LAMY Marcel - 1952 l
LAMY (Marcel, Pierre), né le 10 septembre 1930 à Saint-Marcel (Indre), décédé le 11 octobre 2017 à Montigny-le-Bretonneux (Yvelines). – Promotion de 1952 l1.
C’est au sud-ouest du Berry que Marcel Lamy vit le jour en 1930, dans la bourgade de Saint-Marcel . Sa famille y était enracinée depuis des générations . On est là dans cette petite région naturelle que l’on appelle le Boischaut Sud, où la vigne est attestée depuis l’époque romaine . Ainsi les Lamy étaient vignerons, comme les Soudrain, les Verdy et autres aïeux de notre ami . Si ce dernier ne vécut jamais à demeure à Saint-Marcel, il ne cessa, durant des décennies, d’y retourner et l’on peut vraiment dire que son enfance baigna dans un milieu populaire et rural, encore si riche, à l’époque, de gestes, d’in- tonations, de toute une culture transmise de génération en génération . Bien plus tard, Marcel Lamy décidera de rédiger un singulier dictionnaire du pitolat, le patois de sa commune natale . Aujourd’hui propriété des archives départementales de l’Indre, ce dictionnaire est un magnifique document dont les historiens et ethnologues tireront certainement grand profit . Agrémenté de dessins, nourri de précisions phonétiques, il dit mieux que tout commentaire l’attachement que Marcel Lamy a porté toute sa vie à la terre de ses origines2 .
Son enfance et sa jeunesse, c’est à Bourges, cependant, qu’il les passa . C’est en effet dans la préfecture du Cher, à une centaine de kilomètres de Saint-Marcel, que s’étaient installés ses parents après que son père fut entré « aux chemins de fer », ainsi que l’on disait à cette époque où la multiplicité des compagnies ferroviaires rendait fastidieuse leur désignation précise . Marcel Lamy était fils unique . Au lycée Alain-Fournier il s’affirma tout de suite comme un très bon élève . Ses matières de prédilection étaient alors les sciences, à tel point qu’il se rêva un temps en médecin . Il affectionnait aussi le dessin . Et lisait beaucoup, déjà . Comme pour de nombreux jeunes gens, l’année de la classe terminale fut pour lui décisive . Ni plus ni moins, elle décida de tout le cours ultérieur de sa vie . En cause, la rencontre qu’il fit de Pierre Kaufmann (1936 l), son professeur de philosophie, bientôt universitaire . Le choc fut grand . À la date du 6 octobre 1947, le jeune Lamy notait dans son journal intime : « Je suis décidément jeté dans la philosophie3 . » Mais Kaufmann fit plus : sûr des capacités de Marcel, il convainquit ses parents de le laisser préparer l’École normale, dont il était lui-même sorti, et, à cette fin, lui fit obtenir une bourse .
On ne sait si son arrivée dans l’hypokhâgne de Louis-le-Grand impressionna le jeune Lamy comme elle avait marqué le jeune Le Lannou (1928 l) vingt-cinq ans plus tôt4 . Ce qui n’est pas douteux, en revanche, c’est qu’il se jeta à corps perdu dans le travail . Il avait, il est vrai, à rattraper un certain retard sur ses meilleurs condisciples, tout particulièrement en grec . Cette année et les suivantes, il eut pour professeurs de philosophie Henri Dreyfus-Le Foyer (1919 l), Maurice M . L . Savin et Étienne Borne (1926 l), qui laissa sur lui une empreinte durable . Recalé en 1950 et 1951, il ne désarma pas, redoubla d’efforts et fut reçu au concours de 1952, qu’il avait présenté comme angliciste, 4e sur 33 . Ce furent alors ses années normaliennes et aussi celles de sa spécialisation définitive en philosophie . Années riches et formatrices, qu’il aimera à évoquer toute sa vie durant . L’École normale de ce temps comptait des philosophes d’exception, en particulier Michel Foucault (1946 l), qui le marqua profondément . Une autre sommité, Gaston Bachelard, alors au faîte de sa gloire académique, dirigea son mémoire de DES, intitulé La Biologie romantique et soutenu en 1955 . Ses études de philosophie permirent à Marcel Lamy de conserver le contact avec les sciences, sa première passion intellectuelle, ce qui n’était pas pour lui déplaire . La présentation du concours de l’agrégation, notamment, commandait en ce temps-là de produire un certificat obtenu dans une faculté des sciences . Ce fut, dans son cas, un certificat de biologie et l’occasion de suivre l’enseignement du grand zoologue Pierre-Paul Grassé : autre influence féconde . Marcel Lamy fut reçu à l’agrégation en 1956, 11e sur 23 .
Son intégration dans le corps des professeurs agrégés marqua, si l’on veut, la fin de sa période de formation . Quelques semaines plus tard, un autre événement acheva de le projeter dans une nouvelle étape de sa vie : son mariage avec Marie-Thérèse Boucher, berrichonne comme lui et étudiante en anglais à la Sorbonne.
La carrière de Marcel Lamy démarra alors que la guerre d’Algérie battait déjà son plein . Passé quelques mois au lycée climatique de Gérardmer, précisément en janvier 1957, il dut ainsi rejoindre le contingent stationné sur l’autre rive de la Méditerranée, qui ne cessait d’enfler par suite du cours des « événements » . Des quinze mois qu’il passa sur place, de sa confrontation personnelle avec la guerre, il parlera très peu par la suite, à l’instar de tous ces appelés qui furent brutalement plongés dans la four- naise algérienne et qui en revinrent marqués pour la vie . Du moins, il tira de cette expérience un intérêt qui ne le quitta jamais pour l’histoire militaire, tout particuliè- rement pour l’histoire de la Première Guerre mondiale, ainsi que pour la philosophie politique . On peut avancer que son goût, mieux, sa passion pour Machiavel, qu’il ne cessa de lire et de relire ensuite, et auquel il consacra un article important5, ont germé sous le soleil de Cherchell bien plutôt que dans la cour aux Ernest .
Marcel Lamy revint en France au printemps 1958 . D’abord nommé au lycée de Laval, il fut rapidement affecté à Rennes, au lycée de l’avenue Janvier, le lycée histo- rique de la ville, créé sous l’Empire et que l’on venait de baptiser lycée Chateaubriand . C’est dans cet établissement, qui se scindera en deux et dont une partie migrera au nord-est de la ville au cours des années 1960, que Marcel Lamy fera toute sa carrière . Il quitta assez vite le second degré : dès son arrivée on lui avait confié une hypo- khâgne ; en 1964, il fut nommé en khâgne, avant d’être appelé, en 1969, à effectuer l’ensemble de son service en classes préparatoires . Dès lors, sa vie fut essentiellement tournée vers ses cours, au premier chef les cours de préparation aux concours des quatre puis des deux Écoles normales supérieures littéraires (après la fusion d’Ulm et de Sèvres, de Saint-Cloud et de Fontenay-aux-Roses), mais aussi le cours dit de « lettres-philo » des taupins, qui échoyait traditionnellement à un professeur de lettres ou de philosophie . Ce furent des années de grand labeur, dont ses enfants se souviennent bien : tôt levé, tard couché, ignorant les week-ends et ne s’accordant que de brefs moments l’été, Marcel Lamy se consacra sans retenue à son travail de professeur . Sans doute dut-il consentir à quelques renoncements, ainsi à cette thèse de doctorat sur la philosophie de Bergson qu’il avait un temps projeté de réaliser, mais cette vie tout entière consacrée à ses cours le combla .
Dans la salle de classe, Marcel Lamy, s’il était toujours bienveillant, n’était pas expansif, non du tout qu’il fût hostile à la discussion, tout au contraire, simplement en raison de son tempérament . Mais aussi, encore une fois, sa tâche consistait à préparer ses élèves aux concours, ce qui, évidemment, imposait de ne pas lambiner . Ses cours n’en étaient pas moins remarquables, comme peuvent en témoigner les deux signataires de cette notice nécrologique, qui furent, l’un et l’autre, ses khâgneux à un quart de siècle de distance . Ce qui frappait quand on l’écoutait, c’étaient la force de la pensée et la précision du langage, mais mêlées, unies véritablement dans le raisonnement qui se déployait . Indéniablement, assister au cours de philosophie de Marcel Lamy, c’était faire l’apprentissage de la rigueur intellectuelle, bien précieux s’il en est, qui, s’il est bien reçu, fructifie toute la vie durant . Tout cela avec ou plutôt dans ce que Robert Uriac a appelé un certain style, assis sur trois partis fondamen- taux : le souhait de toujours aller aux textes philosophiques eux-mêmes ; la volonté de toujours chercher à retrouver l’intention philosophique qui a motivé chacun de ces textes, où l’on voit, si l’on s’y emploie, la pensée advenir en même temps qu’elle se formule ; enfin, le constant souci de confronter ces textes entre eux, afin de saisir, jusqu’à aujourd’hui, les problèmes philosophiques dans la longue durée de leur formulation et de leur reformulation6 . En ce sens, il n’est pas exagéré de dire qu’à l’instar de tous les cours de haute volée, ceux de Marcel Lamy se muèrent au fil du temps en une véritable entreprise de création, personnelle et originale . C’est la raison pour laquelle la décision fut prise, après sa mort, de les confier aux archives dépar- tementales d’Ille-et-Vilaine . Ils y forment aujourd’hui l’essentiel du fonds Marcel Lamy et sont consultables par tous7 .
Quelque prenante que fût sa charge professorale, Marcel Lamy parvint encore à donner du temps à son métier au-delà de ses attributions statutaires . Ainsi fut-il durant de nombreuses années membre du jury du Capes et de l’agrégation de philosophie, et astreint, lorsqu’il faisait partie d’un jury d’oral, à de longs séjours parisiens qui lui rappelaient ses années passées à l’« École », comme il disait . Il assura de nombreux cours à l’UFR de philosophie de l’université Rennes 1 et s’impliqua dans les dispositifs de formation continue mis en place à l’intention des professeurs du second degré . Il présida pendant plusieurs années aux destinées de l’association régionale des professeurs de philosophie de l’enseignement public, une arène dans laquelle il eut spécialement à cœur de défendre l’intégrité de la discipline philo- sophique, à l’heure où les sciences humaines triomphantes tendaient à la menacer jusque dans la conception des programmes d’enseignement . Enfin, il se fit militant syndical et, à la fin des années 1960, assuma même les fonctions de secrétaire dépar- temental du SGEN Ille-et-Vilaine .
Marcel Lamy fit valoir ses droits à la retraite en 1995 . Mais il continua à travailler, beaucoup, ce qui, pour lui, signifiait d’abord et avant tout lire, relire et relire encore, inlassablement, les textes de la grande tradition philosophique . Sa tâche fut en quelque sorte stimulée par les conférences que prit l’habitude de lui commander le Cercle de réflexion universitaire du lycée Chateaubriand . Le « CRU de Chatô », comme on abrège parfois son nom, était né au cours des années 1990 . L’essentiel de son activité consista vite à organiser un cycle annuel de conférences en rapport avec les questions figurant au programme des différents concours – littéraires, scienti- fiques etc . – préparés au sein de l’établissement . Dès lors, Marcel Lamy devint le plus zélé conférencier du CRU . Ces conférences lui plurent énormément, et parce qu’elles lui fournirent l’occasion de retrouver le contact des élèves, et parce qu’elles lui servirent à structurer son travail de lecture . D’autant qu’à la différence de toutes ces années au cours desquelles il avait été comme lié à des programmes, il avait désor- mais toute latitude pour choisir les textes qu’il se proposait d’analyser oralement . Ses préférences en ressortirent plus nettement : toute sa passion pour Aristote éclata au grand jour, mais aussi sa fascination pour Machiavel et Bergson, déjà évoqués, ou bien, encore, pour Pascal . Par chance, les textes de ces conférences ont été conservés . Une petite équipe de fidèles les a rassemblés ; ajoutés à quelques autres, ils forment la matière d’un livre paru aux Presses universitaires de Rennes en 20198 . Comme beau- coup de retraités, Marcel Lamy s’employa à combiner engagement social et quête du bonheur privé . L’engagement social, ce furent les nombreuses heures qu’il donna aux Restos du cœur et à l’association SOS voyageurs . Pour les Restos, il se chargeait, tôt le matin, de faire le tour des boulangeries de Rennes afin d’y collecter le pain invendu . Pour SOS voyageurs, il sillonnait la gare, muni de son brassard, afin de venir en aide aux personnes en difficulté . Sorte de retour aux sources pour celui qui avait passé sa jeunesse tout à côté de la gare de Bourges . Le bonheur privé, ce fut, d’abord et avant tout, celui que lui procura sa famille : son épouse, ses deux filles, Catherine et Claire, ses quatre petits-enfants, son arrière-petite-fille . L’âge venant, il multiplia ses séjours à Montigny-le-Bretonneux, où vivait Catherine, jusqu’à y être installé à demeure, dans un établissement spécialisé, lorsqu’il ne lui fut plus possible de continuer à vivre seul en sa maison rennaise de la rue Charles-Müller . C’est là qu’il s’éteignit en 2017 . Il faut encore dire que notre ami fut un catholique fervent . Il parlait peu de sa foi . Il est vrai qu’on est peut-être là au plus intime . En tout cas, on devinait chez lui un engagement spirituel très profond, qui infusait comme silen- cieusement toute sa vie, et qui l’aida, sans nul doute, à supporter la disparition de Marie-Thérèse en 2007 .
Peu d’hommes ont donné autant de leur temps à la discipline philosophique, peu d’hommes ont passé autant de temps à lire les philosophes au cours de leur vie . À l’âge de dix-sept ans, sur le point de quitter le lycée Alain-Fournier pour le lycée Louis-le-Grand, Marcel Lamy confiait ainsi ses doutes à son journal intime : « Ai-je au moins l’étoffe d’un bon philosophe ou ne resterai-je qu’un obscur professeur dans un petit lycée de province ?9 » Sa vie entière a répondu pour lui : si discret fût-il, Marcel Lamy aura été un grand, un lumineux professeur10 .
Jean LE BIHAN,
Robert URIAC
Les cours avaient lieu dans une petite salle du lycée Chateaubriand de Rennes . Nous étions une douzaine, peut-être une quinzaine, disposés en U, dans cette option « Ulm-Sèvres » de la khâgne . Monsieur Lamy arrivait et posait un cartable assez léger sur le bureau . Il en sortait les photocopies, extraits de textes sur lesquels allait porter le cours . Nous lisions les auteurs . Les uns après les autres, dans l’ordre chronologique, de Parménide à nos jours . Le cours commentait les textes que nous avions sous les yeux, avec clarté, concision, presque sans notes . Les concepts impor- tants étaient écrits au tableau de cette écriture petite et très précisément formée que nous retrouvions, en rouge, sur nos copies . Nous étions fortement invités à aller chercher le livre d’où ils étaient tirés . Il parlait à mi-voix, – ce qui obligeait à la plus grande attention –, d’une façon simple, limpide . Peu d’échanges : nous écrivions et nous apprenions .
Nous sommes aujourd’hui écrasés par des évaluations de toutes sortes visant à mesurer le « rayonnement » d’un enseignant ou par des suggestions pédagogiques nous invitant à « mettre l’élève au cœur de l’apprentissage »... Monsieur Lamy balaie tout cela avec évidence, restant lui-même fidèle à la très ancienne tradition du commentaire de textes philosophiques . Pour ma part, et je suis sûre de ne pas être la seule, je ne compte pas le nombre de cours que j’ai donnés sur La Poétique d’Aristote, le Théétète de Platon ou le Livre XI des Confessions d’Augustin, pour ne prendre que quelques exemples..., cours délivrés directement à partir de mes notes, restitution que j’espère à peu près juste, transmission non pas d’un maître, parce qu’il ne cher- chait pas à entrer en contact personnel avec nous, mais d’une exigence de précision et d’une clarté de pensée qui marquent à vie .
Que ce petit mot soit aussi pour moi l’occasion de rendre hommage à d’autres professeurs collègues de monsieur Lamy au lycée Chateaubriand de Rennes et de les remercier . Ils continuent de m’accompagner .
Violaine ANGER (1983 L)
On peut retrouver la recension du livre de Marcel Lamy : Moments de philosophie : lectures, notions, méthode . dans l’Archicube n° 27, sous la plume de Jean Hartweg (1966 l).
Notes
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1 . Remerciements à Catherine et Claire Lamy ainsi qu’à Pierre Campion pour leur relecture .
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2 . Aux archives départementales de l’Indre, la cote de ce manuscrit est F 2116 . On peut le consulter en ligne : http://www.archives36.fr/r/443/dictionnaire-du-patois-de-saint-marcel/ .
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3 . « Au vent des routes », journal manuscrit de Marcel Lamy (1947-1948) (coll . C . Lamy) .
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4 . Maurice Le Lannou, Un bleu de Bretagne, Paris, Hachette, 1979, p . 175-176 .
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5 . Marcel Lamy, « Machiavel : morale et politique », Revue de l’enseignement philosophique, avril-mai 1980, p . 18-33 .
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6 . Robert Uriac, « Introduction . Marcel Lamy, professeur de philosophie », dans Marcel Lamy, Moments de philosophie. Lectures, notions, méthode, textes édités par Pierre Campion, Pierre-Henry Frangne, Jacqueline Lagrée, Jean Le Bihan et Robert Uriac, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019, p . 7-13 .
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7 . Archives départementales d’Ille-et-Vilaine 286 J – Fonds Marcel-Lamy . Les cours à propre- ment parler sont cotés 286 J 4-45 .
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8 . Marcel Lamy, Moments de philosophie..., op. cit.
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9 . « Au vent des routes », op. cit., 29 juin 1948 (coll . C . Lamy) .
10. Pascal Simon, « Marcel Lamy, discret et grand professeur », Ouest-France, 4 décembre 2017 .