DEPUSSÉ Marie - 1956 L

DEPUSSÉ (Marie), née le 31 décembre 1935 à Paris, décédée le 15 août 2017 à Blois (Loir-et-Cher).– Promotion de 1956 L.


Marie Depussé, maître de conférences honoraire de litté- rature française à l’université Denis-Diderot (Paris-VII), est l’une des fondatrices de l’Unité de Formation et de Recherche STD (Science des Textes et Documents) aujourd’hui LAC (Lettres, Arts et Cinéma) . Elle a enseigné dans notre université à tous les niveaux, de la formation permanente et de l’enseignement dans les prisons jusqu’au doctorat . Elle avait été élève de l’ENS de Sèvres, puis assistante à la Sorbonne de Marie-Jeanne Durry, une patronne de jadis, qui savait reconnaître les talents, l’originalité, et auprès de laquelle elle avait commencé une thèse sur « La bêtise chez Flaubert » . Boulevard Jourdan, cependant, elle s’était fort ennuyée, n’ayant, selon ses propres dires, intégré que pour faire plaisir à ses parents et n’ayant rien appris qui pût lui servir . Du moins avait-elle rencontré en khâgne à Lakanal des camarades qui devinrent des amis de toujours, et parmi eux Pierre Pachet, par la suite écrivain et penseur de renom . Elle noua en outre à l’École une étroite et longue amitié avec la philosophe Monique Dixsaut (1954 L) et la traductrice de Dante Jacqueline Risset (1955 L) . Elle avait en revanche conservé un très bon souvenir de l’université (noire) de Washington, Howard, où elle avait choisi d’enseigner après l’agrégation de lettres classiques, et où sa manière de commenter la Bible, qu’elle connaissait moins bien que ses étudiants, avait, disait-elle, réjoui ceux-ci . Elle traduisit d’ailleurs, des décennies plus tard, certains Psaumes pour la Bible des écrivains, chez Bayard .

À son retour, elle fit construire un abri, une « cabane » en bordure de la clinique psychiatrique, alors célèbre parmi les psychanalystes et les philosophes, de La Borde (en Loir-et-Cher) . C’est là qu’elle « posa enfin ses valises » comme elle l’écrit dans un très beau récit, sans doute son meilleur livre : Dieu gît dans les détails, dédié à Jean Oury et Félix Guattari . Elle trouva là son asile . Puis ce fut la Sorbonne .

Il y avait en elle quelque chose qui passait l’ordinaire, et les événements extra- ordinaires n’étaient pas faits pour la déconcerter . Déjà, à son arrivée à l’Institut de français de la Sorbonne en 1966, son allure de grande et belle femme méditerra- néenne, les cheveux teints au henné, des bracelets tintinnabulant autour des bras avaient réduit pendant un long moment au silence un professeur en train de lire, devant des assistants hagards, son programme de l’année .

En 1968, elle fut de toutes les manifestations, assemblées générales, occupations (de la Sorbonne, de Censier...), rompit avec sa « patronne » et contribua peu à près avec Pierre Albouy, Jean-Yves Pouilloux (1961 l) et quelques autres dont j’étais, à créer l’université Paris-VII et son UFR de lettres, STD . Elle en fera récit dans Qu’est-ce qu’on garde ? où elle évoque ainsi ce passage, cet exode : « Quitter la Sorbonne pour Jussieu, ce n’était pas seulement pouvoir parler de Lacan, de Barthes, de Blanchot, marcher en somme sous le ciel de notre temps . C’était – ajoute-t-elle – travailler à l’ESEU [nom donné alors à l’examen d’entrée à l’Université pour les non-bacheliers] ; cet enseigne- ment au seuil de l’impossible, parfois désespéré . C’était voir ces figures ombreuses émerger de leur vie et trouver leur tempo, leurs pas, s’autoriser à parler, à écrire, on ne savait quand... Et cet enseignement se donnait aussi en prison . » On trouvera dans cet écrit des exemples de sa manière originale de travailler les textes littéraires : pour elle, une page, un vers, un démonstratif parfois suffisaient à donner le la d’une œuvre qui était alors reliée à une pléiade d’auteurs bien à elle, de Flaubert à Blanchot, de Virginia Woolf à Beckett . Il en ressortait un chant mélancolique, doux et poignant, féminin peut-être, qui n’était pas sans évoquer les Sirènes d’Ulysse . Qu’on s’y reporte .

Quand elle prit sa retraite, les choses avaient beaucoup changé, et plusieurs avaient retrouvé leur train-train de jadis . L’enseignement en prison cependant demeurait, selon elle, celui qu’il fallait faire à tout prix . Elle partit donc sans chagrin, mais continua à animer un séminaire à La Borde . Elle devint même, pour un temps, psychanalyste, elle qui avait été si longtemps en cure avec Lacan . On la trouvera ou retrouvera dans ses livres, presque tous publiés chez Pol, à l’exception du Beckett corps à corps paru chez Hermann, ou dans les quelques films qui lui ont été consacrés, tournés devant sa « cabane », ou encore dans le documentaire de Nicolas Philibert La moindre des choses. Quelques interviews aussi sur Internet . Mais elle reste peut-être la plus vivante dans cet éloge d’une étudiante d’autrefois : « Grâce à Paris-VII, grâce à elle, ma vie a été changée . »

Marie est morte près de la clinique de La Borde, où elle avait cette cabane si poétiquement évoquée dans ses livres et jusque dans son Beckett. C’est là qu’elle aura écrit une grande partie de son œuvre, et donné, à sa retraite, son dernier séminaire . Elle y aura joué, comme elle l’a si bien fait ailleurs, la fonction essentielle, quoique inapparente, de bord du bord .

André LACAUX (1955 l)