FOURNIER François Paul - 1891 l

FOURNIER (François Paul), né à Bligny-sur-Ouche (Côte-d’Or) le 4 mars 1870, décédé à Meudon (Hauts-de-Seine) le 6 octobre 1938. – Promotion de 1891 l.


La carrière de Paul Fournier a été rectiligne et modeste . Son père était un simple employé des contributions indirectes . Admis à l’École en 1891 après avoir bénéficié l’année précédente d’une bourse de licence à l’université de Lyon, il s’y forme sérieu- sement aux études grecques : il assiste à l’École pratique des Hautes Études aux conférences d’Édouard Tournier (1850 l) en philologie grecque, d’Alfred Jacob en dialectologie et paléographie grecques, de Jean Psichari en philologie byzantine et néo-grecque, de Bernard Haussoullier (1873 l) en épigraphie et antiquités grecques . Il est reçu premier à l’agrégation de grammaire en 1894 . Après une année de service militaire accomplie comme simple soldat au 52e régiment de ligne à Vienne (Isère), il est admis en 1895 à l’École française d’Athènes . Il prend part à la grande fouille de Delphes . Il y reste plusieurs mois au cours de l’année 1896 . Un séjour commun de six mois lui fait nouer avec Émile Bourguet (1889 l) une amitié indéfectible qui devait durer jusqu’à leur mort : c’est à Bourguet que Fournier avait transmis ses papiers, mais ce dernier ne devait lui survivre que quelques mois . Il y relève les inscriptions du mur polygonal et s’oriente alors vers l’étude du dialecte des inscriptions de Delphes . Son premier mémoire, sur la grammaire des affranchissements de Delphes du second siècle av . J .-C ., a fait l’objet d’un jugement mitigé de Georges Perrot (1852 l), qui y voyait une « étude consciencieuse », mais dont « l’ordre n’est pas assez rigoureux » . Le deuxième mémoire étudiait quatre inscriptions de Delphes plus anciennes, et Eugène Müntz lui reconnaît « un esprit sagace, délié », de « remarquables aptitudes philologiques » . Il sera reconnu comme un excellent philologue tout au long de sa carrière . Dès la fin de son séjour à Athènes, en 1898, il renonce à un poste au lycée de Bourg-en-Bresse pour être nommé maître de conférences de grammaire à l’université de Bordeaux, à titre temporaire mais constamment renouvelé d’abord, puis sans limite de temps à partir de 1919 . Il devait le rester jusqu’à sa retraite le 4 mars 1935 . Il se retire alors à Paris . Il était bien introduit dans le milieu universitaire bordelais : il épouse le 3 janvier 1900 Louise Marie Marguerite Couat, fille du recteur Auguste Couat (1866 l), helléniste et ancien adjoint au maire de Bordeaux, union dont est né un fils vers la fin de 1901 . Le mariage avait été brillant : les témoins du marié étaient deux professeurs à l’université de Bordeaux, l’écrivain et critique Paul Stapfer, profes- seur de littérature française, et le latiniste Adolphe Waltz (1860 l), ceux de la mariée deux amis de son père, le recteur de Montpellier Antoine Benoist (1864 l) et le direc- teur de l’enseignement supérieur Louis Liard (1866 l) . Brillant, mais pas neutre . Paul Fournier était dreyfusard, ses parents étaient décédés, il n’avait pas d’attache borde- laise . Le choix de ses témoins n’était pas indifférent : Adolphe Waltz était membre de la Ligue des droits de l’homme, et Paul Stapfer, qui avait été doyen de la faculté des Lettres, avait été suspendu de sa charge fin juillet 1898 par le ministre Léon Bourgeois pour une prise de position considérée comme dreyfusarde dans l’éloge funèbre prononcé aux obsèques du recteur Couat le 23 juillet 1898, dix-huit mois à peine avant le mariage de Louise avec Paul Fournier ; l’affaire avait laissé des traces .

L’œuvre scientifique de Paul Fournier s’annonçait prometteuse . Sa thèse princi- pale avait pour sujet « Le delphique et ses congénères . Grammaire historique des dialectes grecs d’Outre-Pinde » . Cette étude annoncée dès 1898, plusieurs fois promise, devait être un développement de ses mémoires d’athénien . Elle aurait reçu un avis très favorable d’Antoine Meillet . Sa thèse latine « Quid M. Tullius de tragoedia cum graeca tum latina censuerit » devait porter sur Cicéron et la tragédie . Les fruits n’ont pourtant pas tenu les promesses des fleurs, et l’ensemble a été bien restreint, ce que ses doyens successifs ne cessent de regretter . Il n’achève pas ses thèses, ce qui désole le doyen : « peut très bien faire ; il suffit qu’il le veuille » (1904) ; « il ne lui manque pour donner sa mesure que le don de réalisation » (1910) ; « on voudrait le voir produire aussi bien qu’il enseigne » (1912) . Le sujet de sa thèse principale a été abordé deux fois, d’abord par l’alsacien Edmund Rüsch qui, lassé d’attendre, entame en 1914 la publication d’une grammaire des inscriptions de Delphes dont le premier volume (seul paru) ne traitait que de phonétique, ensuite en 1940 par Michel Lejeune (1926 l) dont la thèse complémentaire, entreprise sur les conseils de Paul Fournier, portait sur la langue des affranchissements de Delphes . Lui-même ne donne au Bulletin de correspondance hellénique que trois notes très brèves . De 1900 à 1914, il collabore presque chaque année à la Revue des études anciennes, publiée par l’université de Bordeaux, mais surtout pour des comptes rendus dont certains sont de véritables articles . Il fait paraître en 1904 l’édition posthume de la traduction que son beau-père, qu’il n’a pu connaître (il était décédé avant son arrivée à Bordeaux en novembre 1898), avait établie des Pensées de Marc Aurèle, enrichie de nombreuses notes personnelles . Il consacre beaucoup de soin à son enseignement, mais l’essentiel de son activité est ailleurs que dans la vie scientifique : il était membre de la Ligue des droits de l’homme et très impliqué dans la vie de cette organisation, à un moment où l’affaire Dreyfus, qui avait été à l’origine de sa création, était loin d’être apaisée .

Pendant la guerre, il est mobilisé sur sa demande le 18 février 1915 dans un régiment territorial . Il déclare à l’autorité militaire parler l’allemand, l’italien et le grec moderne, et on le juge qualifié pour être interprète de grec moderne à l’armée d’Orient, qu’il demande à rejoindre . Il accède au grade de sous-lieutenant le 3 mars 1916 et devient deux ans plus tard lieutenant à titre temporaire . Il est affecté au contrôle postal à Salonique à partir du 5 juin 1916 et devient en septembre 1916 chef de la censure du télégraphe et de la presse, poste où il rend les plus grands services : ses notes militaires soulignent son tact, son zèle, son autorité, son sens du devoir et de l’à-propos . Dans la deuxième moitié d’avril 1918, il visite les couvents du mont Athos pour y interroger des moines suspects d’avoir ravitaillé en essence des sous-marins ennemis . Il rentre en France en janvier 1919 . Fait chevalier de la légion d’honneur à titre militaire en 1917, il l’est aussi de l’ordre grec du Saint-Sauveur, et de l’ordre serbe de Saint-Sava . Il était officier d’académie depuis le 14 juillet 1906 .

Après la guerre, les choses avaient changé . Son couple n’y a pas résisté . Le divorce est prononcé en mars 1919 . Paul Fournier se remarie en septembre de la même année . Son activité scientifique semble s’éteindre : il ne publie dans la Revue des études anciennes en 1922 qu’un article qui tirait parti, après un quart de siècle, de son deuxième mémoire athénien, et deux comptes rendus dont celui qui lui tenait à cœur des Ruines de Delphes d’Émile Bourguet, livre important paru par malchance en 1914 ; rien par la suite . Lassitude ? Découragement ? Perte d’intérêt pour le sujet ? On peut se poser la question dans la mesure où il était retourné à Delphes en 1917 examiner des inscriptions à l’occasion d’une permission . Difficultés d’ordre person- nel ? À distance de près d’un siècle, on ne peut en décider ; on peut le regretter, après beaucoup d’autres . Paul Fournier a exercé son métier avec une exactitude exem- plaire et toujours soulignée, il a préparé des étudiants à l’agrégation, il a contribué à leur succès : durant toute sa période d’activité, des candidats bordelais ont réussi presque tous les ans à l’agrégation de grammaire, et toujours en plus grand nombre qu’à celle des lettres ; on célèbre unanimement la part qu’il y prend . Il a fait partie pendant plusieurs années du jury de l’agrégation de grammaire à partir de 1913 . Il ne s’intéressait pas qu’à ses étudiants officiels . Les bonnes relations qu’il avait avec la famille de Pierre Lévêque (1940 l), futur membre de l’École française d’Athènes, lui ont donné l’occasion de l’initier au grec alors que ses parents le destinaient à des études scientifiques . Il lui a de ce fait ouvert sa carrière et ce dernier lui en a gardé un profond attachement .
 

L’homme lui-même semble avoir été effacé, d’une santé délicate, d’allures douces et timides dans la vie ordinaire, avec une voix fluette . Georges Radet (1881 l) notait à sa mort que « cet ancien disciple de Riemann (1871 l) [il n’a pu l’être qu’indirecte- ment, puisque ce dernier est décédé par accident dans l’été 1891, avant le début de la scolarité de Paul Fournier à l’École] savait parfaitement comme lui aussi bien le latin que le grec et il sut former à Bordeaux des générations de philologues dont plusieurs sont aujourd’hui des maîtres remarquables » . Alfred Merlin (1897 l), dans l’évoca- tion de sa mémoire prononcée devant l’Association des études grecques en juin 1939, a résumé en quelques mots ce que l’on peut retenir de lui : « C’était un homme d’une science rare et d’un entier désintéressement, aussi modeste que laborieux » .

Michel SÈVE (1969 l)