BARBANCE Christiane - 1956 S

BARBANCE (Christiane), née le 19 septembre 1938 à Saint-Nazaire (Loire- Inférieure), décédée le 10 décembre 2015 à Toulouse (Haute-Garonne). – Promotion de 1956 S.


Saint-Nazaire est un chantier de construction navale bien connu, muni d’une forme de radoub capable d’accueillir les plus gros bâtiments, paquebots ou navires de guerre . C’est là que Christiane est née, le 19 septembre 1938 . Un an plus tard, le 3 septembre 1939, ce fut la déclaration de guerre à l’Allemagne . Les bombardements visant le port de Saint- Nazaire commencèrent, tout d’abord allemands en 1939 et début 1940 . À partir de 1941, ils reprirent, incessants, anglais puis américains, visant le port, les chantiers, la forme de radoub et la base sous-marine construite par les Allemands . Ils prirent fin aux environs du 28 février 1943, la ville totalement détruite, réduite en monceaux de gravats et de cendres, rayée de la carte du monde .

Nous avons toujours pensé que ces alertes de nuit, le hurlement de la sirène, le sifflement des bombes dans leur chute, le bruit assourdissant de leur explosion avaient marqué d’une crainte insurmontable l’esprit de Christiane tout enfant . Comme elle l’avait crié une fois dans sa terreur, elle se rendait bien compte « qu’ils allaient encore casser des maisons » . La guerre terminée, la vie reprit normalement . Mais Christiane, bien que pleine d’entrain et de vivacité, gardait de ces années d’enfance une anxiété qui ne l’a jamais quittée . Tout était joie, mais en même temps tout était angoisse .

Nous avons connu ses succès . Son entrée à l’École normale supérieure de Sèvres, reçue première en juin 1956 alors qu’elle n’avait pas encore dix-huit ans . Son agréga- tion de mathématiques, reçue première en 1959 alors qu’elle n’avait pas vingt-et-un ans . En 1962, tandis qu’elle était « caïmane » à l’École et qu’elle enseignait principa- lement aux agrégatives, elle commença la préparation d’une thèse sous la direction d’André Lichnerowicz (1933 s), professeur au Collège de France . Son travail aboutira en 1969 à une thèse de doctorat, non publiée, où elle démontre, sous certaines hypo- thèses, la « conjecture de Lichnerowicz » concernant les groupes de transformations conformes des variétés riemanniennes . Ce sujet ne sera pas épuisé dans sa thèse, car il fut développé par d’autres mathématiciens sous d’autres hypothèses moins restric- tives . Mais sa thèse fut un des premiers travaux sur le problème de la réductibilité d’un groupe conforme à un groupe d’isométries .

De 1964 à 1980, elle publia huit notes aux Comptes rendus de l’Académie des sciences (dont une en collaboration), puis encore deux courtes publications en 1982 et 1984 . Enfin, en 1984 également, elle publia une neuvième et dernière note aux Comptes rendus, en collaboration avec une étudiante de Toulouse dont elle dirigea la thèse de troisième cycle .

Elle avait été nommée maître de conférences à Perpignan en octobre 1967, et professeur à l’université Paul-Sabatier de Toulouse en 1979 . Cependant, ce milieu de recherche mathématique extrêmement brillant était aussi un milieu d’extrême exigence . Christiane se sentait poussée au-delà de ses forces . Son anxiété prenait le dessus . La suite de sa vie, partagée entre les satisfactions d’amitiés et les contraintes de son travail, fut un incessant combat contre les angoisses qui l’assaillaient de plus en plus .

Nous nous souvenons de sa très grande générosité envers ses filleuls, envers ses neveux, envers ses amis . Son bonheur à la réception d’une lettre d’une ancienne élève, d’une collègue... Le réconfort qu’elle trouvait auprès des dominicains de Toulouse... Mais nous nous souvenons aussi de ses moments de dépression qui nous laissaient démunis, tant nous nous sentions incapables de l’aider . Et de ses profondes blessures intérieures qui la menaient à vivre dans son monde, jusqu’à perdre parfois la notion du réel...

Mariée le 19 août 1989 à la mairie de Toulouse – mariage décevant –, en raison de très sévères difficultés de santé elle fut mise en congé de longue durée à partir de décembre 1994, puis en cessation progressive d’activité, et elle eut droit à prendre sa retraite pour invalidité en septembre 1998 . Dès lors elle vécut dans un foyer-résidence à 20 km au sud de Toulouse . Elle y poursuivit autant que faire se peut ses recherches mathématiques . « En 2007, elle essayait encore de démontrer un théorème sur les transformations conformes, mais elle était trop éloignée d’un milieu mathématique favorable... », me rapporte Yvette Kosmann Schwarzbach (1960 S) qui ajoute à son sujet : « La première année où Christiane, devenue caïmane, a assuré l’enseignement de préparation à l’agrégation, ce fut en 1962-1963 pour la promotion 1960 dont je faisais partie . Nous nous sommes liées d’amitié, et nous avons fait ensemble un voyage à Rome, puis un séjour de deux semaines en URSS en août 1966, à l’occa- sion du Congrès international des mathématiciens à Moscou . Lichnerowicz lui avait suggéré de présenter une courte communication qui fut acceptée . (Pour moi, j’étais encore trop débutante, il m’a conseillé d’attendre et de me contenter d’écouter) . Nous avons passé encore une belle semaine ensemble à Leningrad . Depuis que Christiane a été nommée en province, nous n’étions plus beaucoup en contact, mais elle nous a rendu visite plusieurs fois, chantant pour nos enfants et jouant avec eux pour leur plus grand plaisir . Plus tard, nous avons continué à correspondre de loin en loin . »

Atteinte de deux maladies des plus graves, elle fut hospitalisée à Toulouse en juin 2015 . Son état se dégrada très rapidement et elle s’éteignit le 10 décembre suivant .

Christiane qui avait toujours cherché le meilleur, qui s’était attachée à mener sa vie dans le sens du devoir, de l’honnêteté et de la rigueur, qui avait tant de cœur, qui avait tant souffert, c’est par sa famille et toutes ses amies toulousaines qu’elle fut accompagnée lors de ses obsèques célébrées en l’église du Sacré-Cœur de Toulouse . Ses amies, la plupart sévriennes, qui l’avaient entourée et aidée durant les dernières années de sa vie .

Elle repose au cimetière de Villefranche-de-Rouergue, dans notre caveau de famille, auprès de nos parents et de nos grands-parents .

Monique BARBANCE FLEINERT-JENSEN (1955 S), sa sœur