BRETAGNOLLE Jean - 1956 s

BRETAGNOLLE (Jean), né le 24 août 1937 à Clermont-Ferrand (Puy-de- Dôme), décédé le 28 juillet 2016 Paris. – Promotion de 1956 s.


Jean Bretagnolle avait perdu très jeune sa mère . Son père, Roger Bretagnolle, était normalien, mathématicien (1929 s) et avait fait sa carrière en classes préparatoires et à l’université de Clermont . Jean a fait ses classes secondaires et sa taupe au lycée Blaise-Pascal à Clermont . Il a épousé en 1960 Jacqueline Nathan, mathématicienne qu’il avait connue à Clermont et retrouvée à Paris . Ils ont eu trois enfants, tous trois universitaires .

J’ai connu Jean à mon entrée à l’École en 1957 . Avant de parler de mathématiques, l’action militante contre la guerre d’Algérie nous avait réunis dans l’atmosphère fébrile et violente qui régnait au Quartier latin en ces années . Diverses organisations étaient implantées à l’École, l’UNEF à travers le cartel des ENS, l’UEC, divers partis de gauche . Jean a toujours eu un intérêt profond pour la politique, pour la défense des plus défavorisés et celle de l’Université . Bien sûr au fil des années, comme la plupart des gens de cette génération, son engagement a pris des formes diverses .

Jean Bretagnolle était un grand lecteur, de la littérature à la philosophie et à l’histoire, l’ampleur de ses connaissances et la profondeur de ses vues étonnait toujours les collègues plus jeunes . C’était un conteur passionnant . Il considérait ses engagements de jeunesse de façon toujours positive, l’évolution des idées ne signifiait pas pour lui reniement des engagements pris dans un contexte particulier .

Il a commencé sa carrière comme assistant à l’université de Paris en 1961 ratta- ché à la chaire de Probabilités de l’Institut Henri-Poincaré dirigée par Robert Fortet (1931 s) . Les probabilités étaient alors peu considérées en mathématiques et notre maître, à l’École, Henri Cartan (1923 s), ne les avaient pas en haute estime . Il changera complètement de point de vue quelques années plus tard . Au CNRS, les probabilités dépendaient de la physique . Jean s’était intéressé assez tôt aux probabi- lités et ce poste d’assistant fut une occasion pour lui . Ce fut lui qui me proposa de le rejoindre quelques mois plus tard . Les deux personnalités qui marquèrent ensuite les probabilités françaises – Paul-André Meyer (1954 s) qui deviendra à Strasbourg un ami de Jean et Jacques Neveu – que nous retrouvâmes à l’IHP à son retour de Californie – avaient été formées aux États-Unis et n’étaient pas encore intégrées à la communauté mathématique . Nous étions assez seuls dans notre domaine .

Dès lors et pendant plus de dix ans, nous avons travaillé étroitement ensemble . D’abord en apprenant la théorie des probabilités à peine entrevue pendant nos années d’École, un peu à contre-courant . Les premiers sujets que nous avons choisis concer- naient le comportement des marches aléatoires et des versions assez nouvelles des théorèmes taubériens . Les qualités tout à fait exceptionnelles de Jean en analyse fine ont fait merveille . Pendant le service militaire, j’avais travaillé par correspondance des questions posées par Paul Lévy, le grand probabiliste français dans les années 1930-1960 . Cela a intéressé Jean Bretagnolle un temps . Nous avons alors considéré les propriétés de déterminisme des champs browniens sur les sphères d’espaces de Banach et résolu le problème pour les espaces Lp et lp .

À cette occasion, nous eûmes la chance de travailler avec ce mathématicien excep- tionnel qu’est Jean-Louis Krivine (1957 s) . Joignant des outils probabilistes, les lois stables sur les espaces euclidiens et logiques, les ultraproduits en géométrie de Banach, nous avons réussi à résoudre un problème ouvert posé par Choquet (1934 s) et d’autres . Nous avons bien œuvré pour les probabilités qui remontèrent dans l’estime des Bourbakistes les plus réticents ! Nous avons alors continué à travailler sur les méthodes probabilistes pour la géométrie de Banach jusqu’à notre soutenance de thèse en 1967 . Jean fit sa deuxième thèse en algèbre avec Pierre Samuel (1949 s) pour qui il avait admiration et affection . En 1966 nous fûmes nommés à titre provisoire maître de conférences à Paris, puis, les besoins en professeurs étaient grands, en 1967, Paul-André Meyer nous proposa deux postes de professeur à Strasbourg .

À Strasbourg, Jean a obtenu des résultats profonds sur la théorie des processus à accroissements indépendants, notamment une magnifique démonstration du théo- rème de Kesten .

Jean avait noué à Strasbourg bien des amitiés, au-delà des collègues . Il eut le mérite de traverser Mai 68 à Strasbourg sans encombre malgré des collègues en perdition ! Six ans après, il partit, pour l’université de Paris-XIII, puis l’université d’Orsay où il fit dès lors sa carrière . Il fut d’accord avec la perspective de développer à Orsay les statis- tiques, largement déshéritées en France, à côté des probabilités . Cela nécessitait de sa part un investissement important . L’équipe atteignit un haut niveau international, les travaux de Jean et de son élève Pascal Massart furent un élément très important . La contribution de Jean au théorème KMT et à divers problèmes d’estimation non-para- métrique fit autorité . Jean participa aussi activement au travail commun avec l’INRA et à des projets de statistique médicale .

La fin de sa carrière fut assombrie par la tournure bureaucratique que prenait l’organisation de la recherche, pour les jeunes chercheurs, la course aux publications qu’il jugeait nocive . Ceci l’amena à une retraite un peu trop anticipée .

Ses collègues d’Orsay ont toujours loué sa générosité tant au plan de la dispo- nibilité que des idées et des techniques vis-à-vis des plus jeunes, sa patience auprès des thésards qui cherchaient leurs marques . Il était aussi de ses relecteurs d’articles comme on n’en fait plus, capable de réécrire complètement ce qu’il avait à reviewer s’il considérait les démonstrations maladroites ou approximatives . Il écrivait beau- coup mais publiait peu, pensant déjà que la course à la publication allait détériorer la recherche mathématique .

Sa passion de la nature, acquise dès l’enfance, se marquait surtout par sa connais- sance profonde des oiseaux, de la flore alpine et des champignons . Il avait parcouru des dizaines de fois les recoins du Trièves, berceau de sa famille maternelle et savait en faire profiter quiconque entamait des promenades à pied avec lui . À vélo il était difficile à suivre . Mais les retours avec la préparation de confitures de framboises consolaient de la peine .

Didier DACUNHA-CASTELLE (1957 s)