DANCHIN Laurent - 1965 l
DANCHIN (Laurent), né le 1er octobre 1946 à Besançon (Doubs), décédé à Paris le 10 janvier 2017. – Promotion de 1965 l.
J’ai rencontré Laurent pour la première fois en 1992 lors d’une réunion qui se tenait à Héricy (Seine-et-Marne), dans la demeure du docteur Ferdière, décédé deux ans aupara- vant . Nous étions cinq ou six, parmi nous Anne, la fille et Alain, le fils de Gaston Ferdière et un homme jeune, une mèche de cheveux tombant sur le coin de son œil gauche . Anne fit les présentations : Laurent et moi nous nous serrâmes chaleureusement la main . Quelques moments plus tard, il fut question d’archives, des archives qu’avait laissées à son décès le docteur Gaston Ferdière : importantes et, disait-on, quelque peu en désordre . Répondant à la demande de la famille, Laurent et moi acceptions de nous en occuper .
Un article que Laurent Danchin avait publié quelques années plus tôt sur son ami Chomo, sculpteur solitaire de la forêt de Fontainebleau, avait mis sur sa route le psychiatre, grand amateur de créations « hors normes », collectionneur passionné d’art brut, Gaston Ferdière .
De mon côté, j’avais connu Gaston Ferdière lors de la publication de mon premier livre1 en 1974, dans lequel je parlais d’Antonin Artaud, lors de son séjour très difficile à l’hôpital psychiatrique de Ville-Évrard avant qu’il ne soit transféré à celui de Rodez où le psychiatre Ferdière était médecin-directeur .
Laurent Danchin, ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de lettres modernes, professeur au lycée de Nanterre, éminent spécialiste de l’art brut, écrivain, commissaire d’expositions... et moi-même, infirmier psychiatrique à la retraite, écri- vain, nous allions former à nous deux une équipe, au dire de Laurent, rare .
Après cette première rencontre, nous nous sommes retrouvés de nombreuses fois à Héricy, à fréquence variable . Animés du réel désir de découvrir et toujours avec enthousiasme, nous nous sommes plongés côte à côte dans la vie intellectuelle et professionnelle de ce personnage hors du commun qu’était le docteur Gaston Ferdière . Ces archives contenaient, entre autres, des lettres d’Antonin Artaud, de Robert Desnos, de Bellmer, de Chaissaic...
Laurent, qui possédait une grande mémoire et une vaste culture, participait à de nombreuses activités où il faisait preuve d’une grande capacité de travail . Il menait plusieurs projets à la fois qui étaient des sujets de conversations passion- nées entre nous, et je l’entends encore me parler de ses livres, en particulier de L’art contemporain, et après...2 et de son magnifique ouvrage L’art brut. L’instinct créateur 3 . Et je le revois prendre des notes (il en prenait beaucoup), je le revois consulter attentivement un document, s’exclamer de joie d’une manière commu- nicative mais parfois aussi essuyer quelques difficultés, quelques désillusions, que nous résolvions pour la plupart ensemble . Très généreux, n’hésitant jamais à rendre service, Laurent m’a fait bénéficier à maintes reprises de son savoir . Il m’a fait connaître l’art brut et la Halle Saint-Pierre ; je lui ai fait connaître là où se pratiquait l’art des fous : l’hôpital psychiatrique de Ville-Évrard, où j’avais travaillé pendant plus de 36 ans .
Par ailleurs, dans ce même établissement psychiatrique, je le conduisis à la Société d’études et de recherches historiques en psychiatrie (SERHEP) fondée par une petite équipe de soignants dont je faisais partie . Laurent fut surpris et très intéressé, moi, très fier . Il y vint à plusieurs reprises, il y effectua des travaux de recherches, en ce fut pour moi l’occasion d’apprécier son talent de conférencier .
Laurent menait de front plusieurs travaux ; de mon côté, je travaillais avec toute mon énergie d’autodidacte . Mais Laurent était là : il me conseillait, lisait mes textes et m’apporta de très intéressantes précisions sur la vie de Max Jacob, sur celle de l’abbé Pierre, sur Jean Dubuffet venu à Ville-Évrard en prospecteur d’œuvres de malades mentaux . S’il m’offrit la biographie du fondateur et animateur de la Compagnie de l’art brut4, nous travaillâmes ensemble à l’édition des lettres de Dubuffet à notre ami créateur, Alain Pauzier5 .
Mais un sujet qui nous intéressait de longue date et se précisait au fur et à mesure qu’avançait notre travail d’archivistes amateurs, ce fut notre réalisation commune d’un ouvrage qui parut sous le titre Artaud et l’asile6 . À partir de ce livre, nous avons été invités à participer ensemble à des réunions publiques à Paris et en province, souvent houleuses, parfois même agressives, en particulier envers le docteur Ferdière qui avait pratiqué des électrochocs sur le poète qui, selon l’expression de Laurent « luttait contre un mal qui le rongeait depuis toujours » . Les propos violents venant de certains lecteurs et d’un certain public, étaient exagérés, et souvent erronés au sujet de ce traitement, nouveau alors parmi le peu de traitements tant soit peu effi- caces dont disposait la psychiatrie7 . Animés, Laurent et moi, d’un grand souci de vérité, nous intervenions, Laurent principalement ; moi, j’apportais mon témoignage d’infirmier psychiatrique . J’ai apprécié à de nombreuses reprises sa manière calme, incisive, précise de faire valoir la vérité . Nous ressortions de ces réunions épuisés mais avec le sentiment de réelle satisfaction, heureux d’avoir servi la Vérité, soutenus par une amitié profonde entre nous deux .
J’ai passé auprès de Laurent de merveilleux moments, des moments de joie et de passionnantes découvertes, des moments de belles réalisations littéraires, des moments qu’on ne peut oublier .
Lorsque sa maladie survint, Laurent savait que je travaillais à un ouvrage dans lequel il était très présent . Une des dernières fois où nous avons pu communiquer, il me demanda dans un souffle à peine audible où en était mon travail . Je le rassurais de mon mieux, malgré ses facultés physiques et intellectuelles de plus en plus décli- nantes mais Laurent nous aura quittés sans qu’il ait pu voir le livre achevé . J’espère néanmoins pouvoir conduire à son terme ce qui sera mon témoignage vivant sur mon amitié profonde pour Laurent qui me manque aujourd’hui beaucoup .
André ROUMIEUX
1 . André Roumieux, Je travaille à l’asile d’aliénés, éditions Champ Libre, 1974 .
2 . Laurent Danchin, L’art contemporain, et après..., Phénix éditions, 1999 .
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3 . Laurent Danchin, Art brut, l’instinct créateur Gallimard, Découvertes, 2006 .
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4 . Laurent Danchin, Jean Dubuffet peintre philosophe, Regard sur l’art, les éditions de l’Amateur, 2001 .
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5 . Jean Dubuffet, La ponte de la langouste, Lettres à Alain Pauzier : édition établie et présentée, par Laurent Danchin et André Roumieux, Le Castor Astral, 1995 .
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6 . Laurent Danchin, André Roumieux, Artaud et l’asile, éditions Séguier 1996, réédition 2015 .
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7 . Une association « Artaud-Rodez » rend justice à l’œuvre du docteur Ferdière, son siège est à Rodez (P . C .) .