MIGNOT Xavier - 1951 l
MIGNOT (Xavier), né le 8 février 1930 à Nantes (Loire alors Inférieure), décédé le 15 décembre 2017 à Montpellier (Hérault). – Promotion de 1951 l.
Xavier Mignot est né en 1930 à Nantes, au domicile de ses parents, comme il se plaît à le rappeler dans un livret où il a souhaité consigner la mémoire familiale . Sa mère, née à Vincennes et d’origine lorraine, avait une forte culture musicale et possédait le permis de conduire, chose rare à son époque . Son père, fils d’un industriel lyonnais venu s’établir à Nantes, a connu le drame familial d’un frère aîné, décédé en 1915 le jour de son arrivée au front . Marié en 1929, le jeune ménage eut deux enfants à Nantes, Xavier et Yves, et à Vincennes où il s’installa fin 1931, une fille, Odile, puis un autre garçon Jacques .
De son enfance à Vincennes, Xavier retient l’éducation rigoureuse mais emplie d’af- fection, celle qui se forme aux principes de vie par l’exemplarité et la justice ; éducation catholique aussi, qui se poursuit dans un établissement des Frères des écoles chré- tiennes . Le jeune Xavier, impatient, a voulu apprendre à lire avant même son entrée au cours préparatoire, manifestant dès le plus jeune âge un appétit pour le savoir .
En 1938, la famille s’installe boulevard Arago, quartier des Gobelins, notam- ment pour permettre aux enfants de suivre leurs études dans des établissements d’enseignement secondaire réputés . Ce que l’on appelait alors lycée recevait des élèves depuis leur entrée à l’école primaire, dans les « petites classes », jusqu’au bacca- lauréat - organisation qui perdurera jusqu’en 1963- . Pour sa première année au lycée Montaigne, en 1938-39, le jeune Xavier obtient le prix d’excellence de la classe de 8e (équivalent de l’actuel cours moyen 1) . Un présage de la future carrière universitaire ?
Ce brillant début va être contrarié par la déclaration de guerre . Fin août 1939, la famille part s’installer à Saint-Maixent chez une tante : le père, capitaine de réserve, et l’oncle, capitaine de carrière, sont mobilisés . Son père sera fait prisonnier, retenu près d’un an dans un oflag en Silésie, et son oncle tué sur la Somme . Le tragique de la guerre frappait une fois de plus la famille .
De leur côté, la maman et les quatre enfants regagnent Paris où Xavier entre en 6e au lycée Henri-IV et découvre le latin, avec « effarement » dit-il, et l’alle- mand . Dans le courant de l’année, un retour à Saint-Maixent, où il doit se mettre à l’anglais, suivi d’une réinstallation à Paris à Henri-IV, aurait pu handicaper une scolarité, qu’il poursuit cependant parmi les bons élèves . Les années d’occupation, les rationnements, lui apprennent à apprécier le travail des agriculteurs et l’économie domestique . Dès le Grand Lycée, il vise la préparation à l’École normale supérieure, en Lettres, toujours à Henri-IV . Admissible dès sa première année de khâgne en 1949, il devra cependant attendre deux ans avant d’intégrer l’École dans un très bon rang (6e sur 32) . Suivant en parallèle les cours de la Sorbonne en licence de Lettres classiques, il est fortement séduit par la linguistique des langues anciennes et c’est donc à Michel Lejeune (1926 l) qu’il demande de diriger son diplôme d’études supé- rieures (DES) . Une fois agrégé de grammaire, où il est classé premier (1954), il a pu suivre les cours d’Émile Benveniste et choisir ses sujets de doctorat : en grammaire latine avec Michel Lejeune, et en grammaire grecque avec Pierre Chantraine .
À la sortie de l’École, après quelques jours d’enseignement au lycée de Guingamp, et quelques mois en Allemagne, Xavier Mignot est envoyé en Algérie pour un service militaire qui durera sept mois de plus que prévu, dans les environs d’Alger puis d’Orléansville . Devenu lieutenant de réserve, il jugera plus tard que ce temps pénible lui avait appris deux choses : la distance à prendre avec les communiqués officiels, et l’horreur de la guerre, associée à celle de la torture, inadmissible pour un chré- tien . Au retour d’Algérie au début de 1958, il est nommé à la Sorbonne assistant de Jacques Perret (1924 l) et, pour partie, d’André Martinet . Avant de se remettre à ses thèses, il passe une année à étudier le sanskrit . En 1960, il accepte un poste à Montpellier, considérée alors comme la ville de faculté la plus éloignée de Paris, ce qui ne l’enchantait pas, d’autant qu’il fréquentait de plus en plus assidûment Claude [Ogliastri de Gentile, 1951 L], elle-même normalienne, qui deviendra son épouse en 1962 . Il y prend la succession de Jean Perrot (1946 l), pour des enseignements de langues anciennes, mais aussi de linguistique générale et phonétique .
C’est là que je l’ai rencontré une première fois, jeune étudiante en licence de lettres classiques, impressionnée par ce jeune professeur réservé, et si savant en linguis- tique latine . Aux étudiants de Lettres modernes il enseignait la phonétique générale, tandis que son assistant Francis Catel barbouillait de chocolat leur langue pour leur apprendre à distinguer palatales et vélaires ! En 1965 sa femme Claude obtient un poste en Littérature française à Montpellier, ce qui y installe définitivement la famille riche de deux filles, Isabelle et Laurence, bientôt suivies de Blandine et Gautier .
La thèse de doctorat soutenue en 1969 sur Les verbes dénominatifs latins fut éditée la même année chez Klincksieck . Le sujet, jamais traité jusque-là, était vaste : 1600 verbes sur les 2700 existants en latin (chiffres arrondis) . Recensement, classifica- tion, compréhension de l’évolution de la langue, tel est l’énorme travail réalisé avec méthode, précision et prudence . L’étude antérieure du sanskrit et les compétences en méthode comparative offrent à Xavier Mignot la possibilité d’une vue historique large . Mais la prudence méthodologique lui enjoint de « décrire et expliquer d’abord les faits latins tels qu’ils apparaissent à travers les textes » (p .11), les affirmations concernant les époques très anciennes lui apparaissant comme des hypothèses à prendre avec précau- tion . Nul dogmatisme donc dans cette recherche, et un travail colossal mené avec détermination et modestie : tout Xavier Mignot est là . Il n’est pas étonnant dès lors que la thèse fût couronnée en 1969 du prix Volney, décerné par l’Institut de France, prix dont il n’a jamais fait étalage par la suite dans son université . Modestie toujours .
Complété par une thèse secondaire sur un suffixe grec, réalisée alors que ce n’était plus obligatoire et publiée en 1972, ce travail lui permet d’être nommé dès 1969 professeur titulaire en linguistique à Montpellier, où il restera jusqu’à sa retraite en 1996 . Il y sera très actif . La Faculté des Lettres ayant déménagé en 1966 et étant devenue université Paul-Valéry, connaît une croissance rapide : de 6000 étudiants en 1965 elle passe à 16000 en 1996 . Xavier Mignot accompagnera ce changement en n’hésitant pas à exercer des fonctions administratives importantes . Il est membre des conseils dès 1974 : conseil d’UER (unité d’enseignement et de recherche) puis d’UFR (unité de formation et de recherche) de 1974 à 1986, conseil scientifique de 1978 à 1990, conseil d’université de 1982 à 1986, puis d’administration de 1986 à 1990 . La loi Edgar-Faure (1968) créant les UER, Xavier Mignot prend la direction de l’UER de 1977 à 1984, et lorsque la loi Alain Savary en 1984 remplace les UER par les UFR, il assure la transformation, crée les statuts de l’UFR 1 qu’il dirige jusqu’en 1986 . UER 1 et UFR 1 regroupaient les formations en Philosophie, Lettres classiques et modernes, Grammaire, Linguistique, Arts : un bel ensemble, complexe et mouvant, dont il a assumé la charge avec simplicité, écoute et humanité : qualités qui lui vaudront d’être appelé en 1987 comme vice-président du Conseil des études et de la vie étudiantes, auprès de Michel Gayraud, président . Celui-ci se souvient de sa grande disponibilité pour recevoir les étudiants, y compris quand, victime d’une entorse du genou, il venait appuyé sur des béquilles, ce qui n’a pas manqué de susciter quelques plaisanteries sur la solidité du pouvoir ! Sensible aux problèmes des étudiants en situation de handicap, il aidera par sa sagesse, sa rigueur morale et son sens de la justice à régler plusieurs situations difficiles .
Sans cesser de publier dans le domaine des langues anciennes, il accordera beau- coup de temps et d’énergie au champ de la linguistique, puisque c’était l’intitulé de son poste . Enseignant inlassable, il assure des cours de linguistique générale, de phonologie, de grammaire générative ou de linguistique formelle . Ayant repris en 1970 des études de linguistique qui étaient alors le pilier de la didactique du fran- çais, je me souviens encore du sujet d’examen qu’il nous délivra avec gourmandise : « Qu’est-ce qu’un phonème ? », et qui sema la panique dans la salle ! Les étudiants de Montpellier lui doivent la découverte et la compréhension de Chomsky (Chomsky 1, Chomsky 2, 3...) qui les laissaient souvent perplexes mais toujours intéressés .
Dans un premier temps la linguistique, au sein de l’UER, formait un tout petit secteur : regroupé avec la grammaire française, il devient en 1985 le département Sciences du langage . Xavier Mignot son directeur l’aide à se développer et à se diver- sifier : outre les champs traditionnels de la linguistique générale, de la phonétique, de la grammaire française, il fait entrer celui de la communication, de la sociolinguis- tique, de la didactique . Je lui suis pour ma part très reconnaissante d’avoir accepté ma propre thèse en linguistique du français, alors que le terme lui-même faisait l’objet de déclarations aussi désobligeantes que péremptoires de la part de certains membres de l’Académie des Sciences . La création du Diplôme d’études universitaires générales (DEUG) Sciences du Langage, dont Paul Siblot et moi-même avons préparé la struc- ture en 1990, constituera une charnière importante pour le développement local de la discipline . Sans exagération aucune, on peut dire que le département Sciences du langage d’aujourd’hui lui doit à peu près tout, personnel compris .
Malgré l’accumulation des charges administratives, Xavier Mignot tenait à garder son activité scientifique, dans ses deux domaines . La linguistique latine et grecque a fourni la matière, outre les deux thèses publiées, à une quinzaine d’articles dans des revues comme le Bulletin de la Société de Linguistique de Paris ou la Revue des Langues romanes. Il suivait fréquemment le séminaire d’Aussois où il retrouvait Jean Perrot, son prédécesseur à Montpellier . La linguistique contemporaine qu’il enseignait lui a permis d’apporter un regard nouveau sur les objets antiques, dans des travaux originaux comme Y a-t-il des verbes performatifs en latin ? (1983) ou Système X-barre et description du système nominal latin (1989) . Cela l’a conduit aussi à des réflexions hors des langues anciennes sur la performativité, le langage et le réel, la notion de distribution ou l’énonciation : au total une dizaine d’articles, deux chapitres de livres et deux ouvrages écrits en collaboration avec Christian Baylon, La communication paru en 1991, réédité en 2005, ainsi que l’Initiation à la sémantique du langage, en 1995, réédité aussi en 2005, destinés à la formation des étudiants . Cette ouverture d’esprit, cette absence d’œillères lui a permis de diriger dans sa diversité l’équipe de recherche « Fonctionnements linguistiques et recherches praxématiques » devenue DIPRALANG, jusqu’en 1995, où j’eus l’honneur de lui succéder .
Pour compléter cette présentation d’une carrière active, très riche en responsa- bilités et en publications, dévouée à l’Université dans les trois dimensions requises actuellement mais qui n’allaient pas de soi à son époque, il faut parler de deux axes majeurs de la vie personnelle de la vie de Xavier Mignot, la foi et la famille .
La foi catholique, présente dès l’enfance, constitue un des piliers de son existence . Elle lui donnera l’occasion de fréquenter des personnes ayant une grande influence sur sa vie, comme l’abbé Bien ou le père Daniélou à l’École normale supérieure . À Ulm, où les idées marxistes étaient prédominantes, faire partie du petit groupe de « talas » (ceux qui vont-à-la messe) relevait d’un certain courage . L’abbé Brien l’a incité à faire partie du bureau de la section syndicale des élèves, rattaché alors à la Fédération de l’éducation nationale (FEN) . Il y a acquis la compréhension de l’engagement syndical à gauche, qui lui paraissait proche du message évangélique . Il a pu aussi aller en Palestine ou à Rome, et être reçu par Pie XII . Et c’est à l’occasion d’activités dans le milieu catho- lique de l’ENS qu’il rencontra pour la première fois sa future épouse . La foi catholique, ouverte et sans rigidité, lui permettra de résister aux épreuves, aux deuils, aux maladies familiales, à la sienne propre . C’est surtout une foi active, intégrée, dont les principes de justice, d’humanité et de bienveillance aux autres ont guidé toute sa vie .
Le second pilier est la famille . L’histoire des parents, grands-parents, arrière- grands-parents fournit l’essentiel du livret intitulé « Mémoires » qu’il rédigera en 1998 . Non pour glorifier sa propre destinée : il s’y montre d’une grande discré- tion sur ses succès, passant très vite sur sa remarquable carrière universitaire et ses travaux . Mais « Mémoires » doit être compris ici comme mémoire de la famille, trace laissée aux générations actuelles et futures de ce que furent les anciens, dont il estime faire partie . Son épouse Claude, leurs quatre enfants occupent une place fonda- mentale, celle du socle, bien réelle malgré l’intensité des charges professionnelles . Remédiant de tout son cœur à l’autisme de sa fille aînée, puis au très grave accident de la deuxième fille, joyeux des succès scolaires de ses enfants et de la carrière de son fils, devenu depuis ambassadeur, il était un père attentif et dévoué, un soutien décisif à la profession de sa femme, un grand-père rieur .
C’est entouré par les siens, au terme d’un cancer auquel il a fait face sans une plainte, qu’il est décédé à Montpellier . Dans la discrétion qui le caractérisait, si contraire au brouhaha médiatique à la mode, c’est une grande figure universitaire qui disparaît .
Michèle VERDELHAN-BOURGADE