BIZOT Jean-Claude - 1951 s
BIZOT (Jean-Claude), né le 8 février 1932 à Tourane (Annam, Vietnam), décédé le 23 juin 2015 à Antony (Hauts-de-Seine). − Promotion de 1951 s.
Jean-Claude Bizot est mort des suites d’un ancien cancer qui n’avait pas été totalement éliminé . Paisiblement semble- t-il, au cours d’une rémission partielle . Si l’annonce de son décès n’a circulé sur le Web que deux semaines plus tard, de nombreuses réactions de tristesse et tout autant d’hommages suivirent quasi immédiatement sur le Web .
À son décès, J .-C . Bizot était âgé de 83 ans . Né à Tourane, dans la région de l’Annam (Vietnam), il est entré à l’École normale supérieure en 1951 où il s’engagea dans une carrière de physicien . Cette carrière, par tempérament, il la partagea de façon équilibrée entre la recherche qui le passionnait, l’enseignement qui répondait à son plaisir d’expliquer, et des tâches dites d’intérêt collectif – ces tâches qui font qu’une université « marche » – que son sens des responsabilités l’a amené à assumer .
Il fut stagiaire de recherche au CNRS dès sa sortie de l’École en 1955, puis attaché, puis chargé de recherche ; il passa dans le cadre universitaire en 1965, gravissant tous les niveaux jusqu’à obtenir le titre de professeur émérite lorsqu’il prit sa retraite en 1997 .
Dans les années cinquante, les normaliens étaient tenus d’obtenir un diplôme d’études supérieures qui se préparait pendant un an dans un laboratoire que chacun choisissait selon ses goûts . Le choix de J .-C . Bizot détermina toute la suite de sa vie de chercheur : il débuta au laboratoire de physique nucléaire de l’ENS, alors dirigé par Hans Halban, puis passa à la physique des particules au Laboratoire de l’accé- lérateur linéaire (le « LAL ») à Orsay, travailla quelque temps au CERN à Genève et enfin effectua ses recherches au sein d’une très grande collaboration, « H1 », au laboratoire DESY à Hambourg . La logique de ce parcours tient au fait que lorsqu’il débuta ses recherches au laboratoire de l’ENS, l’équipe de physiciens qui l’accueillit préparait l’installation d’un accélérateur d’électrons de grande énergie sur le campus d’Orsay qui venait d’être créé . Le LAL qui hébergea cet équipement se tourna assez rapidement vers la technologie des collisionneurs de particules, un domaine dans lequel J .-C . Bizot s’engagea très tôt . Par la suite, l’expérience qu’il acquit auprès des collisionneurs du LAL trouva tout naturellement des applications au CERN, puis à DESY .
Mais revenons à son diplôme d’études supérieures . C’est sur deux petits accélé- rateurs électrostatiques que J .-C . Bizot fait ses premiers pas d’expérimentateur en caractérisant certains états excités de deux noyaux légers . À l’époque, la compréhen- sion de la structure interne du noyau atomique progressait rapidement sur la base de telles mesures . Le prolongement de ces travaux fut l’objet de sa thèse d’État . La soutenance n’eut lieu qu’en 1963, car elle fut retardée par 27 mois de service militaire (pendant lesquels on fit appel à sa formation scientifique, mais hors du domaine de sa thèse) . Le groupe de chercheurs de l’ENS était alors installé auprès de l’accélérateur linéaire d’Orsay, et le diplôme de docteur délivré à Bizot porte la mention « Centre d’Orsay de la Faculté des Sciences de Paris » car le Centre d’Orsay ne s’était pas encore émancipé de la tutelle de Paris . Par la suite, J .-C . Bizot fera tout le reste de sa carrière de chercheur et d’enseignant dans ce Centre d’Orsay auquel il apportera beaucoup au fil des ans .
Auprès de l’accélérateur linéaire d’électrons, Bizot effectue tout d’abord des mesures détaillées, originales, sur la diffusion élastique d’électrons sur des protons, puis une expérience de photoproduction de mésons sur des protons . Il s’agissait là du programme de base du LAL . Mais Bizot fut vite attiré par un instrument qui consti- tuait une originalité de l’équipement du LAL, une nouvelle sorte d’accélérateurs qui permettaient d’observer des annihilations entre des électrons et leurs antiparticules, des positrons . De tels processus conduisent à la création de diverses nouvelles parti- cules qui peuvent alors être observées dans des conditions extrêmement favorables . Le LAL développa ce type de machines pendant les années soixante et soixante-dix, alors qu’il n’y avait encore qu’un petit nombre d’accélérateurs analogues au monde . J .-C . Bizot fut l’un des piliers du groupe DM1 du LAL qui étudia ces interactions élec- trons-positrons d’abord sur l’Anneau de collisions d’Orsay (ACO), puis sur le DCI . Il dirigea ce groupe en 1975 . Dans la conception du détecteur DM1, il contribua parti- culièrement au développement de la détection dite « cathodique » dans les chambres à fils inventées par Georges Charpak, contribuant ainsi à l’essor de ce type de détec- teurs . J .-C . Bizot effectuera tous ses travaux ultérieurs sur des accélérateurs du type « anneau », étudiant les systèmes liés proton-antiproton (analogues à des atomes) au CERN, sondant enfin la structure interne des protons en allant à DESY pour utili- ser deux anneaux de stockage, l’un d’électrons, l’autre de protons, afin d’étudier la diffusion des premiers sur les seconds à une énergie extrême . Ces anneaux de DESY permettaient de reprendre des mesures qui avaient été faites au LAL, mais avec une résolution incomparablement plus élevée .
Au cours de cette série d’expériences, Bizot forma nombre de jeunes chercheurs . La porte de son bureau était toujours ouverte pour accueillir, conseiller et aider avec gentillesse et compétence les thésards qui ne manquaient pas de le solliciter fréquem- ment . Il ne s’arrêta de « faire » de la physique que lorsque cela ne lui fut plus possible .
Au début des années soixante, J .-C . Bizot fit partie des premiers chercheurs qui comprirent le potentiel extraordinaire que représentaient les ordinateurs pour l’acqui- sition rapide de données et, plus tard, pour le contrôle des expériences . Pionnier, puis expert en langages informatiques, il mit en œuvre un ordinateur IBM650 dès la première expérience à laquelle il participa au LAL . C’était une machine « antique » à lampes qui ne comprenait que 2 000 mémoires et dont le processeur avait une lenteur d’escargot ! Il dut la programmer en langage machine . Plus tard, son expertise s’éten- dit aux langages assembleurs et, bien sûr, aux langages évolués .
En matière d’enseignement, J .-C . Bizot assura des cours à divers niveaux, depuis la formation en physique des futurs médecins jusqu’à la préparation à l’agrégation . S’appuyant sur ses compétences développées auprès des détecteurs complexes de la physique des particules, il fut un pionnier de l’enseignement de l’informatique appli- quée auquel il consacra beaucoup de son temps . À partir de 1971 et pendant quatorze années d’affilée, il donna un cours d’assembleur dans un certificat C4 à la faculté des sciences d’Orsay de l’université de Paris-XI . Puis il donna un cours d’analyse numé- rique et d’informatique pendant six ans . Il forma ainsi un grand nombre d’étudiants dans ce domaine . La faculté des sciences d’Orsay lui doit beaucoup pour cela . Son sens de la pédagogie, ses cours très structurés et d’une grande clarté furent particuliè- rement appréciés de ses étudiants .
Posé, réfléchi, ayant le sens des responsabilités, J .-C . Bizot accepta d’assumer de nombreuses tâches d’intérêt général . Il préférait le consensus à l’affrontement . Ce qui ne l’empêchait pas d’avoir des convictions qu’il affirmait avec fermeté à l’oc- casion . Ces qualités lui valurent d’être soit élu, soit nommé, dans divers comités, locaux ou nationaux . Il présida la 20e section du Comité consultatif des universités, fut membre du directoire du CNRS, membre élu de la commission 6 du CNRS (physique nucléaire et corpusculaire) . De 1988 à 1991, il fut conseiller à la direction de la recherche n° 2 (Sciences de la matière) au ministère de l’Éducation nationale, chargé de suivre l’activité d’un groupe d’universités .
« C’était un chrétien de gauche de choc » . Ces quelques mots, écrits par un archi- cube qui était son ancien de deux ans, en disent long sur la personnalité de Bizot : un humaniste, droit, chaleureux, attentif à tous ses interlocuteurs . De fait, lorsqu’il était à l’ENS, il faisait partie du groupe « Tala » de l’École (pour les non initiés : groupe qui rassemblait ceux des élèves qui vonT À LA messe) . Pourquoi « de choc » ? Sans doute pour la raison que rappelle ce même archicube, en disant que peu après, « nous luttions ensemble pour que justice soit rendue à Maurice Audin1 » . En tout état de cause, comme rappelé plus haut, sans jamais faire preuve d’agressivité, Bizot était très ferme sur ses convictions, notamment en matière de moralité . Il alliait compétences scientifiques, rigueur, modestie, à une extrême gentillesse . Les jeunes chercheurs qu’il a formés ont apporté des témoignages unanimes sur ces qualités . Par sa culture étendue (histoire, arts, religion...) et sa façon souriante et positive de prendre la vie, il animait de façon sympathique les réunions informelles . Cette brève évocation de la personna- lité de Bizot serait incomplète si elle n’incluait pas son insatiable curiosité, son amour de la musique, du chant en particulier qu’il pratiqua dans des chorales tout au long de sa vie, passion partagée avec son épouse qu’il soutint et accompagna avec tendresse et dévouement dans sa longue traversée d’Alzheimer .
Pour moi, dont le chemin a croisé le sien d’innombrables fois pendant plus de cinquante ans, tant dans le Laboratoire de l’accélérateur linéaire que dans les instances universitaires de la faculté des sciences d’Orsay, J .-C . Bizot était tout simplement un collègue idéal .
Jacques HAIÏSSINSKI (1954 s)
avec le concours de Jean BUON (1953 s) et d’Alain CORDIER
Note
1. Cf. notice Delzant, ici p. 221.