DELABOUDINIÈRE Jean-Pierre - 1959 s
DELABOUDINIÈRE (Jean-Pierre), né le 4 juillet 1940 à Saint-Pé-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées), décédé le 14 juin 2016 à Gometz (Essonne). – Promotion de 1959 s.
Les textes ci-dessous sont des hommages prononcés au décès de Jean-Pierre Delaboudinière.
Jean-Pierre Delaboudinière, fondateur, précurseur
Sa thèse commencée au Service d’aéronomie du profes- seur J .-É . Blamont (1948 s) représentait un défi à la fois scientifique et technique : mesurer, avec une exceptionnelle résolution spectrale, le profil de la raie 584 A de l’hélium émise par le Soleil, l’instrument étant embarqué sur une fusée . Après bien des essais, quand la fusée a bien voulu décoller et pointer, Jean- Pierre a pu obtenir le premier profil de la raie solaire grâce à une technique de déconvolution adaptée au mode instrumental .
Jean-Pierre a ensuite été l’investigateur principal de l’instrument solaire à bord du satellite français D2B . JPD a su prendre le meilleur parti d’un satellite spinné pour obtenir des images dans le lointain ultraviolet qui rivalisaient avec celles obtenues par les astronautes de Skylab . Il est à noter qu’à l’occasion de ce projet, Jean-Pierre a mis en route, avec total succès, la philosophie d’étalonnage d’instruments uv avec le rayonnement synchrotron comme source, philosophie aujourd’hui courante . L’instrument a aussi fourni régulièrement des données synoptiques complètement nouvelles sur la couronne solaire, données publiées (sous la forme de courbes de niveaux !) dans Solar Geophysical Data (la « météo de l’espace » utilisait alors l’ar- chive papier !) .
Il est à noter qu’entre-temps, Jean-Pierre, comme d’autres collègues, avait parti- cipé à la fondation du Laboratoire de physique stellaire et planétaire (LPSP) dirigé par Roger-Maurice Bonnet, laboratoire propre du CNRS qui par ses chercheurs, ingénieurs, techniciens et administratifs a constitué l’élément fondateur de l’Institut d’astrophysique spatiale (IAS) .
L’utilisation de l’étalonnage par rayonnement synchrotron a conduit à la construc- tion de la Station d’étalonnage de l’IAS à Orsay, alimentée par DCI et SuperAco . C’est plus d’une dizaine d’instruments spatiaux qui y ont été étalonnés depuis . C’est cette station qui a été le premier poste avancé de l’IAS à Orsay. Après avoir contribué à fonder le LPSP, Jean-Pierre a donc aussi contribué à l’implantation de l’IAS sur le campus d’Orsay .
Pour la mission Esa/Nasa Soho, Jean-Pierre Delaboudinière a proposé un imageur de conception entièrement nouvelle puisqu’il s’agissait d’un télescope à incidence normale travaillant dans des longueurs d’onde extrême ultraviolet (euv) . Son effica- cité et sa sélection spectrale reposent sur l’emploi de multicouches empilées sur les miroirs du télescope .
Ces travaux, menés en collaboration avec l’Institut d’optique d’Orsay, ont conduit à la sélection à bord de Soho de l’instrument EIT (Extreme-ultraviolet Imaging Telescope) . EIT dont Jean-Pierre a été l’investigateur principal a été naturellement étalonné à Orsay .
La technique des multicouches est maintenant couramment utilisée aussi bien sur les missions spatiales solaires en cours (AIA/SDO, Stereo) que futures telles que Solar Orbiter.
Vingt ans après la mise à poste de Soho, EIT, « l’œil de Soho » a fourni une vue continue de la chromosphère et de la couronne solaire dans quatre longueurs d’onde euv et a permis ainsi d’établir aussi bien les propriétés globales du Soleil dans des périodes de minimum puis de maximum solaire que d’enregistrer des phénomènes aussi éphémères que des éruptions ou des éjections de masse coronale . Il a ouvert la voie à une détection précoce et une compréhension profonde de ces derniers événe- ments dont on connaît les effets perturbateurs quand ils frappent le Terre .
De ce point de vue, depuis D2B jusqu’à Soho, Jean-Pierre Delaboudinière a aussi été un des pionniers de la météorologie de l’Espace .
Jean-Claude VIAL, 21 juin 2016
Institut d’astrophysique spatiale (CNRS)
Boudine par « RMB » (22 juin 2016)
Jean-Pierre Delaboudinière, « Boudine » pour ses collègues et ses amis – c’était d’ailleurs souvent les mêmes – s’est éteint le 14 juin 2016 . Il allait avoir 76 ans le 4 juillet suivant . Il est né à Saint-Pé-de-Bigorre dans les Hautes-Pyrénées, en pleine guerre, là où ses parents instituteurs s’étaient réfugiés . À l’école de la République et au lycée il s’avère brillant élève . À 16 ans, en classe de première il est lauréat du concours général et obtient le premier prix ex aequo en mathématiques, recon- naissance nationale de très haut niveau . Dès sa première tentative, réussite assez exceptionnelle, il intègre l’École normale supérieure de la rue d’Ulm à Paris en octobre 1959 à l’âge de 19 ans et obtiendra sa licence à la faculté des Sciences de Paris moins de deux ans après . Il rejoint alors le service d’Aéronomie dirigé par Jacques Émile Blamont (1948 s) afin d’obtenir un diplôme d’études supérieures, intitulé requis pour présenter l’agrégation de physique qu’il présentera en février 1963 et lui permettra de devenir agrégé de physique cinq mois plus tard . Il avait juste 23 ans ! Son travail de recherche, Observation sur un jet de résonance optique de la raie à 304 Angströms de l’hélium ionisé, déterminant pour la suite de sa carrière, montra que la raie à 58 .4 nm de l’hélium neutre était en fait mieux adaptée à de futures observa- tions spatiales .
Formé à l’école d’Alfred Kastler et de J .-E . Blamont, Delaboudinière, du stade d’étudiant devint expérimentateur, et son domaine quotidien le laboratoire . Ses amis d’alors tels Jean-François Crifo, normalien lui aussi (1958 s), entré au service d’Aéronomie également en 1962, et moi-même ne pourront jamais oublier ce petit homme frêle et mince, tantôt barbu tantôt pas, sifflotant à longueur de temps des airs vaguement reconnaissables du répertoire classique, autour et au-dessus de montages optiques complexes installés dans les cuves à vide indispensables pour l’étude du rayonnement ultraviolet lointain totalement absorbé par l’atmosphère . Delaboudinière s’avère déjà expérimentateur de talent . Jacques Blamont ne le présente-t-il pas à ses disciples comme le plus intelligent de ses chercheurs, compliment suprême venant de sa part, mais puisque c’était vrai, personne n’en était jaloux . Ce compliment se fit cependant plus rare après qu’un soir de 1962 « Boudine », ayant omis de fermer le circuit de refroidissement de sa pompe à vide, eut généreu- sement inondé le laboratoire situé alors dans des locaux vétustes de l’Observatoire de Meudon, à la consternation de ses collègues voisins . L’incident serait peut-être rentré dans l’oubli et le pardon si quelques semaines plus tard, alors que le service d’Aéronomie venait de déménager dans les locaux tout neufs du Réduit de Verrières, le même scénario ne s’était répété, premier signe qu’une mauvaise étoile veillait sur lui mais que le succès du satellite Soho allait heureusement faire disparaître quelque 33 ans plus tard .
L’application des techniques qu’il mit au point pour son diplôme à l’étude de l’atmosphère terrestre et du Soleil allaient aboutir au démarrage d’un programme ambitieux de spectroscopie à haute résolution des émissions de la raie de résonance de l’hélium neutre à 58 .4 nm par modulation de pression de cellules à absorption embarquées à bord de fusées sondes et de satellites et dont la responsabilité lui fut confiée . La mise au point des cellules, en soi un exploit expérimental peu commun puisque les cellules à résonance ne peuvent tenir la pression interne et analyser le rayonnement externe qu’elles aident à étudier qu’au moyen de couches métalliques à la fois minces pour transmettre la lumière ultraviolette et étanches pour empêcher les fuites de l’hélium allaient lui offrir l’occasion de montrer ses capacités uniques d’expérimentateur spatial .
Sa première fusée, un Dragon III, capable d’atteindre une altitude de 500 km, fut lancée le 14 février 1968 du Centre d’essais des Landes à Biscarrosse . Hélas, la coiffe étanche de la fusée se détacha dès la 12e seconde de vol, à environ 20 km d’altitude et le frottement de l’atmosphère résiduelle détruisit l’expérience en moins de 2 secondes . Le modèle de rechange placé sur une seconde fusée Dragon III lancée à partir de Kourou en mars 1969, fut victime du même dysfonctionnement . Les événements de Mai 68 et la création en janvier 1969 du LPSP que « Boudine » rejoint comme plusieurs de ses collègues lui permirent cependant de poursuivre sa recherche . Aidé alors par J .-F . Crifo, après un total de cinq tentatives, il vit ses efforts récompensés le 21 janvier 1975, grâce au vol enfin réussi d’une fusée Black Brant de la Nasa . Les résultats obtenus alors lui permirent de présenter une thèse au titre impressionnant : Contribution à l’étude du profil spectral de la raie 584 Å de l’hélium neutre émise dans des milieux d’intérêt astrophysique à l’aide d’une cellule à résonance, soutenue le 28 octobre 1981, soit 20 ans après son entrée au service d’Aéronomie .
Ses travaux trouvèrent des applications immédiates à l’étude de l’irradiance solaire dans l’Extrême UV (EUV) à bord du satellite français D-2B-Aura lancé de Guyane en 1975 par la Dernière fusée Diamant du Centre national d’études spatiales, puis de l’expérience IPHIR à bord des deux sondes soviétiques Phobos lancées de Baïkonour en 1988 . Ils devinrent une référence historique avec le développement du télescope EIT (Extrême ultraviolet Imaging Telescope) embarqué sur le satellite Soho déve- loppé par l’Esa et la Nasa, et dont il fut l’inspirateur et le principal investigateur en étroite collaboration avec le Centre spatial de Liège et l’Observatoire royal de Belgique . Les images spectaculaires d’EIT sont aujourd’hui historiques et le symbole de la réussite de Soho . Elles offrent une clé unique pour étudier les couches chaudes de notre étoile, de leurs structures magnétiques, de leur dynamique ainsi que les sources du vent solaire et des éjections de masse coronale (CME) . Leurs fenêtres spectrales servent aujourd’hui de référence pour la surveillance et la météorologie solaire dans l’EUV.
Les trois lettres E, I, T resteront à jamais associées à Boudine . La lignée des travaux et des développements qu’il a initiés est particulièrement impressionnante puisque les successeurs de Soho, toujours opérationnel plus de 20 ans après son lancement, les satellites Stereo, SDO, Proba2, Solar Orbiter, etc, embarquent tous des versions améliorées d’EIT, devenu symbole historique et médiatique de l’imagerie solaire à partir de l’espace pour l’étude des couches externes les plus chaudes de notre étoile.
Expérimentateur surdoué, Boudine a profondément influencé tous ceux qui ont eu la chance travailler avec lui . Brillant, stimulant et logique tout à la fois, cet expéri- mentateur d’immense talent, a ouvert les yeux et de nombreuses portes, à beaucoup de ses collaborateurs et des chercheurs du laboratoire, tant en France qu’à l’étranger . À tous, collègues, chercheurs et techniciens, il a laissé le souvenir d’une extraor- dinaire aventure vécue à son école . Tous se rappelleront sa personnalité hors du commun, son esprit fort, original et iconoclaste . Les idées qu’il se plaisait à présenter de manière provocatrice, déroutaient ses détracteurs, mais toujours extrêmement pertinentes, elles illuminaient ceux qui prenaient la peine de les comprendre .
Il manquera surtout à ses amis pour ses qualités humaines et sa simplicité . Homme de gauche aux idées généreuses, en révolte permanente contre les injustices et le mépris des êtres, il n’économisait ni son temps ni ses forces pour soutenir avec ses collègues et ses camarades les causes qu’il savait être justes . D’une curiosité sans limites pour toutes les choses du Monde, il aimait à défier à ski les pistes noires . Il voguait sur les mers démontées avec ses collègues, obtenait son brevet de pilote et s’essayait à l’équitation, toujours à la limite de l’imprudence et parfois au prix de sa personne . Cinéphile averti, mélomane subtil, grand amateur de littérature anglaise et de livres de fiction aux intrigues complexes dans lesquelles il se projetait volon- tiers, Boudine était avant tout un être humain sensible dont la joie de vivre était communicative . Il restera longtemps pour moi et pour tous ceux qui l’ont connu, ce petit homme au sifflement lancinant que depuis tant d’années ma mémoire ne peut oublier . Il a laissé son nom à l’astéroïde de la ceinture principale, découvert le 5 octobre 1999 à l’observatoire de Goodricke-Pigott par l’astronome américain Roy A . Tucker, à l’orbite de 2,96 UA de demi-grand axe avec une excentricité de 0,11, inclinée de 2,5° par rapport à l’écliptique . Souhaitons que l’astéroïde Delaboudinière soit un jour prochain choisi par l’Esa pour y faire atterrir un de ses robots .
Roger-Maurice BORNET
Membre de l’Académie internationale d’astrophysique
Un colloque avait été organisé en 2005 pour célébrer la carrière de « Boudine » : les présentations sont disponibles en ligne : https://www.ias.u-psud.fr/boudine-days/
Hommage de ses concitoyens de Gometz
Un discret habitant de Gometz nous a quitté au mois de juin 2016 . Jean-Pierre Delaboudinière, appelé « Boudine » par ses amis scientifiques, était un spécialiste de l’observation du soleil et un grand expérimentateur . Il a notamment conçu un téléscope, embarqué sur la sonde spatiale Soho, positionnée entre la Terre et le Soleil . La caméra de ce téléscope nous transmet depuis plus de 20 ans de remarquables images du Soleil, qui ont révolutionné les connaissances de notre étoile . « Boudine » repose maintenant au columbarium du cimetière de l’église de Gometz . Mais sa mémoire est aussi dans l’espace : un astéroïde de notre système solaire porte son nom : Delaboudinière .
Avec l’autorisation de Mme Claude PETHE