fragile retour à un semblant de vie, avec un courage qui force l’admiration (il faut avoir vu dans les archives du musée de Dijon la signature de la lettre de remerciements au député- maire Robert Poujade (1948 l), après l’inauguration de la donation Roland Martin au musée des Beaux-Arts de la ville, pour comprendre l’effort que lui coûta chaque trait de plume, pour un paraphe qu’il voulait intégralement semblable aux années « d’avant »).

Roland Martin survit à la fois par son œuvre et par sa collection. De l’œuvre tout a été dit, tout survit, et est facilement consultable, puisque dans le recueil paru en 1987 sous les auspices conjoints des Écoles françaises de Rome et d’Athènes, sous le titre Architecture et Urbanisme : aspects historiques et fonctionnels, figurent ses princi- paux articles en même temps que la liste méthodique de ses travaux, à commencer par L’Urbanisme dans la Grèce Antique (Picard 1956, réédité en 1974). Ce travail a été mené à bien par Jean Pouilloux et Georges Vallet (1943 l).

Comment ne pas mentionner l’indispensable Dictionnaire méthodique de l’ar- chitecture grecque et romaine que Roland Martin commença à publier en 1985 (collection de l’École de Rome) ? René Ginouvès (1945 l) écrit dès octobre 1994 de ceux qui l’impulsèrent : « Puisque dès les débuts Roland Martin et Jean Pouilloux ont été écartés par de cruelles maladies de la réalisation de l’ouvrage, il faut souhaiter qu’ils y trouvent un témoignage de reconnaissance, d’admiration et d’amitié » (pour le troisième volume publié en 1998). Martin avait tenu à dicter ces lignes émou- vantes : « des circonstances malheureuses, en m’obligeant à réduire mes activités, m’ont empêché de participer à la préparation du volume. »

Dès les années de guerre, Roland Martin avait constitué une petite collec- tion d’antiquités grecques, qu’il légua à la Ville de Dijon. Des précisions parfois amusantes sont fournies dans l’article déjà cité du Bulletin de correspondance hellé- nique : Marguerite Roland-Martin écrit par exemple page 114 qu’un beau vase à figures géométriques fut échangé contre une paire de chaussures (d’homme) et deux pantalons (un d’homme et un autre de femme). En tout 24 pièces, toutes plus exceptionnelles les unes que les autres, ornaient son Ermitage dans sa campagne dijonnaise, vases à figures géométriques, statuettes de Tanagra, biges, lécythes, aryballes... en provenance aussi bien des Cyclades que du Péloponnèse, de Thèbes comme d’Athènes. Elles avaient été inventoriées avec soin par le couple Martin, qui se décida en fin juillet 1991 à ce legs. Le maire Robert Poujade en comprit évidemment l’intérêt : la petite collection renforçait puissamment les vases grecs parvenus à Dijon au siècle précédent lors de la dispersion des vases Campana. L’année 1992 se passa en tergiversations administratives (là encore, il fallait éviter que ces pièces partent ailleurs qu’en Bourgogne). Le conservateur de l’époque, Emmanuel Starcky, finit par obtenir l’accord de la Réunion des musées nationaux à la séance du 20 octobre 1992, et l’inauguration de la donation Roland Martin put avoir lieu le 15 janvier 1993. Les pièces étaient alors présentées dans l’esca- lier d’honneur du musée des Beaux-Arts ; actuellement elles sont présentées en mélange avec les pièces Campana. Il faut également citer, pour l’aboutissement de ce projet, les efforts de Catherine Gras, conservateur au musée, et de Claude Rolley (1953 l), successeur de Roland Martin à la chaire d’Archéologie de l’université de Bourgogne, après y avoir, comme lui, longtemps partagé son service entre littéra- ture et archéologie grecques. Celui-ci réalisa une série de photographies mettant en valeur chacune des pièces, et apporta son érudition à la précision des descrip- tions. Depuis 1993, diverses campagnes de restauration ont permis aux pièces de la collection Martin de briller d’un éclat encore plus digne de leur donateur.

Roland Martin repose au cimetière de Breurey-lès-Faverney, en Haute-Saône.
 

Patrice CAUDERLIER (1965 l)